Irak : Vers une islamisation obligatoire des chrétiens ?

Source: FSSPX Actualités

En janvier 2016, Roberto Simona, responsable pour la Suisse romande et italienne de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED), s’est rendu à Bagdad, capitale de l’Irak. Dans un entretien accordé à l’agence Apic, publié le 28 janvier, il exposait la situation à Bagdad où « la communauté chrétienne se voit réduite à une dimension symbolique ». Les chiffres officiels annoncent 80.000 chrétiens restés dans la capitale, mais « c'est certainement moitié moins. A Bagdad, tous, chrétiens ou musulmans, veulent partir. L'insécurité est partout, en raison des attentats. Pour les minorités chrétiennes, la pression est quotidienne, en particulier pour trouver du travail. Les réseaux traditionnels de soutien disparaissent. Ceux qui restent se sentent isolés, et les familles chrétiennes ne voient plus d'avenir pour leurs enfants dans une société de plus en plus intolérante. Dans la rue, les chrétiens sont interpellés : pourquoi ne te convertis-tu pas, pourquoi ne deviens-tu pas musulman ? »

Enfants chrétiens irakiens dans l'église de la Vierge Marie à Bartala, à l'est de Mossoul (nord de l'Irak).

Une conversion automatique à l’islam

Le 27 octobre 2015, le vote de l’assemblée des députés irakiens pour la carte nationale uniforme, a soulevé l’indignation chez les chrétiens et les autres minorités non musulmanes. La loi oblige les enfants mineurs à embrasser automatiquement la religion musulmane, si un des parents déclare qu’il se convertit et devient musulman (art. 26/2). Le Parlement a rejeté à une large majorité, 137 contre 51 voix, la proposition de modification du texte, avancée par les chrétiens et soutenue par différentes coalitions : l’ajout d’un paragraphe stipulant qu’en cas de conversion à l’islam d’un seul de leurs parents, les mineurs demeuraient dans leur religion d’origine jusqu’à l’âge de 18 ans pour ensuite choisir leur appartenance confessionnelle en pleine liberté de conscience.

Le 10 novembre 2015, une manifestation convoquée par Mgr Louis Raphaël Ier Sako, patriarche de Babylone des chaldéens, a eu lieu sur le parvis de l’église chaldéenne Saint-Georges de Bagdad afin de protester contre cette loi avec l’intention d’en appeler aux instances internationales. Le 17 novembre 2015 le Parlement irakien votait une résolution adoptant la modification de la loi sur l’islamisation des mineurs, voulue par les chrétiens, avec 140 voix sur 206. Le Président du Parlement irakien, Salim al-Juburi, avait favorisé ce revirement en déclarant son intention de modifier la loi, afin de garantir aux Irakiens non musulmans les droits de pleine égalité assurés par la Constitution.

Début décembre 2015, Mgr Sako a lancé un nouvel appel aux membres du Parlement irakien leur demandant de cesser de tergiverser face à cette modification de la loi.
 En effet, expliquait le site Internet Baghdadhope, certains parlementaires se sont adressés à l’ayatollah chiite Ali Al Sistani pour recueillir son avis sur la modification de la loi, paralysant ainsi le Parlement. Dans sa lettre, le Patriarche des chaldéens rappelle que les enfants chrétiens, sabéens, mandéens et yézidis ne veulent pas devenir musulmans dans le cas où un de leurs parents se convertit à l’islam, et il cite l’ensemble des articles de la Constitution affirmant et protégeant l’égalité des citoyens. Il cite également la recommandation du coran selon laquelle « il n’existe pas d’obligation dans la religion ».

Pour Roberto Simona, promouvoir une telle loi montre bien l'état d'esprit des dirigeants et de la classe politique en général. « Alors que la situation sécuritaire est catastrophique, qu'une grande partie du pays est occupée par Daech, que la guerre est aux portes de Bagdad, que les réfugiés ont fui en masse les zones de conflit, que le chômage est de plus en plus important et que la corruption atteint des sommets, le fait que les parlementaires s'occupent de telles choses montre bien l'état du pays. Cela crée chez les chrétiens une grande insécurité psychologique ». Et de confier que les personnes rencontrées disent qu’avant, sous Saddam Hussein où le pays comptait près de 1,5 million de chrétiens, « c'était une dictature, mais on avait un seul dictateur, maintenant, il y en a partout. Le chaos et la corruption règnent à tous les étages. Les gens n'osent plus sortir, ne quittent plus leur quartier, par peur des attentats et des enlèvements ».

