Le chemin néocatéchuménal : une hérésie encouragée par Rome

Source: FSSPX Actualités

Un prêtre nous écrit : Avez-vous lu la lettre du Saint Père adressée à l’évêque allemand Mgr Paul Josef Cordes [vice-président du Conseil Pontifical pour les Laïcs], dans laquelle il approuve le mouvement «hérétique» des néocatéchumènes ? Et non seulement le pape approuve ce mouvement, mais qui plus est, il exhorte les Evêques à lui ouvrir leurs portes, en le reconnaissant «comme un itinéraire de formation catholique, adapté à la société et aux temps modernes». Ils doivent être très puissants et très influents ces néocatéchumènes ! Lors d’une apparition, la Très Sainte Vierge disait à la servante de Dieu Thérèse Musco : «Le Saint Père est entouré de faux prophètes». C’est effectivement le cas ! Vous ne pouvez pas savoir combien j’en suis attristé. Il me semble vivre, écrasé par un énorme poids. D’un côté l’amour, le respect, la «pietas» envers le «Doux Christ sur la terre», de l’autre la douleur devant certains actes que je ne peux pas approuver. Oh ! Combien devons-nous prier, faire une douce violence au Cœur Très Saint de Notre Seigneur bien aimé, afin qu’Il dissipe ces épaisses ténèbres qui nous entourent ! Lui qui a dit : «…Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la Vérité», qu’Il fasse resplendir comme un midi Sa Lumière et nous serons sauvés. (Lettre signée par un prêtre)

Malheureusement, nous ne pouvons que partager l’amertume de ce prêtre et ses légitimes raisons, tant il est vrai que ce mouvement néocatéchuménal ne mérite pas une approbation mais une réprobation. Ainsi, il ne faut pas le définir comme un «itinéraire de formation catholique» mais bien plutôt comme un itinéraire de perversion hérétique. C’est une sévère condamnation qu’il mérite et non un appel aux Evêques à le mettre en valeur. «Feu vert pour les néocatéchumènes… Jean-Paul II fait l’éloge du chemin néocatéchuménal…» titrait 30 Jours en octobre dernier dans l’article consacré à cette incroyable nouvelle. Feu vert à un mouvement hérétique qui de plus joue la carte du secret ! Le mouvement en fait n’a pas de statuts officiels. «Il n’existe pratiquement aucun texte normatif [de Francisco Argüello, dit Kiko et Carmen Hernandez, les fondateurs»] . Ceux qui existent n’ont pas de diffusion commerciale. Il s’agit tout au plus de pages dactylographiées à usage interne ou de brefs articles dans des revues à audience limitée.» En réalité, il existe seulement un texte «formatif» strictement réservé aux catéchistes, dactylographié et polycopié ; c’est la transcription des enregistrements d’une série de conférences tenues par Kiko et Carmen. Quand on réussit, très difficilement d’ailleurs, à se procurer ce document, on reste abasourdi en lisant les recommandations faites aux adhérents eux-mêmes, recommandations répétées plusieurs fois, de garder le secret sur les véritables objectifs de ce mouvement. «Ceci, ne le dites pas aux gens parce qu’ils s’enfuiraient à toute vitesse.» Toutes proportions gardées, nous sommes devant une association de type maçonnique : le programme réel est connu seulement d’un petit nombre et la masse est trompée. Et malheureusement quelqu’un a fait descendre sur cette tromperie l’approbation de Jean-Paul II pour faire taire – il n’est pas difficile de le comprendre – les quelques évêques qui dans plusieurs parties du monde catholique avaient jeté avec raison leur cri d’alarme. A titre de preuve de nos assertions et pour aider tous nos lecteurs, nous reprenons ci-après l’article que nous avons publié, en juin 1983, sur les néocatéchumènes.

