Le pape de demain selon les progressistes

Source: FSSPX Actualités

Dans Le Monde des 3 et 4 avril 2005, le journaliste Henri Tincq indique « les cinq défis lancés au pape de demain ». Selon lui, le prochain pape devra répondre aux questions suivantes : Comment décentraliser le gouvernement de l’Eglise ? Comment éviter le divorce avec la société moderne ? Comment pallier le manque de vocations ?  Comment relancer le dialogue œcuménique ? Comment approfondir les relations avec le judaïsme et l’islam ? - Voici les principaux extraits de ce long article qui donne implicitement le portrait-robot du pape que souhaitent les progressistes.

1.     Décentraliser le pouvoir romain

(…) Le successeur de Jean-Paul II sera-t-il sensible aux demandes qui visent à la décentralisation du système d’autorité catholique ? Celle-ci passe par une limitation du champ de compétences de la Curie romaine, par de plus larges délégations aux conférences nationales d’évêques, par une réforme de la procédure des nominations, par une nouvelle pratique des synodes locaux et épiscopaux. Indépendante de contraintes politiques qui ont disparu et des oppositions conservatrices, l’Eglise paraît aujourd’hui plus libre qu’elle ne l’a jamais été pour réfléchir aux conditions de sa mission, de son développement, de sa réforme institutionnelle, de son adaptation aux cultures et aux besoins des hommes du XXIè siècle. Le nouveau pape saura-t-il tirer profit d’une telle conjoncture ?

2.     Combler le divorce avec la société moderne

 (…) Le prochain pape ne devrait pas s’éloigner des positions suivantes : la première, c’est la reconnaissance, sans arrière-pensée ni nostalgie, du pluralisme des options religieuses et éthiques ; la deuxième, c’est le refus de la privatisation de la foi et de la marginalisation de l’Eglise ; la troisième, c’est la possibilité laissée à cette Eglise de jouer son rôle de contestation des fondements de la culture, de la société et de l’éthique.

 Sans contraindre. Car la foi chrétienne ne peut plus être pensée comme un système rigide, fermé, opposé à d’autres vérités concurrentes. Elle doit tenir compte que le fait catholique est minoritaire dans le monde. L’Eglise ne peut plus être considérée que comme le lieu de la foi accueillie, pratiquée, proposée à l’ensemble de la société, sans que cette proposition apparaisse comme l’expression d’une volonté hégémonique.

3.     Déverrouiller l’accès aux ministères ordonnés

 (…) Le déverrouillage de l’accès au ministère ordonné, au bénéfice éventuellement d’un homme marié, sera sans doute l’une des premières questions que le prochain pape aura à arbitrer. Une solution intermédiaire pourrait être l’élargissement des attributions du diacre et l’accès du diaconat aux femmes, ce qui ne serait qu’un retour aux premiers temps de l’Eglise. Les diacres sont en France au nombre de 1.325 contre 11 en 1970. On ordonne, désormais, chaque année plus de diacres permanents que de prêtres. Le concile Vatican II a restauré le diaconat permanent d’hommes éventuellement mariés. Depuis, le compteur est bloqué. La raison en est simple : si on élargit les attributions du diacre marié, le ministère du prêtre célibataire peinera à faire la preuve de sa pertinence.

 En revanche, la question de l’ordination sacerdotale des femmes est hors de tout débat au sommet de l’Eglise catholique. Non seulement parce que Jean-Paul II l’a formellement interdite (Ordinatio sacerdotalis, 1994), mais aussi parce que, à la différence de l’ordination des hommes mariés, celle des femmes relève non de la discipline ecclésiastique, mais de la tradition et du dogme. Le prêtre célèbre l’eucharistie « in persona Christi » et ne peut être qu’un homme.

4.     Relancer le dialogue avec les Eglises séparées

 (…) Comment le prochain pape pourra-t-il relancer le dialogue œcuménique ? A quelles conditions sera-t-il possible de restaurer le climat de confiance des années 1960, en dehors de la naïveté qui consistait à croire que toutes les difficultés pourrait être réglées, dans le dialogue entre théologiens, par des actes de contrition et baisers de paix fusionnels ? Jean-Paul II a indiqué une marche à suivre, qu’il n’a guère eu le temps d’explorer, mais qui aura eu le mérite de déblayer le terrain. Cette démarche est née d’une prise de conscience de l’« obstacle » que représente, sur la route de l’unité, la question de la primauté universelle de l’évêque de Rome, c’est-à-dire du pape. Il a proposé une réflexion commune des partenaires œcuméniques sur l’exercice de cette primauté universelle.

