La mission du pape définie par Benoît XVI

Source: FSSPX Actualités

 

(…) Le Seigneur promet son Esprit Saint aux disciples. La première lecture que nous avons entendue nous dit que l’Esprit Saint sera une «force» pour les disciples; l’Evangile ajoute qu’il sera le guide vers la Vérité tout entière. Jésus a tout dit à ses disciples, étant lui-même la Parole vivante de Dieu, et Dieu ne peut pas donner plus que lui-même. En Jésus, Dieu s’est entièrement donné à nous — c’est-à-dire qu’il nous a tout donné. En plus de cela, ou à côté de cela, il ne peut exister aucune autre révélation en mesure de transmettre davantage ou de compléter, de quelque manière que ce soit, la Révélation du Christ. En Lui, dans le Fils, tout nous a été dit, tout nous a été donné. Mais notre capacité de comprendre est limitée; c’est pourquoi la mission de l’Esprit est d’introduire l’Eglise de façon toujours nouvelle, de génération en génération, dans la grandeur du mystère du Christ. L’Esprit ne présente rien de différent et de nouveau à côté du Christ; il n’y a aucune révélation pneumatique à côté de celle du Christ — comme certains le croient —, aucun deuxième niveau de Révélation. Non: «c’est de mon bien qu’il recevra», dit le Christ dans l’Evangile (Jn 16, 14). Et de même que le Christ dit seulement ce qu’il sent et reçoit du Père, de même l’Esprit Saint est l’interprète du Christ. «C’est de mon bien qu’il recevra». Il ne nous conduit pas dans d’autres lieux, éloignés du Christ, mais il nous conduit toujours davantage dans la lumière du Christ. C’est pourquoi la révélation chrétienne est, dans le même temps, toujours ancienne et toujours nouvelle. C’est pourquoi tout nous est toujours et déjà donné. Dans le même temps, chaque génération, dans la rencontre infinie avec le Seigneur — rencontre qui a lieu à travers l’Esprit Saint — apprend toujours quelque chose de nouveau.

 (…) Le Christ ressuscité a besoin de témoins qui l’ont rencontré, d’hommes qui l’ont connu intimement à travers la force de l’Esprit Saint. D’hommes qui l’ayant, pour ainsi dire, touché du doigt, peuvent en témoigner. C’est ainsi que l’Eglise, la famille du Christ, a grandi de «Jérusalem... jusqu’aux extrémités de la terre», comme le dit la lecture. C’est à travers les témoins que l’Eglise a été construite — à commencer par Pierre et par Paul, et par les Douze, jusqu’à tous les hommes et toutes les femmes qui, comblés du Christ, ont rallumé et rallumeront au cours des siècles de manière toujours nouvelle la flamme de la foi. Chaque chrétien, à sa façon, peut et doit être le témoin du Seigneur ressuscité. Quand nous lisons les noms des saints nous pouvons voir combien de fois ils ont été — et continuent à être — tout d’abord des hommes simples, des hommes dont émanait — et émane — une lumière resplendissante capable de conduire au Christ.

Mais cette symphonie de témoignages est également dotée d’une structure bien définie: aux Successeurs des Apôtres, c’est-à-dire aux Evêques, revient la responsabilité publique de faire en sorte que le réseau de ces témoignages demeure dans le temps. Dans le sacrement de l’ordination épiscopale leur sont conférés le pouvoir et la grâce nécessaires à ce service.  Dans ce réseau de témoins, une tâche particulière revient au Successeur de Pierre. Ce fut Pierre qui exprima le premier, au nom des Apôtres, la profession de foi: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Mt 16, 16). Telle est la tâche de tous les Successeurs de Pierre: être un guide dans la profession de foi en Christ, le Fils du Dieu vivant. La Chaire de Rome est avant tout la Chaire de ce credo. Du haut de cette Chaire, l’Evêque de Rome est tenu de répéter constamment: «Dominus Iesus — «Jésus est le Seigneur», comme Paul l’écrivit dans sa Lettre aux Romains (10, 9) et aux Corinthiens (1 Co 12, 3). Il dit aux Corinthiens avec une emphase particulière : «Car, bien qu’il y ait, soit au ciel, soit sur la terre, de prétendus dieux... pour nous en tous cas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père... et un seul Seigneur Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes» (1 C 8, 5). La Chaire de Pierre oblige ceux qui en sont les titulaires à dire — comme Pierre le fit déjà dans un moment de crise des disciples — alors qu’un grand nombre voulaient s’en aller: «Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu» (Jn 6, 68sq). Celui qui siège sur la Chaire de Pierre doit rappeler les paroles que le Seigneur adressa à Simon Pierre à l’heure de la Dernière Cène: «Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères...» (Lc 22, 32). Celui qui est le titulaire du ministère pétrinien doit avoir la conscience d’être un homme fragile et faible — de même que ses propres forces sont fragiles et faibles — qui a constamment besoin de purification et de conversion. Mais il peut également avoir la conscience que c’est du Seigneur que lui vient la force pour confirmer ses frères dans la foi et les garder unis dans la confession du Christ crucifié et ressuscité. Dans la première Lettre de saint Paul aux Corinthiens, nous trouvons le récit le plus ancien de la résurrection que nous connaissons. Paul l’a fidèlement recueilli des témoins. Ce récit parle tout d’abord de la mort du Seigneur pour nos péchés, de sa sépulture, de sa résurrection, qui a eu lieu le troisième jour, puis il dit: «[le Christ] est apparu à Céphas, puis aux Douze...» (1 Co 15, 4). La signification du mandat conféré à Pierre jusqu’à la fin des temps est ainsi encore une fois résumée: être témoin du Christ ressuscité.