D’autant plus que, depuis décembre dernier, sur les murs de Bagdad, dans les rues adjacentes aux églises et aux monastères et dans les quartiers où sont encore présentes des communautés chrétiennes, des affiches ont été placardées pour demander aux femmes chrétiennes de porter le voile. La presse irakienne indique que l’apparition de ces affiches est ressentie par les chrétiens de Bagdad comme un nouveau signal d’intimidation, qui s’ajoute aux enlèvements ciblés et aux expropriations de maisons et de biens immobiliers subis ces derniers mois.

Quelques jours avant Noël, le Patriarcat des Chaldéens a annoncé son retrait des traditionnelles rencontres avec les représentants politiques et religieux pour l’échange des vœux pendant la période de Noël. Le Patriarche a rappelé la situation d’abandon des réfugiés chrétiens ayant fui la plaine de Ninive devant les djihadistes du prétendu ‘Etat islamique’, l’absence de modification de la loi imposant aux enfants de parents convertis à l’islam de devenir musulmans, ainsi que les affiches apparues récemment sur les murs de Bagdad, demandant aux femmes chrétiennes de porter le voile.

Le 18 janvier, au premier jour du Jeûne de Ninive (de 3 jours) demandé par Mgr Sako à tous les fidèles de l’Eglise chaldéenne pour obtenir de Dieu le retour de la paix en Irak et au Proche-Orient, le patriarche des Chaldéens a renouvelé l’appel à toutes les Eglises et communautés chrétiennes irakiennes de créer une liste unitaire de chrétiens aptes à se présenter aux élections, afin de servir leur frères persécutés et l’intérêt général du pays.

L’intervention d’acteurs étrangers

Dans une supplique adressée à Martin Schultz, président du Parlement européen, à l’occasion d'une réunion tenue à Strasbourg le 20 janvier 2016 ainsi qu’à la conférence sur les droits des minorités religieuses dans le monde musulman tenue à Marrakech (Maroc), du 25 au 27 janvier, Mgr Louis Raphaël Sako a demandé que l’on fasse « sortir notre pays et ses ‘soi-disant minorités’ de ce tunnel suffocant où ils se trouvent ». « Tout a commencé du jour au lendemain, a-t-il dénoncé, comme si des mains clandestines et perverses avaient tout planifié, mettant en scène des guerres quasi organisées, manipulées avec l’intervention d’acteurs externes qui ont profité d’un Etat et d’une administration fragilisés et coupés des citoyens. Sous le prétexte de mettre en place une démocratie et plus de liberté en Irak, ces interventions externes ont poussé notre pays et ceux de la région vers le chaos et le terrorisme ». De plus, « non contente d’avoir détruit l’unité entre nos communautés et la coexistence qui les caractérisait, ces mains étrangères se sont aussi accaparées nos ressources naturelles nationales. »

Mgr Sako déplore le fait que l’incapacité à imposer la souveraineté de la loi ait cédé la place à la "loi de la jungle", l’échec du système éducatif, le déclin accéléré de la culture, la montée du chômage et la détérioration de la sécurité.

L’agence vaticane Fides annonçait le 7 janvier l’arrestation d’une trentaine d’enseignants, dans la province de Ninive sous le contrôle des membres du prétendu ‘Etat islamique’, pour avoir refusé de suivre les nouveaux programmes scolaires imposés par les djihadistes depuis la prise de Mossoul où les cours de philosophie, de chimie, de biologie et de mathématiques ont été remplacés par des cours sur la charia et le djihad. De même qu’au début de l’année scolaire 2014-2015, les écoles de Mossoul et de la plaine de Ninive qui portaient des noms chrétiens avaient dû en changer et supprimer l’enseignement de la langue et de la culture syriaque ainsi que l’éducation religieuse chrétienne.

« Depuis la chute de l’ancien régime en 2003 (conduite par les Etats-Unis contre le régime de Saddam Hussein), poursuit le patriarche chaldéen, le pays a été entraîné de manière préméditée vers le radicalisme. Un radicalisme visant les chrétiens et les autres minorités religieuses, les chassant jusque dans leurs maisons, sur le territoire où elles vivent depuis toujours. Cette violence de grande envergure a pour but jusqu’à la destruction de notre histoire commune, de notre civilisation, de nos valeurs et de notre éthique. Sans exclure les autres minorités religieuses, il faut tout de même dire qu’un feu de haine, d’exclusion et de marginalisation a été spécifiquement dirigé contre les chrétiens. »

(Sources : apic/fides/aed/ankawa/ baghdadhope/œuvre d’orient – DICI n°330 du 12/02/16)

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