Le pape François prend le contrepied de Benoît XVI
Une session du concile de Trente
Le pape François a approuvé la nouvelle édition du missel romain en langue italienne. Celle-ci comporte une traduction que Benoît XVI, alors pape, considérait – à juste titre – comme erronée, et dont il avait demandé la rectification.
La consécration du précieux Sang du canon de la messe comporte, aussi bien dans le missel traditionnel que dans le nouveau missel, cette formule : « Hic est calix sanguinis mei, (…) qui pro vobis et pro multis effundetur – Ceci est le calice de mon Sang (…) qui sera versé pour vous et pour beaucoup ».
Cependant, après la promulgation du Novus Ordo, nombre de versions en langue vernaculaires ont traduit : « qui sera versé pour vous et pour tous ». Ainsi en anglais – for all, en allemand – für alle, en espagnol – por todos, et en italien – per tutti. En français, il y a une certaine équivoque, la traduction la plus usuelle étant : « pour la multitude ».
L’intervention de Benoît XVI
Trois mois après son élection, Benoît XVI entreprit de corriger ce point. Il demanda d’abord une consultation des épiscopats mondiaux qui fut réalisée par la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.
Le 17 octobre 2006, le cardinal Arinze, préfet de ladite congrégation, adressait une lettre à tous les présidents des conférences épiscopales. Il constatait que beaucoup de traductions vernaculaires usaient du « pour tous » et affirmait que cela n’entamait pas la validité de la messe. Cependant, il donnait six raisons pour traduire « pour beaucoup » :
– le fait que ces paroles sont tirées du saint Evangile – Mt 26, 28 et Mc 14, 24. (En grec le terme est « polloi » qui signifie “beaucoup”) ;
– le rite romain a toujours dit « pro multis » ;
– les rites orientaux ont les mêmes termes ou des termes équivalents ;
– la traduction exacte de « pro multis » est « pour beaucoup » ;
– les demandes réitérées du Vatican pour assurer l’exactitude des traductions ;
– l’argument le plus important rappelait – sans la nommer – la distinction entre rédemption objective et rédemption subjective.
Par rédemption objective, l’on entend le fait que le sacrifice du Christ est suffisant pour sauver toute l’humanité. C’est ce qui est exprimé par saint Thomas dans l’Adoro Te : « cujus una stilla salvum fácere, totum mundum quit ab ómni scélere – dont la moindre goutte [du précieux Sang] suffit à sauver, de toutes les fautes, le monde entier ».
Mais le salut n’est pas quelque chose d’automatique : il faut que l’âme y participe, en se repentant de ses fautes et en adhérant à son rédempteur. La rédemption subjective est donc le rachat effectif d’une âme à qui sont efficacement appliqués les mérites de notre Seigneur. Or tous ne seront pas sauvés, comme l’affirme Jésus-Christ dans l’évangile du jugement dernier en Mt 25, 31-46.
Les explications lumineuses du Catéchisme du Concile de Trente
Voici comment le Catéchisme du Concile de Trente explique ces paroles : « Les autres mots : “pour vous et pour beaucoup” sont empruntés les uns à saint Matthieu, les autres à saint Luc. Et c’est l’Eglise qui, inspirée par l’esprit de Dieu, les a réunis. Ils servent à exprimer les fruits et les avantages de la Passion.
« Si nous en considérons en effet la vertu et l’efficacité, nous sommes obligés d’avouer que le Sang du Seigneur a été répandu pour le salut de tous. Mais si nous examinons les fruits que les hommes en retirent, il est évident que plusieurs seulement, et non pas tous, en profitent. Lorsque Jésus-Christ dit : “pour vous”, Il entendait par là, à l’exception de Judas, ceux qui étaient présents, et à qui il parlait, ou bien les élus d’entre les Juifs, tels que ses disciples. En ajoutant : “pour beaucoup”, Il voulait désigner tous les autres élus, soit d’entre les Juifs, soit d’entre les Gentils.
« Ainsi c’est avec raison qu’il n’a pas été dit : “pour tous”, puisqu’il s’agissait en cet endroit du fruit de la Passion, qui n’a procuré le salut qu’aux élus seulement. C’est dans ce sens qu’il faut entendre ces paroles de l’Apôtre : “Jésus-Christ n’a été immolé qu’une fois pour effacer les péchés de plusieurs” (He 9, 26) ; et ce que dit Notre-Seigneur dans Saint Jean : “Je prie pour eux, je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que Vous m’avez donnés, parce qu’ils sont à vous.” (Jn 17, 9) »
Après l’intervention de Benoît XVI, certaines traductions vernaculaires rectifièrent leur choix et reprirent la formule « pour beaucoup » : ainsi en Allemagne, en Espagne, en Hongrie, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en différents pays d’Amérique latine. En revanche, l’Autriche et l’Italie s’y refusèrent. Aujourd’hui, ce refus reçoit l’appui du pape François.
Ce dernier prend ainsi le contrepied de l’action de son prédécesseur, et conforte une traduction que l’on peut à bon droit qualifier d’erronée, puisqu’elle ne respecte ni le texte du missel, ni le texte évangélique, inspiré par Dieu, d’où elle est tirée. La traduction « pour tous » évoque dangereusement l’idée que tout homme est sauvé, quelle que soit son attitude vis-à-vis de Dieu.
La miséricorde de Dieu n’est pas rendue plus manifeste par une telle manipulation, qui au contraire la travestit et fait oublier qu’elle est toujours liée à la justice. C’est encore à l’évangile de la fin des temps qu’il faut renvoyer.