Récemment a paru sur le mouvement une étude critique du Passioniste romain, le Père Enrico Zoffoli, qui n’a pas hésité à intituler son livre «Hérésies du mouvement néocatéchuménal» (Livre disponible en italien chez l’auteur : Piazza San Giovanni in Laterano 14, 00184 Rome). Nous nous proposons d’en reparler. Pour l’instant, une simple comparaison entre les sous-titres de notre article et l’index de l’étude du Père Zoffoli, suffit à démontrer que le «catéchisme» officiel, ou mieux le catéchisme secret du mouvement, est resté inchangé, comme du reste nous l’assure le père Zoffoli lui-même (p.8). Il apparaît surtout que les très graves hérésies, reconnues par plusieurs personnes en divers moments, sont évidentes dans un tel mouvement qui, tout en affirmant vouloir s’opposer à la «déchristianisation» du monde contemporain, «vise – comme l’a justement écrit le Père Zoffoli – à saper le christianisme». Et nous, nous ajoutons : Avec la bénédiction papale. Sunt lacrimæ rerum !

Le «fond» secret du mouvement

L’opinion approximative que je m’étais faite, par ouï-dire, de ce mouvement, était partiellement favorable, retenant qu’il s’agissait de groupes généreux, se livrant à une activité utile, même s’ils étaient un peu trop autonomes et un peu trop attachés à certaines de leurs originalités liturgiques. Mais l’analyse soigneuse que j’ai pu accomplir maintenant ne m’a que trop révélé un cadre bien différent et très grave. J’ai pu étudier attentivement le volume de près de 400 pages qui contient les «orientations» données aux catéchistes du mouvement, tirées des registres des «réunions faites par Kiko et Carmen» pour orienter les catéchistes de Madrid en février 1972. L’histoire, la finalité, la doctrine et la pratique du Mouvement sont condensées dans ce volume de la manière la plus authentique. Toutes mes citations entre guillemets, je les ai relevées soigneusement dans ce volume ; si je n’en indique pas la page c’est qu’il s’agit d’affirmations souvent répétées et que le livre, dactylographié et polycopié, ne se trouve pas facilement. Il s’agit, en fait, d’un texte réservé aux catéchistes, qui ne doivent le céder à personne d’autre. Il m’a fallu recourir à un stratagème pour l’avoir et le photocopier. C’est ce qui permet de noter toute de suite cette qualité négative du mouvement : le secret, l’ésotérisme. A plusieurs reprises il y est écrit «Ne dites rien de cela.» «Ce que je vais dire n’est pas fait pour que vous le disiez, aux gens, mais pour vous servir de base, de fondement». Mais c’est justement ce fond, cette base, qui sont inadmissibles. De ce fait, les catéchumènes et les supérieurs ecclésiastiques – auxquels les membres du mouvement montrent tant de respect – sont trompés, n’étant pas mis au courant de ce fond. Et il s’agit, comme je le montrerai, de graves déviations doctrinales et pratiques.

Accents charismatiques et méthodes de fanatiques

Dans le cadre douloureusement statique de certaines paroisses, les groupes catéchuménaux, avec leurs activités hebdomadaires (réunions bibliques préparées à tour de rôle par certains membres et longue réunion eucharistique), avec les échanges d’expériences faites et l’accentuation communautaire des réunions de cohabitations mensuelle, avec la formation systématique au support du prochain et au détachement des biens, avec la perspective avouée de n’être que sur la voie d’une conversion à poursuivre dans le pré-catéchuménat et le catéchuménat par un parcours de sept années, de tels groupes, dis-je, donnent une bonne impression d’engagement et de ferveur. Mais en réalité, est-ce ferveur ou fanatisme ? Est-ce un fruit de grâce ou de racolage ? Kiko se prête à la question : «Il ne s’agit pas, dit-il, de racoler qui que ce soit», puisqu’il ne se pratique aucun «lavage de cerveau par raisonnements». Mais cette sorte de «lavage» et de «racolage» viennent au contraire proprement de l’absence de raisonnements clairs remplacés par un feu roulant d’affirmations drastiques, suggestives, sur un ton charismatique.