 L’Evêque de Rome siège sur sa Chaire pour témoigner du Christ. Ainsi la Chaire est le symbole de la potestas docendi, cette autorité d’enseignement qui est la partie essentielle du mandat de lier et de délier conféré par le Seigneur à Pierre et, après lui, aux Douze. Dans l’Eglise, l’Ecriture Sainte, dont la compréhension s’accroît sous l’inspiration de l’Esprit Saint, et le ministère de l’interprétation authentique, conféré aux apôtres, appartiennent l’un à l’autre de façon indissoluble. Là où l’Ecriture Sainte est détachée de la voix vivante de l’Eglise, elle devient la proie des discussions des experts. Tout ce que ces derniers ont à nous dire est certainement important et précieux; le travail des savants est d’une aide appréciable pour pouvoir comprendre ce processus vivant à travers lequel l’Ecriture a grandi et comprendre ainsi sa richesse historique. Mais la science ne peut pas nous fournir à elle seule une interprétation définitive et faisant autorité; elle n’est pas en mesure de nous donner, dans l’interprétation, la certitude avec laquelle nous pouvons vivre et pour laquelle nous pouvons également mourir. C’est pourquoi, nous avons besoin d’un mandat plus grand, qui ne peut pas naître uniquement des capacités humaines. C’est pourquoi nous avons besoin de la voix de l’Eglise vivante, de cette Eglise confiée à Pierre et au collège des apôtres jusqu’à la fin des temps.

 Cette autorité d’enseignement effraie un grand nombre d’hommes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise. Ils se demandent si celle-ci ne menace pas la liberté de conscience, si elle n’est pas une présomption s’opposant à la liberté de pensée. Il n’en est pas ainsi. Le pouvoir conféré par le Christ à Pierre et à ses successeurs est, au sens absolu, un mandat pour servir. L’autorité d’enseigner, dans l’Eglise, comporte un engagement au service de l’obéissance à la foi. Le Pape n’est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté font loi. Au contraire: le ministère du Pape est la garantie de l’obéissance envers le Christ et envers Sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais se soumettre constamment, ainsi que l’Eglise, à l’obéissance envers la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives d’adaptation et d’appauvrissement, ainsi que face à tout opportunisme. C’est ce que fit le Pape Jean-Paul II lorsque, face à toutes les tentatives, apparemment bienveillantes envers l’homme, face aux interprétations erronées de la liberté, il souligna de manière catégorique l’inviolabilité de l’être humain, l’inviolabilité de la vie humaine de sa conception jusqu’à sa mort naturelle. La liberté de tuer n’est pas une véritable liberté, mais une tyrannie qui réduit l’être humain en esclavage. Le Pape est conscient d’être, dans ses grandes décisions, lié à la grande communauté de foi de tous les temps, aux interprétations faisant autorité qui sont apparues le long du chemin du pèlerinage de l’Eglise. Ainsi son pouvoir ne se trouve pas «au dessus», mais il est au service de la Parole de Dieu, et c’est sur lui que repose la responsabilité de faire en sorte que cette Parole continue à rester présente dans sa grandeur et à retentir dans sa pureté, de façon à ce qu’elle ne soit pas détruite par les changements incessants des modes.

  

Déjà dans son livre Jean-Paul II. Vingt ans dans l’histoire (Bayard, 1999), le cardinal Joseph Ratzinger déclarait que l’opinion d’un pape doit s’effacer devant la foi de l’Eglise.

 Le fait d’avoir changé le "nous" du style pontifical pour le "je" personnel et immédiat de l’orateur (…) peut paraître comme l’élimination normale d’un usage antique peu approprié à notre temps. Mais l’on ne saurait oublier que ce "nous" n’était pas seulement une formule de la rhétorique de cour.

 Quand le pape parle, ce n’est pas en son nom propre qu’il parle. A ce moment-là, en dernière analyse, les théories et les opinions privées qu’il a élaborées au cours de sa vie ne comptent pas, quelque élevé que puisse être leur niveau intellectuel. Le pape ne parle pas alors comme un homme singulier, un simple savant doté de son "je" privé, ou encore comme un soliste sur la scène de l’histoire spirituelle de l’humanité, mais en puisant au "nous" de la foi de toute l’Eglise à l’intérieur duquel le "je" se doit de s’effacer.

 Il me vient à la mémoire, à ce propos, l’exemple du grand pape humaniste Pie II, Enea Silvio Piccolomini (ndlr : pape de 1458 à 1464) : en tant que pape puisant à ce "nous" du Magistère pontifical, il devait parfois dire des choses en contradiction avec les théories du savant humaniste qu’il avait été auparavant. Quand on lui faisait remarquer de telles contradictions, il avait l’habitude de répondre : "Eneam rejicite, Pium recipite" ("Rejetez Enea, recevez Pie"). En un sens, le remplacement du "nous" par le "je" n’est donc pas un fait anodin.