Italie : l’affaire du crucifix

Source: FSSPX Actualités

 

Au cours de la dernière semaine d’octobre, la sentence d’un tribunal de L’Aquila, à une centaine de kilomètres de Rome, ordonnant d’enlever les crucifix de l’école maternelle d’Ofena, a déclenché une importante vague de protestations dans les milieux ecclésiastiques et politiques italiens. Voici la chronologie des faits :

La plainte avait été adressée à la justice par Adel Smith, 43 ans, citoyen italien converti à l’islam et autoproclamé président de "l’Union des musulmans d’Italie", revendiquant le chiffre fantaisiste de 5300 adhérents. Provocateur, habitué des médias en mal de sensations, il ne supportait pas la vue du crucifix dans l’école où sont scolarisés ses deux jeunes fils.

Rédigée par le juge Mario Montanaro, 33 ans, la sentence était exécutoire immédiatement. Dans ses considérants d’une trentaine de pages, le magistrat italien défendait "l’impartialité de l’instruction publique face au phénomène religieux". Il estimait que la présence du crucifix dans une salle de classe manifestait la volonté sans équivoque de l’Etat, en matière d’école publique, "de mettre le culte catholique au centre de l’univers, comme une vérité absolue, sans le minimum de respect pour le rôle joué par d’autres expériences religieuses et sociales dans le processus historique du développement humain". Le magistrat a donc conclu que l’enlèvement du crucifix était la seule mesure possible pour faire cesser l’atteinte au droit à la liberté des fils mineurs du plaignant.

Le militant islamique Adel Smith a alors déclaré que l’on se trouvait face à "une défaite claire et historique de l’arrogance des partisans d’un racisme religieux institutionnel criant".

Le ministre du Travail et des Politiques sociales, a affirmé qu’une telle prise de position était tout à fait inacceptable parce qu’un juge "ne peut pas ainsi effacer deux mille ans d’histoire". De son côté, le ministre de l’Education nationale, Letizia Moratti, a précisé qu’elle continuerait à faire appliquer les dispositions de la loi de 1923, qui n’a jamais été abolie, obligeant de placer un crucifix dans toutes les écoles, ainsi que dans toutes les salles des tribunaux. Une telle sentence porte les ferments de divisions entre catholiques et athées et entre chrétiens et musulmans, estimait, dans son édition du dimanche 26 octobre, le quotidien La Repubblica.

Le même jour, le secrétaire de la Conférence épiscopale italienne, Mgr Giuseppe Betori, a déclaré la sentence du juge "illégale" et en contradiction avec une loi de l’Etat en vigueur depuis 1923 et qu’aucun Parlement ni même la Cour constitutionnelle n’a jamais changée. Cette décision risque, a-t-il ajouté, d’ouvrir la voie aux "fondamentalismes religieux les plus extrêmes".

Le quotidien du Vatican, L’Osservatore Romano, qualifiait cette décision d’"absurde" et "offensante" dans son éditorial du 28 octobre. Pour marquer sa désapprobation, il publiait en première page une grande image du crucifix. A l’attention de "ceux qui, par différents moyens et à des niveaux divers de responsabilité, ont offensé la foi des chrétiens", avec une phrase tirée d’un discours de Jean-Paul II, du 21 juin 1998 : "Tant de choses peuvent nous être retirées, à nous les chrétiens, mais la Croix comme signe de salut, on ne nous la prendra pas. Nous ne permettrons pas qu’elle soit exclue de la vie publique".

Intervenant sur ce sujet le 26 octobre, le président de la République italienne, Carlo Azeglio Ciampi, avait clairement dénoncé cette décision. Pour lui, "le crucifix a toujours été considéré dans les écoles comme symbole de valeurs qui sont à la base de notre identité".

Pour l’évêque du lieu, Mgr Giuseppe Di Falco, la récente décision d’ôter les crucifix des écoles publiques "humilie la tradition religieuse et culturelle de tout le pays". Quant au président de la Conférence épiscopale italienne, le cardinal Camillo Ruini, il protestait fermement : "Le crucifix exprime l’âme profonde de notre continent et doit donc rester le signe de l’identité de l’Europe".