Mises à part les différences évidentes de contenu, c’est par de semblables moyens de suggestion et en imposant radicalement la forte autorité du guide que s’est fait en Amérique le racolage de masses mises sous le joug de mouvements pseudo-religieux et sociaux aventureux, jusqu’à celui de Jim Jones, «le Temple du peuple», qui se termina par le tragique massacre de la Guyane le 18 novembre 1978. Les situations sont, sans aucun doute, tout ce qu’il y a de plus opposées, mais la méthode pour subjuguer est la même. Voici ce que dit Kiko : «Le christianisme traditionnel, consistant en baptême, … première communion, … messe dominicale, … ne pas tuer, ne pas voler … n’avait rien du christianisme, c’était une ordure…Nous étions “pré-chrétiens”… sans avoir reçu un esprit nouveau venu du ciel… A présent, Dieu nous a appelés pour lancer un Catéchuménat orienté vers la renaissance» ; «Même si nous sommes peu nombreux, nous marquons une pierre milliaire… rendant présent le fait que le règne de Dieu est arrivé sur la terre» ; pour la «rénovation du Concile», il a fallu la «découverte du Catéchuménat ; «je vous parle au nom de l’Eglise, au nom des évêques, … les catéchistes Catéchuménaux on un charisme confirmé par les Evêques» ; «je suis Jean-Baptiste au milieu de vous : convertissez-vous car le Règne de Dieu est tout proche de vous» ; «Je vous donne la vie à travers la parole de Dieu déposée en moi : … l’explication de la parole, c’est moi qui la donne» ; «comme Moïse le fut dans le désert, c’est nous qui sommes votre aide» ; «que Jésus est ressuscité, c’est attesté par les apôtres : moi aussi, je vous l’atteste, … j’en donne ma vie en gage» ; «tout comme Abraham cheminait, … il faut que vous cheminiez, vous aussi : selon la parole, nous vous remettrons le Saint-Esprit» ; «vous serez convoqués en assemblée par l’Esprit-Saint :… Dieu vous parlera» ; «tous, vous avez été montrés du doigt par Dieu» ; «aucune communauté fondée par nous n’a failli : … je vous assure que Dieu est ici».

L’oppression suggestive et fanatique est continuellement renforcée par le caractère radical et excessif des affirmations et des références bibliques intégralistes et dénués de critique. Par exemple, la «participation» (surnaturelle) à la nature divine est dite consister à «devenir Dieu même», à «avoir la nature divine ; ressusciter avec le Christ» correspond à «avoir le sang rédempteur même de Jésus-Christ», à devenir nous aussi «Esprit vivifiant» avec l’obligation de répéter et de «manifester à chaque génération ce qui est arrivé une seule fois sur le Calvaire, en nous laissant tuer» : l’influence délétère du péché personnel dans la communauté est dite «détruire la Communauté, l’Eglise» ; lorsqu’au cours du pré-catéchuménat «on dira de vendre les biens, il faudra les vendre tous, … ne pouvant autrement entrer dans le Royaume, ni même dans le Catéchuménat» ; notre christianisme d’avant notre conversion fait l’effet d’une ordure, etc. Tout cela accentue la pression et le fanatisme chez qui s’y est laissé prendre, surtout dans la perspective du long parcours de formation (sept ans).

Grossier mépris envers la Tradition

Les lacunes et la nocivité de ce mouvement apparaissent bien plus graves si, de ses méthodes, l’on passe à son contenu. Il n’y a pas une position doctrinale ou pratique catholique qui ne soit gravement déformée. Le tout est présenté avec un à-peu-près de confusions théologiques et bibliques impressionnant, joint à une attitude ostentatoire de fines redécouvertes et de reprise en mains des authentiques vérités chrétiennes, ensevelies et oubliées depuis des siècles. Il s’accompagne aussi de perspectives impressionnantes d‘engagement personnel élitiste et de sacrifice. La «redécouverte» des valeurs chrétiennes et authentiques est présentée sur un plan fidéiste, charismatique, de foi «existentiellement» vécue. Elle montre un cordial mépris pour les thèses «philosophiques» de l’Eglise et de ce qu’on appelle le «juridisme» de la spéculation dite «théologique» organisées dans les différents traités. «Ils avaient mis en boîte le Saint-Esprit, ils l’avaient embouteillé et mis en traité que nous pouvions dominer, où nous avions tous les plus purs joyaux de la connaissance de Dieu: De Dieu Un et Trine, du Dieu créateur, etc, et sans nous en rendre compte nous avions appauvri la vision de Dieu.»

