Le cardinal Zuppi ou les regrets d’un papabile

A Bologne, sous le ciel estival de la Piazza Maggiore, un singulier spectacle s’est déroulé le 15 juin 2025 : lors de la clôture du colloque La Repubblica delle Idee – organisé par La Repubblica – le cardinal Matteo Maria Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence des évêques d’Italie (CEI), a livré une ode mélancolique vantant les mérites du prédécesseur de Léon XIV.

Dès l’ouverture du dialogue entre le haut prélat et Francesco Merlo, le ton est donné. Stefano Cappellini, vice-directeur de La Repubblica, introduit les deux invités avec une pointe d’ironie à peine dissimulée, évoquant avec espièglerie que beaucoup avaient espéré que le débat n’ait pas lieu, car « l’un des invités ici présent aurait pu être retenu par un engagement plus prestigieux dans une autre ville ».

Le sous-entendu est limpide. La Repubblica, de centre-gauche, rêvait de voir le cardinal Zuppi, son favori, émerger du conclave, revêtir la mozzette papale et accorder sa bénédiction Urbi et Orbi depuis la loggia. Ce rêve, hélas, s’est brisé, et le journal, fidèle à sa ligne éditoriale, ne cache pas sa déception face à l’élection d’un pape qu’il juge, à mots à peine voilés, inadéquat.

Francesco Merlo, avec son aisance rhétorique, enfonce le clou. « Un an après notre dernière rencontre, que s’est-il passé ? » demande-t-il, avant de répondre lui-même : « Il n’y a plus François, et nous sommes ceux qui le regrettent. » Il décrit Léon XIV comme un pontife « froid », un homme qui « fait le pape » sans en incarner l’âme, contrairement à François, dont le charisme rayonnait précisément parce qu’il semblait transcender les attributs traditionnels du pontificat.

Merlo, avec une pointe d’exagération, déplore un retour à une liturgie solennelle, perçue comme un recul face à la spontanéité de l’ancien pape. A ce moment précis, tous les regards se tournent vers le cardinal Zuppi, dont l’autorité et la finesse d’esprit auraient pu tempérer ce jugement sévère. Mais le cardinal, avec une prudence qui frôle la complaisance, choisit le silence.

Plutôt que de défendre, même par courtoisie, le pape régnant, le patron des évêques italiens se joint au chœur des âmes nostalgiques. « Nous regrettons tous François », déclare-t-il, avant d'énumérer les legs de son pontificat : l’aspect “visionnaire” d’un pape dénonçant une « troisième guerre mondiale par morceaux », l’appel à construire des ponts plutôt que des murs, l’encyclique Laudato si’.

Pendant près de quarante-cinq minutes, le dialogue se borne à une célébration exclusive du pontife défunt, au point d’occulter l’actualité du nouveau pontificat. Léon XIV, premier pape américain, semble n’avoir jamais existé. Un silence d’autant plus compréhensible que La Repubblica n’a jamais caché son soutien au cardinal Zuppi comme candidat potentiel à la papauté.

Dès avant le conclave, les colonnes du journal regorgeaient d’éloges à son égard, le dépeignant comme l’héritier naturel de François, un homme de dialogue, adepte d’une « théologie du consensus ». Le public, écrasé par la chaleur estivale, écoute dans un silence résigné.

L’enthousiasme n’est pas au rendez-vous, et les applaudissements, rares, trahissent une certaine lassitude. Vers la fin du débat, Francisco Merlo, avec une pointe de malice, glisse une remarque flatteuse : « Vous avez été le favori de deux papes, espérons que vous le soyez d’un troisième. »

Allusion au fait que le haut prélat a été élevé à l’épiscopat par le pape Benoît XVI et créé cardinal par François. « Espérons-le », répond avec une ironie polie le cardinal Zuppi, confirmant que le vent semble avoir tourné depuis le 8 mai 2025…