A la fin de l’audience générale du 29 octobre, le Saint Père insistait sur le "symbole éloquent de la Croix", comme "source de lumière, de réconfort et d’espérance pour les hommes de tous les temps".

Intervenait alors une série de déclarations de la part d’hommes politiques de droite comme de gauche. Pour le leader de l’Alliance nationale, Gianfranco Fini, c’est une grave absurdité de vouloir enlever les crucifix des salles de classe. L’affaire de L’Aquila risque, à ses yeux, de provoquer un rejet des étrangers extracommunautaires.

Si les communistes italiens se font les ardents défenseurs de la laïcité, ils n’apprécient pas la manière dont le débat dégénère. "L’école italienne doit être laïque et ouverte à tous", déclare le chef de groupe des communistes italiens à la Chambre, Marco Rizzo. Et d’ajouter: "Celui qui cherche l’affrontement, en demandant dans un geste extrémiste l’enlèvement du crucifix, n’apporte aucune aide ni à la bataille pour l’école publique, ni à l’intégration entre les diverses cultures qui doit être basée sur le respect réciproque".

Lui faisant écho, le responsable de Refondation communiste, Fausto Bertinotti, affirme qu’il serait mieux s’il n’y avait aucun symbole religieux dans les écoles publiques, mais qu’il aurait personnellement "quelques difficultés à enlever le crucifix". Et le chef communiste de qualifier "d’erroné et d’intolérable tout esprit de croisade, d’où qu’il vienne".

Pendant ce temps, Adel Smith, s’en prend dans les médias à Jean-Paul II, qualifiant le pape d’"extracommunautaire", et conseillant au président italien de "relire la Constitution".

Et en attendant, le crucifix n’est pas enlevé de la salle de l’école d’Ofena, car l’officier judiciaire, chargé de notifier l’ordonnance d’enlèvement de la croix, a invoqué sa foi catholique pour poser un acte d’objection de conscience. C’est un autre officier, escorté de carabiniers, qui a été chargé de remettre le crucifix à la direction de l’école. Mercredi matin, le 29 octobre, une foule de parents partisans du maintien du crucifix et de curieux s’était rassemblée devant l’école pour attendre la venue de l’officier judiciaire. Les familles brandissaient des pancartes demandant de ne pas toucher à la croix. Annarita Coletti, maire de la commune, est intervenue pour calmer les esprits et assurer que les crucifix ne seraient pas "retirés dans l’immédiat", affirmant que toutes les initiatives seraient prises et que toutes les opportunités prévues par la loi seraient saisies pour ne pas exécuter l’ordonnance du juge Mario Montanaro.

Sur les murs de l’école le groupe Forza Nueva avait placé une banderole disant :"Nous vous avons arrêtés à Lépante, nous vous arrêterons aussi aujourd’hui". Elle fut enlevée par le maire.

Le jeudi 30 octobre, sur les ondes de Radio Vatican, le cardinal Roberto Tucci, déclarait : "Il me semble qu’il est temps d’éteindre les projecteurs sur cette personne (Adel Smith) qui, citoyen italien devenu musulman, prétend nous imposer un concept juste - selon lui - de laïcité qui n’est accepté dans aucun des grands pays à majorité islamique.".

Le 31 octobre, le président du tribunal de L’Aquila a suspendu l’exécution de l’ordonnance rendue le 22 octobre par le juge Mario Montanaro. Il a précisé avoir pris cette décision après avoir été saisi d’un recours présenté par le ministère de l’Education. Ce même jour, recevant les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne, le pape a qualifié de "peu démocratique" le retrait du crucifix dans les écoles.

En Espagne aussi. Selon la presse de la péninsule ibérique, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) demande au gouvernement d’enlever "tous les symboles religieux, comme les crucifix, des écoles publiques". Le PSOE a annoncé qu’il allait déposer très prochainement une motion dans ce sens au parlement. "Les écoles publiques doivent être des lieux neutres et non confessionnels, dans lesquels toutes les croyances et toutes les institutions doivent être respectées", soutient la parlementaire socialiste Amparo Valcarce. Selon elle, les croix dans les salles de classe ne respectent pas le principe de tolérance à l’égard des élèves d’autres confessions ou des athées.