Particulièrement regrettable fut «l’immobilisme presque total déterminé par le Concile de Trente», qui aurait finalement été surmonté par Vatican II. Semblablement, toute la structure, la pratique, la liturgie de l’Eglise seraient déchues, après la paix de Constantin et l’irruption des masses dans l’Eglise, en un «juridisme» de purs rites et de demandes de faveurs célestes, communs à toute pauvre «religiosité naturelle», en perdant l’authentique vitalité de foi de l’«Eglise primitive», qui finalement, après Vatican II, se «redécouvre», se récupère, justement grâce au mouvement catéchuménal. Le fait qu’aujourd’hui «les nations sortent de l’Eglise», constituerait à cet égard un avantage, neutralisant l’effet de cette irruption des masses et nous ramenant à l’époque pré-constantinienne. «Ainsi le christianisme pourra briller en toute sa pureté et sa fraîcheur. Ainsi pourrons-nous nous ré-accoster à l’Eglise primitive». C’est tracer une grande croix sur des siècles et des siècles de la vie de l’Eglise avec la présomption de n’avoir cure, entre autres, de tant de saints qui les ont constellés.

Conception luthérienne du salut

Il s’agit donc, non d’un mouvement de masse, mais d’un mouvement d’élite. Cependant, son intention est toute autre que de rester replié sur lui-même. Ils disent, sans doute : «Nous, nous ne conquérons personne, nous ne prêchons pas un christianisme prosélytiste» ; mais en réalité ils font pression pour multiplier leurs groupes dans les paroisses (groupes qui ne doivent pas dépasser quelques dizaines de membres). Ils entendent aussi constituer l’unique vraie manière pour le «salut du monde». Ici, nous touchons à une perspective fondamentale du mouvement, étroitement liée à une notion nébuleuse et inadmissible de «salut», continuellement et confusément répétée. Le salut consisterait à annoncer et à accueillir par la foi la «bonne nouvelle», celle de l’«événement» salvifique qu’est la résurrection de Jésus, cette définitive «victoire sur la mort» et, par là, d’un pardon amoureusement accordé par Dieu. Les catéchuménaux communiquent cette «bonne nouvelle» et manifestent ce «signe» en acceptant l’«événement» et le renouvellement personnel de la «victoire sur la mort».

Cette victoire adviendra, comme ce fut le cas pour Jésus, en «passant à travers la mort», c’est-à-dire en «nous faisant tuer» par un amour patient envers les autres, en répondant par la «non-violence» à leur opposition, en «finissant sur la croix des droits d’autrui qui nous détruisent». Par un tel témoignage, les catéchuménaux sauvent le monde : «les catéchuménaux sont les gardiens de la Parole qui est le germe de l’Esprit, ils sont l’Eglise : une communauté de frères. C’est là un mystère impressionnant : un groupe d’hommes sont déifiés et forment le Corps de Jésus-Christ ressuscité, le Fils de Dieu. Si ceci se produit en un lieu, c’est là que se produit la victoire sur la mort. C’est là une annonce constante de la Bonne Nouvelle que désormais la Vie Eternelle est arrivée, que le Règne de Dieu est proche. Et c’est ce qui sauve le monde».

Nous sommes en présence d’affirmations tapageuses qui, malgré quelques parcelles de vérité, ne sont aptes qu’à suggestionner, à embrigader, tout en cachant leur réelle gratuité et incohérence. Il apparaît aussitôt évident qu’entre le Calvaire de Jésus et celui que le prochain peut… nous procurer, il y a une belle différence ; que Jésus a vaincu la mort, non du seul fait de la supporter, mais en ressuscitant physiquement, et que la solidarité édifiante et l’altruisme d’un groupe, qui ne peuvent influer que sur un cercle restreint, ne sont certainement pas suffisant pour la diffusion universelle de la foi et du salut. Mais, à part cela, la plus grave équivoque concerne la notion fondamentale de salut. Il est vrai que, dans le cadre d’une si grande confusion théologique, s’enregistrent aussi, à l’opposé, des affirmations correctes. Mais elles sont contredites par d’innombrables autres affirmations, qui réduisent ce tout petit nombre exact à de vaines retouches et d’artificieuses échappatoires, moyen de défense contre la crainte de condamnations. C’est en vain, par exemple, qu’on affirme incidemment qu’il faut aussi «donner les signes de la foi. Nous ne sommes pas protestants. La foi sans les œuvres est morte».

