Le Nigéria à la croisée des chemins (2)

Source: FSSPX Actualités

Les Etats nigérians ayant introduit la charia entre 1999 et 2001

L’Aide à l’Eglise en détresse (AED) fournit une aide précieuse aux catholiques placés dans des situations de difficulté profonde dans le monde entier. Elle a publié un rapport sur le Nigéria où les catholiques souffrent depuis des dizaines d’années et paient l’impôt du sang dans des proportions effarantes. Après la situation politique, le rapport traite de la situation religieuse.

Les chrétiens représentent environ 46,2% de la population. Il y a 12,4% de catholiques (d’autres sources donnent 14%) et les autres croyances chrétiennes représentent 33,8%. L’islam est la religion de 45,8% des Nigérians, la plupart étant sunnites. Le reste de la population (7%) a des croyances religieuses traditionnelles. Le christianisme est majoritaire dans le sud, et l’islam dans le nord.

Le Nigéria garantit la liberté religieuse par l’article 15 de la Constitution. L’article 10 stipule que ni le Nigéria en tant que République fédérale, ni aucun de ses Etats individuels ne peut adopter une religion d’Etat. L’article 38 (II) stipule que nul ne peut être contraint de participer à une instruction religieuse contre son gré si cette instruction n’est pas conforme à sa foi.

La charia

La charia est le droit islamique fondé sur le Coran et les traditions de Mahomet (Hadith et Sunna), qui prescrit des devoirs religieux et séculiers et parfois des peines en cas de violation de la loi. Ce système régit tous les aspects de la vie musulmane, le comportement personnel et public, l’observance de la vie religieuse, mais aussi les questions familiales et commerciales.

La loi islamique est apparue au Nigéria vers le début du 19e siècle et est restée applicable jusqu’à l’arrivée du régime colonial britannique dans le nord du Nigéria en 1903, qui a aboli la charia. En octobre 1999, Gusau, la capitale de l’Etat de Zamfara, a réadopté les codes juridiques fondés sur la charia, en parallèle avec les tribunaux laïques.

A la fin de 2001, 11 autres Etats avaient rejoint le Zamfara et réintroduit la charia “intégrale”. Nombre de ces lois prévoient de lourdes peines pour le blasphème, y compris la peine de mort. A Kaduna et au Niger, qui font partie des 12 Etats, la charia ne s’applique pas à l’ensemble de l’Etat.

Les pays africains qui appliquent la loi islamique s’en servent rarement comme base pour leur code pénal. Mais les tribunaux nigérians appliquant la charia le font, même si des peines sévères telles que l’amputation et la lapidation sont rarement portées – et lorsqu’elles l’ont été, elles n’ont pas été exécutées.

Jusqu’en janvier 2022, une seule personne, (Etat de Katsina), a été exécutée depuis que 12 Etats à majorité musulmane ont adopté la charia. En 2020, un tribunal islamique de l’Etat de Kano, au Nigéria, a condamné à mort un musicien, pour avoir tenu des propos blasphématoires à l’encontre de Mahomet, mais un nouveau procès a été ordonné en 2024.

L’année dernière, le meurtre horrible de Deborah Yakubo, une étudiante chrétienne du Shehu Shagari College of Education à Sokoto, dans le nord du Nigéria, accusée de blasphème par des camarades de classe, a remis le débat sur le devant de la scène. Cet acte de lynchage et d’exécution sommaire renforce la crainte des chrétiens du nord de voir certains musulmans se radicaliser.

Selon le dernier rapport de l’AED sur la liberté religieuse, la charia a accentué les divisions dans le pays. Lorsque 12 Etats ont introduit la loi islamique, les émeutes qui ont suivi ont coûté la vie à plusieurs milliers de personnes, tant chrétiennes que musulmanes.

Eglise catholique au Nigéria

Il se dit que la majorité des chrétiens vivent dans le sud, mais des villes comme Jalingo, Jos et Benue, dans le nord et le centre du Nigéria, sont majoritairement chrétiennes, et d’autres, comme Kaduna, Abuja et Nassarawa sont chrétiennes pour moitié. En revanche, Kwara, qui se trouve dans le sud, ne compte environ que 40% de chrétiens.

La région Yoruba à l’ouest est traditionnellement protestante et anglicane, tandis que l’Igboland à l’est a toujours été la région la plus active de l’Eglise catholique. Sur l’ensemble des chrétiens, 64% sont protestants et 25% sont catholiques. Il existe de nombreuses petites églises africaines qui se sont détachées des dénominations protestantes.

Discrimination des chrétiens dans le nord du Nigéria

La situation actuelle a créé de fortes tensions et polarisé la nation sur le plan politique. Les décisions, les déclarations et les nominations des dirigeants politiques amènent de nombreux Nigérians à s’interroger sur l’unité du pays. La Constitution reconnaît le caractère fédéral, ce qui signifie que tous les secteurs du pays doivent être représentés dans l’administration fédérale. Or, ce n’est pas cas.

Force est de constater la concentration du pouvoir politique et militaire dans des mains musulmanes, en particulier de la même famille ethnique : les Hausa-Fulani. Tous les fonctionnaires qui conseillent le président sont des Hausa-Fulani : près de 95% du pouvoir politique et militaire est concentré entre les mains des musulmans, dans un pays qui compte environ 50% de chrétiens.

Les chrétiens du nord du pays parlent d’une discrimination systémique fondée sur la religion. « Pour pouvoir pratiquer sa religion librement, il faut pouvoir prêcher n’importe où. Ce n’est pas possible dans le nord. Je ne peux pas construire d’église, mais le gouvernement emploie et paie des imams pour enseigner dans les écoles. Chaque année, le budget prévoit de l’argent pour construire des mosquées, mais ne permet pas de construire des églises », explique l’archevêque de Kaduna.

Voici comment les chrétiens expliquent le fait qu’ils se sentent comme des citoyens de seconde zone, selon un rapport de l’AED :

Des citoyens de seconde zone :

– Refus d’accès aux partis politiques, exclusion politique
– Pas d’équité dans le recrutement des forces armées (police, armée, etc.)
– Absence de protection sociale et d’accès à l’aide sociale
– Moins d’opportunités d’emploi, manque de promotion dans les postes publics Alors que l’enseignement de la religion chrétienne n’est pas autorisée dans les écoles publiques, des enseignants islamiques sont employés dans toutes les écoles publiques dans le nord du Nigéria
– Enlèvements et mariages forcés
– Les hommes chrétiens ne sont pas autorisés à épouser des femmes musulmanes. Les étudiants portant des noms chrétiens se sont vu refuser l’accès à des cours professionnels. Nombre d’entre eux choisissent de changer de nom en écoles
– Les groupes et institutions chrétiens n’ont pas la possibilité de construire des chapelles ou des lieux de culte dans les établissements d’enseignement supérieur.
– Les églises chrétiennes ne sont pas autorisées à acheter des terres

La charia s’applique aux chrétiens :

– Le hijab doit être porté par toutes les jeunes filles dans les écoles
– Les normes morales musulmanes traditionnelles – Hisbah – sont souvent imposées par la force, y compris aux non-musulmans. Il peut s’agir d’empêcher la mixité dans les transports, d’imposer un code vestimentaire, en particulier aux femmes dans les établissements d’enseignement, d’empêcher la diffusion de musique et de films et de saisir et détruire les boissons alcoolisées.
– La vente d’alcool est interdite dans certains Etats du Nigeria.