La réforme de la Curie et les paradoxes ecclésiologiques du père Ghirlanda
Le père Gianfranco Ghirlanda
Le 19 mars, le pape François, avec la constitution apostolique Praedicate Evangelium, a procédé à une réorganisation radicale de la Curie romaine, peut-être la plus profonde depuis l’époque de Sixte Quint. Le texte législatif en question a été présenté le 21 mars par le cardinal Marcello Semeraro, avec Mgr Marco Mellino – actuel secrétaire du Conseil des cardinaux – et le père Gianfranco Ghirlanda, jésuite et canoniste réputé.
La fameuse réforme de la Curie, annoncée depuis le début du pontificat du pape François, semble avoir atteint son but, du moins en ce qui concerne la réorganisation des organes qui la composent. Avant l’examen approfondi des principes doctrinaux qui sous-tendent ce texte, certains aspects, et le court-circuit théologique mis involontairement en évidence par le P. Ghirlanda, méritent l’attention.
La création de la Curie
Les congrégations romaines ont été établies en 1588 par Sixte V, bien que la Sacrée Congrégation de l’Inquisition, le Saint-Office, existe depuis 1542. Elles devaient permettre de traiter plus rapidement les affaires qui, jusqu’alors, étaient examinées par les cardinaux réunis en consistoire avec le Pape.
Avec l’augmentation du nombre d’affaires, Sixte V a réuni les cardinaux en groupes de travail, les congrégations, avec leurs fonctionnaires et leurs conseillers, afin qu’ils traitent la plupart des problèmes, renvoyant les cas les plus importants au pape. Ces congrégations, profondément réformées sous Paul VI, ont été ensuite rejointes par des commissions pontificales pour traiter de questions plus spécifiques ou d’actualité.
Aujourd’hui, le terme “congrégation” disparaît pour laisser place au terme “dicastère”. Mgr Semeraro a expliqué que le terme congrégation, qui remonte à l’époque de Sixte V, supposait que seuls les cardinaux détenaient la présidence. « Ce n’est plus le cas. Le terme “dicastère” suggère qu’en principe tous les baptisés peuvent occuper cette fonction : clercs, consacrés, laïcs. »
« Le terme dicastère », a conclu le cardinal, « est un terme laïc ; congrégation est un terme clérical : un laïc peut présider un dicastère, un laïc, selon les critères indiqués. Le dicastère n’est pas un terme générique mais devient un terme spécifique ».
Dans quelle mesure la congrégation ne peut concerner les laïcs, c’est difficile à dire. Mais au-delà du vocabulaire, la grande nouveauté de la constitution apostolique réside dans le fait que les dicastères ne sont plus des réunions de cardinaux avec leurs assistants, qui sont tous des clercs, mais qu’il est prévu que des laïcs puissent en faire partie, et même en être les préfets.
Les laïcs ou les religieuses font depuis longtemps partie du personnel des congrégations, et occupent des postes importants comme celui de secrétaire, ordinairement occupé par un évêque. Seule la préfecture est théoriquement un rôle de cardinal, mais François avait déjà créé de nombreuses exceptions, n’accordant plus la pourpre à plusieurs préfets des anciennes congrégations.
La question de l’origine du pouvoir de juridiction dans l’Eglise
Le principal problème vient du fait que nombre de ces rôles nécessitent l’exercice d’une juridiction ecclésiastique au for externe, déléguée par le Pape. Or, la juridiction ecclésiastique, de droit divin, ne peut être reçue que par des clercs, comme le rappelait l’ancien canon 118. Ils ne la reçoivent pas par l’ordination, mais par la collation d’un office par leur supérieur. Seul le pape reçoit ce pouvoir directement du Christ, et dans sa plénitude.
Lumen Gentium a modifié cette doctrine, en affirmant que, pour les évêques, la juridiction n’est pas reçue du pape mais du sacrement de l’ordre lui-même. Cette erreur, condamnée par l’Eglise jusqu’à Pie XII inclus, réitérée à de nombreuses reprises dans des documents ultérieurs et par le nouveau droit canonique, fonde l’autre erreur de la collégialité et la tant vantée praxis synodale.