Avant tout, les «œuvres» ne sont pas requises seulement comme un «signe», mais comme conformité obligatoire à la loi morale selon le divin vouloir. Ensuite et surtout, pareille affirmation est détruite par les innombrables répétitions de la conception nettement luthérienne à cet égard : aucun effort ascétique n’est joint au soutien de la grâce : le salut est dû exclusivement à la foi : «L’homme, s’étant séparé de Dieu, est demeuré radicalement impuissant à faire le bien, esclave du malin» ; «l’homme ne se sauve point au moyen des pratiques» ; «pour un chrétien à la Saint Louis – selon sa devise : “plutôt mourir que pécher” – il est fondamental d’être dans la grâce de Dieu, de ne pas perdre cette grâce, de persévérer. La grâce est une chose dont on ne sait trop ce que c’est, mais qu’on a à l’intérieur et avec laquelle il faut mourir… Mais ensuite j’ai compris que vivre dans la gratuité de Dieu qui persiste à te pardonner, grâce à son amour» ; «Dieu pardonne nos péchés et son Saint Esprit fait de nous de saints fils de Dieu. Et cela gratuitement pour quiconque croit que Jésus est l’envoyé du Père comme son Sauveur» ; «le christianisme n’est pas un appel à la conscience et à l’honnêteté, mais l’invitation à accueillir l’annonce du pardon gratuit de tous nos péchés» ; «le christianisme n’est pas un moralisme, Jésus-Christ n’est pas exactement un idéal, un modèle de vie, Il n’est pas venu nous donner l’exemple» ; «les sacrements ne constituent pas une aide à telle fin» ; «l’Esprit vivifiant est bien loin de pousser au perfectionnisme, aux bonnes œuvres, à la fidélité au Christ mort» ; «le christianisme n’exige rien de personne, il fait don de tout» ; «au plus pécheur, au plus vicieux, il fait don d’une vie éternelle» ; «Dieu est amour de l’ennemi… Si nous avons fait des choses horribles, Dieu nous aime et nous pardonne… De toi, Il n’exige rien». La Parole de salut n’exige pas, comme la loi, «un effort de plus, un effort intime, car il nous le donne tout entier».

Négation de la rédemption

Plus grave encore et au-delà même de la conception luthérienne est la négation de tout lien ontologique, surnaturel, méritoire, entre le salut et l’immolation de Jésus. Avec la notion de rédemption, de rachat, s’écroule l’un des points cardinaux de la foi. Par sa résurrection après sa mort, Jésus aurait simplement notifié aux hommes qui l’avaient tué sa volonté de pardon. Avec une ignorance crasse, on ose affirmer que, «grâce au renouvellement théologique opéré par le Concile, on ne parle plus du dogme de la Rédemption, mais du mystère de la Pâque de Jésus» ; comme si l’un contredisait l’autre. Et avec une insistance soulignée à la fin par une épaisse ironie : «Les idées sacrificielles sont entrées dans l’eucharistie par condescendance, suggérées par le moment historique , envers la mentalité païenne» ; «à la place du Dieu justicier des religions, qui, aussitôt que tu bouges, te donne un coup de trique sur la tête, nous découvrons le Dieu de Jésus-Christ» ; peut-être Dieu a-t-il besoin du sang de son Fils pour s’apaiser ? Mais quelle race de Dieu avons-nous faite ? Nous en sommes arrivés à penser que Dieu apaisait sa colère par le sacrifice de son Fils à la manière des dieux païens».

