Le fossé ukrainien sépare le Vatican des Etats-Unis

Dans le texte de l’Angélus du 23 février 2025 qu’il a renoncé à présider depuis son appartement de l’hôpital Gemelli de Rome, le pape François a évoqué l’anniversaire « douloureux et honteux pour toute l’humanité » du conflit en Ukraine qui entre dans sa quatrième année. En filigrane, apparaît la différence de perspective entre le Saint-Siège et la Maison-Blanche sur le dossier ukrainien.
Malgré une santé défaillante, le locataire de Sainte-Marthe tient encore fermement le gouvernail de l’Eglise entre ses mains : audiences accordées depuis son lit d’hôpital à de hauts prélats de la Curie, dont le cardinal Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, mais aussi divers messages, dont celui publié à l’occasion du troisième anniversaire de l’intervention militaire russe dans le Donbass.
« François a-t-il durci sa ligne sur l’Ukraine ? », s’interrogent les observateurs à la lecture du texte de l’Angélus : « Demain, c’est le troisième anniversaire de la guerre à grande échelle contre l’Ukraine : un anniversaire douloureux et honteux pour toute l’humanité ! Nous ne sommes pas nés pour tuer, mais pour élever les peuples, pour que les chemins de la paix soient trouvés », a-t-il déclaré.
Des termes notablement moins nuancés qu’à l’accoutumée et qui arrivent alors que la nouvelle administration américaine entend mettre au plus vite un terme au conflit qui ensanglante l’Europe, quitte à négocier directement avec Moscou et à écarter les chancelleries européennes, dont le Saint-Siège, qui redoutent d’être laissées de côté dans un dossier qui concerne le Vieux Continent.
Or, sur l’Ukraine – comme sur la question migratoire d’ailleurs – la différence de perspectives, pour ne pas dire l’opposition, entre Washington et le Vatican sont flagrantes et reflètent des visions du monde et des priorités radicalement distinctes. Le pape François, pour sa part, assume une posture de médiation spirituelle et aussi humanitaire.
En mars 2024, dans un entretien accordé à RSI, le pontife argentin a suggéré que l’Ukraine devait avoir « le courage de hisser le drapeau blanc » et de négocier avec la Russie : une déclaration qui a suscité des critiques à Kiev, dénonçant une invitation à capituler. Le nonce en Ukraine, Mgr Visvaldas Kulbokas, a « clarifié » les propos du pape.
Il a expliqué que ce dernier souhaitait une négociation équilibrée, impliquant d’abord un cessez-le-feu de la part de la Russie et non une reddition unilatérale. Le Vatican a également soutenu des efforts concrets, comme l’accueil de plus de 2 500 enfants ukrainiens à l’hôpital Bambino Gesu.
Une position réaffirmée le 23 février 2025 par le nonce en Ukraine : « Une telle guerre d’agression contre l’Ukraine viole non seulement les vies humaines, non seulement la paix en Ukraine, mais également le droit en lui-même, le droit international, le droit humanitaire international. Cela signifie qu’en enfreignant les règles de justice, il n’y a plus de points de référence », expose Mgr Kulbokas.
Quant à Donald Trump, depuis son retour à la Maison-Blanche, il promeut une approche transactionnelle et unilatérale, promettant de mettre fin à la guerre en négociant directement avec Vladimir Poutine. Sa stratégie semble privilégier un accord rapide, potentiellement au détriment de l’Ukraine.
Un accord qui reviendrait pour les Etats-Unis à reconnaitre la zone d’influence russe aux flancs de l’Europe, tout en conservant un accès privilégié aux minerais rares de la région, ressources qui constituent un enjeu géopolitique majeur à l’ère numérique.
Mais le Vatican ne lutte pas à armes égales : démuni de levier politique apte à émouvoir Donald Trump, l’appel à une « paix juste » demeure symbolique, soutenu par des actions humanitaires, comme le rapatriement d’enfants issus de certains territoires ukrainiens russophones déplacés en Russie ou l’échange de prisonniers.
C’est peut-être sur ce dernier terrain que la diplomatie vaticane pourrait s’entendre avec l’administration américaine afin de pouvoir peser un tant soit peu sur le futur d’une région où le christianisme demeure encore vivace.
(Sources : Vatican News/The Pillar – FSSPX.Actualités)
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