Jean XXIV ou la résurrection de Don Quichotte
Mgr Giuseppe La Placa, évêque de Raguse
Au cours d’une récente visite à Raguse, le pape François a évoqué la figure romanesque de « Jean XXIV », héros du roman éponyme, qui mettait en scène, il y a plus d’un demi-siècle, la figure d’un futur pape argentin, jésuite et réformateur…
Pourquoi évoquer ici le roman écrit par le R.P. Leonardo Castellani, religieux expulsé de la Compagnie de Jésus et suspendu a divinis en 1949, avant d’être rétabli en 1966, à l’heure du progressisme triomphant ?
Le 27 septembre dernier, François rencontre l’évêque de Raguse (Italie), Mgr Giuseppe La Placa. Au cours de l’entretien, l’évêque invite le souverain pontife à Raguse en 2025, pour le 75e anniversaire de la fondation du diocèse. Le pape répond : « En 2025, ce sera Jean XXIV qui fera la visite ! »
Or, en 1964, sous le pseudonyme Jeronimo del Rey, Leonardo Castellani, publie un roman mettant en scène un pape réformateur souhaitant ramener l’Eglise à sa pureté originelle, avec pour titre : Juan XXIII (XXIV) o sea La resurrecion de Don Quijote [Jean XXIII (XXIV), ou la résurrection de Don Quichotte], ouvrage non traduit à ce jour.
Une biographie anticipée de Jean XXIV, pape réformateur
Le personnage principal du roman, le père Pio Ducadelia, argentin d’origine italienne, ressemble à l’auteur : religieux « hiéronymite » – image de la Compagnie de Jésus – à qui on a interdit de célébrer la messe, réhabilité soudainement dans ses fonctions et envoyé à Rome, comme conseiller de l’archevêque de Buenos Aires. Le concile Vatican II vient alors de commencer.
En raison d’un conflit entre l’URSS et l’Europe, les sessions sont transférées au palais du Latran. Au concile, les discussions se poursuivent sur fond d’incertitudes. Pio Ducadelia y participe comme théologien pontifical après avoir séduit le pape Jean XXIII par des propositions de réforme visant à lutter contre « la bureaucratie impersonnelle dans la gestion des questions ecclésiastiques ».
Pour y parvenir, Ducadelia propose une « décentralisation du gouvernement romain en nommant des patriarches, comme c’était le cas au Vème siècle », et la constitution d’un « Conseil du pape » formé de douze experts, « chacun affilié à une branche du gouvernement ».
Il suggère au pape, pour éviter tout scandale financier, que « ni les évêques ni les ordres religieux ne puissent posséder des crédits d’aucune sorte », et que « les biens ecclésiastiques » soient plutôt « investis en biens fonciers, dont les revenus seraient confiés aux Chartreux et aux Trappistes ».
Mais le concile doit se clore à la hâte face à l’avancée des soviétiques, et Jean XXIII est bientôt contraint à prendre le chemin de l’exil, où il mourra après avoir recommandé – devant ce qui reste du Sacré-Collège – que son successeur soit élu par trois électeurs seulement. Pio Ducadelia est, quant à lui, capturé et emmené en Russie, où il subit la torture.
A son retour à Rome, il découvre, à sa plus grande stupeur, qu’il a été élu pape. En signe de vénération filiale, il décide de prendre le nom de son prédécesseur, Jean.
A peine installé, Jean XXIV explique que la tâche principale de son pontificat sera de lutter pour « la pureté intérieure » de l’Eglise et contre ce qui est pour lui de l’« ecclésiastisme » et qu’il décrit de la façon suivante : « ce sont tous ces grands prélats décrépis qui ne veulent pas de changement dans l’Eglise parce que tout leur va bien comme ça ».
Pour mener cette « bataille de la pureté intérieure », Ducadelia réduit de deux tiers la bureaucratie vaticane, ainsi que les salaires de la Curie romaine, non sans mécontentements. Il quitte le palais apostolique, voyage en métro, vend certains trésors, et n’a de cesse de pourfendre, jusque sur son lit de mort, le « pharisaïsme dans l’Eglise », qui l’empêchera de voir son rêve se réaliser.
Difficile de ne pas voir dans la figure de Jean XXIV une sorte d’anticipation du pontificat actuel : d’ailleurs le trait d’humour de François à l’évêque de Raguse nous y invite.
On peut aussi remarquer que le pontife argentin a tenté d’initier les réformes de l’Eglise que Castellani imaginait dans son roman : certains diront que le pape François, entrevoyant l’impasse dans laquelle se trouve son pontificat, et sachant peut-être que ses jours sont comptés, souhaite qu’un successeur puisse achever le travail commencé par lui, à l’instar du héros du roman.
L’avenir dira si la réalité rejoint la fiction, et jusqu’à quel point le pape argentin aura ressuscité le Don Quichotte du père Castellani.
Il faut toutefois noter que le pape François, selon un article du journal La Croix du 29 mai dernier, aurait déjà fait la même réflexion à un chef d’Etat – qui n’est pas nommé dans l’article – à une invitation semblable.
L’Osservatore Romano a publié deux articles sur le P. Leonardo Castellani en 2015, dont la traduction est disponible sur le site zenit.org
(Sources : Aciprensa/Jean XXIV – FSSPX.Actualités)
illustration : © diocesidiragusa.it