Négation de la confession

Comme je l’ai dit, toutes les vérités théologiques fondamentales sont gravement déformées, et naturellement aussi les sacrements. Je me bornerai à quelques détails sur ceux-ci, en particulier la Confession et l’Eucharistie. L’attitude de fond, très louable en soi, de vouloir paraître sérieux, est continuellement envenimée par l’incompréhension et par le mépris superficiel et présomptueux envers tout ce qui s’est enseigné et pratiqué jusqu’à présent. Voici, par exemple, comment traité par Carmen la classique et profonde distinction entre attrition et contrition. «On commence par donner de l’importance à la contrition. Cela fait vraiment rire de penser que seule l’attrition est nécessaire si l’on va se confesser, et la contrition si l’on ne se confesse pas». Voilà une ignorance moqueuse. Pour la confession, l’affirmation superficielle d’obéissance à l’Eglise ne fait pas défaut : «Nous maintenons la confession individuelle, parce qu’il faut la conserver et en outre parce qu’elle a sa valeur». Il est probable qu’il y aura eu aussi à cet égard quelque rappel explicite de la part de l’autorité. Mais c’est évidemment une pratique que l’on supporte simplement. Et elle est en antithèse avec tout le contexte de l’enseignement.

La notion du péché, entendu comme violation de la loi morale et comme rebellion à la volonté divine, est écartée comme étant la «conception légaliste qui regarde le péché comme manquement à une série de préceptes». L’on se moque de l’automatisme présumé des «expiations» assignées (la pénitence sacramentelle) pour obtenir le «pardon», car on oublie leur juste aspect de réparation (qui exige, certes, le repentir préalable, absolument essentiel). Le repentir est sous-estimé : «La conversion ne consiste pas à se repentir du passé, mais à se mettre en route vers l’avenir». (Comme si la conversion pouvait envisager un nouvel avenir sans réprouver le passé et s’attrister de l’offense faite à Dieu : offense qui n’est jamais nommée dans cette catéchèse. La conversion sans regret du passé se rattache à l’affirmation déjà vue du pardon «gratuit» de Dieu, sans «effort personnel, sans autre obligation que de se reconnaître pécheur et d’accepter ce pardon. Même si dans les réunions pénitentielles sont admises les confessions particulières rapides, entendues et absoutes par les prêtres, ces absolutions, considérées en elles-mêmes, sont, à plusieurs reprises, sous-estimées et même critiquées, tout comme le Concile de Trente qui les a prescrites, parce qu’elles donneraient à la confession un caractère «magique» (c’est une complète incompréhension de l’efficacité des sacrements ex opere operato). En se fondant sur un petit nombre d’auteurs, unilatéraux, suivis pas à pas, on expose une espèce d’histoire de la confession sans aucune référence au récit précis de son institution fait par l’Evangile. Une fois écartelée la maturation théologique sanctionnée par le Concile de Trente, la norme de la confession serait donnée par la pratique, confusément supposée, de l’Eglise primitive. Nous voici à une réunion pénitentielle du mouvement catéchuménal. «Tout ce que nous vous avons annoncé sur l’amour de Dieu nous donne le pouvoir non seulement d’annoncer le pardon, mais de le communiquer au moyen d’un signe» ; «dans l’Eglise primitive, le pardon n’était pas conféré par l’absolution, mais par la réconciliation avec toute la communauté au moyen du signe de la réadmission dans l’assemblée en un acte liturgique» ; «la valeur du rite ne réside pas dans l’absolution, vu qu’en Jésus-Christ nous sommes déjà pardonnés» ; «c’est la communauté ecclésiale, là présente, signe de Jésus-Christ pour les hommes, qui pardonne concrètement». Nous sommes alignés sur la négation protestante du vrai sacrement.

Grossières déformations

Tout cela est dit sans qu’ait été comprise le moins du monde la vraie nature du sacrement catholique, comme il ressort du grotesque exposé qu’on en fait : «C’est ainsi que nous avons pratiqué, nous catholiques, la confession, et voilà pourquoi cette pratique est aujourd’hui en crise. Le pardon passe au second plan, l’essentiel demeurant simplement de confesser ses péchés et de recevoir l’absolution. La confession se transforme en quelque chose de magique. On a une vue légaliste du péché, pour laquelle n’importe pas tellement l’attitude intérieure que l’acte extérieur de confesser, et dans tous les détails, tous les péchés en tout genre. C’est une vue individualiste, complètement privée, où l’Eglise n’apparaît nulle part, et c’est un homme qui te pardonne tes péchés».