D’une erreur à l’autre
Comment alors, d’un point de vue moderniste, résoudre l’attribution systématique de la juridiction aux laïcs ? Le père Ghirlanda, l’un des plus importants canonistes romains, l’a expliqué de manière surprenante lors de la présentation de Praedicate Evangelium.
Le préfet d’un dicastère, explique le jésuite, « n’a pas d’autorité en raison du rang hiérarchique dont il est investi », mais en raison du « pouvoir » qu’il reçoit du pape. « Si le préfet et le secrétaire d’un dicastère sont des évêques, cela ne doit pas conduire au malentendu que leur autorité provient du rang hiérarchique qu’ils reçoivent, comme s’ils agissaient avec un pouvoir propre.
« Le pouvoir vicaire d’exercer une fonction est le même, qu’il soit reçu d’un évêque, d’un prêtre, d’un homme ou d’une femme consacré(e), ou d’un laïc ou d’une laïque. »
En termes non équivoques, le père Ghirlanda conclut : « le pouvoir de gouvernance dans l’Eglise ne vient pas du sacrement de l’Ordre, mais de la mission canonique ». Avec cette phrase, le jésuite Ghirlanda annule en un clin d’œil l’erreur de Lumen Gentium, comme si de rien n’était… mais dans le but d’inclure les laïcs dans l’exercice du pouvoir de gouvernance – ce qui est contraire à la loi divine.
Jean XXIII a initié ses réformes en consacrant évêques les cardinaux de la Curie qui ne l’étaient pas. Les canonistes expliquent que la Curie doit être composée surtout d’évêques, pour montrer la participation à la « sollicitude de toutes les églises » qui revient à chacun d’entre eux par son ordination et son appartenance au collège des évêques.
La juridiction ne doit donc plus être considérée comme découlant du Pape mais de l’ordre épiscopal, qui participe, par le biais de la curie et des synodes, au soin de l’Eglise universelle.
Aujourd’hui, par un renversement soudain, la participation des laïcs à la délégation du pouvoir de juridiction annule un aspect essentiel de la constitution divine de l’Eglise, dans laquelle seul le clergé a droit à tout pouvoir public.
Cette nouveauté semble comme un écho de l’interview que Welby, “archevêque” de Canterbury, a accordée aux médias du Vatican le 6 octobre dernier, en parlant de la synodalité : « Dans l’anglicanisme, la synodalité, la plupart des synodes [...] ont trois chambres ou au moins deux. Dans l’Eglise d’Angleterre, par exemple, nous avons trois chambres : les évêques, le clergé et les laïcs. »
Il y a quelques années, le synode sur la famille a été précédé et contourné par le document réformant les processus matrimoniaux : annuler des mariages en un mois, sur la seule base de la déclaration des conjoints, est beaucoup plus simple que de rechercher comment donner la communion à des divorcés remariés.
Le synode sur la synodalité est sur le point de s’ouvrir, ayant déjà été contourné par le document sur la réforme de la Curie, le problème n’est plus de savoir comment faire participer le collège des évêques au gouvernement de l’Eglise universelle, mais comment donner à tout le monde – clergé, laïc et évêques – la possibilité d’occuper toutes les fonctions.
Si l’erreur moderniste n’a pas encore complètement annulé la hiérarchie issue du sacrement de l’Ordre – bien qu’elle l’ait diminuée et vidée avec la nouvelle liturgie – elle a maintenant tout simplement effacé la distinction entre laïcs et clercs de l’autre hiérarchie, celle du gouvernement, par une erreur tout aussi pernicieuse. (*)
Il semble étrange que, pour parvenir à ce résultat, un homme aussi bien formé que le père Ghirlanda soit prêt à remanier Lumen Gentium sans même mentionner le problème.
(*) Il y a, dans l’Eglise, une double hiérarchie qui relève des mêmes sujets : la hiérarchie d’ordre, fondée sur le sacrement du même nom, et qui comporte au moins trois degrés – évêque, prêtre et diacre ; et la hiérarchie de juridiction, qui est fondée ultimement sur le pape pour toute l’Eglise et sur les évêques dans leurs diocèses, sans préjudice de celle du pape. Les prêtres - en particulier les curés - reçoivent la juridiction de leur évêque ou directement du pape. Seuls les clercs peuvent appartenir à la hiérarchie de juridiction.
(Sources : vatican news/Acistampa - FSSPX.Actualités)
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