On sait quel impact une telle initiative pourrait avoir au plan du gouvernement interne de l’Eglise. Elle aurait aussi du retentissement dans la relation avec les autres Eglises pour la recherche d’un modèle de « communion ». Ce modèle doit-il être fondé sur l’évêque de Rome (le pape), comme le veut la tradition catholique, ou privilégier une « ecclésiologie de communion », comme le veulent les orthodoxes, pour qui la notion de juridiction universelle n’existe pas et qui ne pourront jamais accepter une primauté de pouvoir d’une Eglise sur une autre ? L’évêque de Rome est-il prêt à n’accepter qu’une primauté d’honneur, un rôle de coordinateur ou d’intercesseur, sans les revendications de primauté mondiale ou d’infaillibilité personnelle que les autres confessions ne reconnaissent pas ?

C’est l’un des grands débats à venir, qui ne sera certainement pas réglé à l’horizon du nouveau pontificat, dût-il être long. Comment le pape pourrait-il renoncer, demain, à son magistère universel ? Qu’est-il capable de concéder, pour la cause supérieure de l’unité, comme limitation de l’exercice de son propre pouvoir ? Rome peut-elle accepter que soit rediscutée la structure de l’autorité catholique telle qu’elle a été élaborée au cours du deuxième millénaire jusqu’à Vatican I (1870) ? Parviendra-t-elle un jour à se définir autrement que comme un centre, les Eglises locales restant à la périphérie ? Et le pape , à limiter son rôle à celui d’un patriarche d’Occident, même premier parmi ses pairs ? C’est de la réponse à de telles questions que dépend la réunification des familles chrétiennes.

5.     Approfondir la rencontre avec le judaïsme et l’islam

Si l’horizon de la réunification des confessions chrétiennes sera pour le nouveau pape une urgence absolue, on voit mal le successeur de Jean-Paul II ne pas continuer d’élargir l’espace du dialogue avec les religions monothéistes. Ce pape, qui fut l’initiateur de rassemblement sans précédent de tous les grands chefs religieux à Assise (Italie) a ouvert des voies de rencontre avec le judaïsme, l’islam, comme avec le bouddhisme. Il a donné des coups d’accélérateur décisifs à cet œcuménisme inter religieux que son successeur, malgré les haut-le-cœur des milieux traditionalistes, ne pourra que chercher à prolonger, voire amplifier.

L’« esprit d’Assise  » dit qu’en cherchant la vérité des autres traditions, on approfondit la sienne. Jean-Paul II a répété cette évidence à propos des juifs, « frères aînés » des chrétiens. Dans la rencontre avec le judaïsme, il a franchi des étapes irréversibles. Si on retient surtout les proclamations de « repentance », on se rappellera aussi la première visite de ce pape à la synagogue de Rome, la reconnaissance du lien de filiation historique et spirituelle entre le judaïsme et le christianisme, l’effort entrepris par Rome pour que l’Eglise retrouve ses racines juives, expurge ses textes de toute allusion antijuive. On se souviendra aussi de la reconnaissance de l’Etat d’Israël, après des années de tergiversations. Non seulement une paix de trente ans a pu s’établir entre judaïsme et christianisme depuis Vatican II, mais une page radicalement nouvelle de leurs relations s’est ouverte, sur laquelle il ne sera sans doute plus possible de revenir. (…)

L’espace du dialogue est-il plus ouvert avec l’islam ? Sur lui pèsent d’autres menaces moins liées au passé qu’à un présent profondément dégradé par la dérive islamiste. Les attentats antichrétiens en Algérie, l’assassinat des moines de Tibérhine ou de Mgr Claverie ont marqué les limites d’un dialogue avec l’islam qui dans la tradition des orientalistes (Louis Massignon, Louis Gardet), s’était identifié à un échange sur des valeurs de tolérance et de civilisation.

Les crimes commis au nom d’un islam perverti, en Algérie, en Egypte, en Asie, jusqu’aux attentats du 11 septembre, les discriminations persistantes visant les chrétiens minoritaires dans quelques pays musulmans (du Pakistan à l’Arabie saoudite) sont les signes d’une crise de civilisation qui menace les équilibres anciens des théologies islamique et chrétienne. Le camp du scepticisme se renforce. (…)

La marge de manœuvre a été définie par Jean-Paul II, qui n’a rien ignoré de ces épreuves. Il faut, a-t-il souvent dit, encourager les leaders musulmans modérés, puis défendre des enjeux de civilisation, en soutenant la présence de minorités chrétiennes dans les pays d’islam. Il ne doit y avoir « ni capitulation ni irénisme », écrivait-il dans l’encyclique Redemptoris missio de 1991, mais un témoignage réciproque, en vue de surmonter les préjugés, l’intolérance et les malentendus.

A moins de révisions déchirantes et peu probables, on doute que son successeur n’applique pas, à son tour, une telle marche à suivre dans une relation avec l’islam qui ressemble à une ligne de crête.