Le Père La Colombière (1)
A l’occasion du Jubilé pour le 350e anniversaire des apparitions de Paray-le-Monial, FSSPX.Actualités consacre plusieurs articles à approfondir la dévotion au Sacré-Cœur. La vie du Père La Colombière, qui fut un soutien déterminant pour sainte Marguerite-Marie, permet de se plonger davantage dans ce mystère de charité.
Eléments historiques [1]
Rares sont les saints dont Notre-Seigneur a lui-même prononcé l’éloge. Le Père La Colombière est de ceux-ci, puisqu’à Paray-le-Monial, sainte Marguerite-Marie entendit le Sacré-Cœur lui promettre lors d’une révélation : « Je t’enverrai mon fidèle serviteur et véritable ami, qui t’apprendra à me connaître et à t’abandonner à moi. ».
Ame d’élite, le confesseur et directeur spirituel de la confidente du Sacré-Cœur reste parfois dans l’ombre à côté de la grande sainte de Paray. Pour son honneur, et pour notre profit, il mérite, à l’occasion du Jubilé du Sacré-Cœur, d’être mis en lumière. Nous tenterons donc, après avoir rappelé les grandes lignes de sa vie, d’esquisser modestement un itinéraire spirituel.
Enfance
Le Père La Colombière [2] naît le 2 février 1641 à Saint-Symphorien d’Ozon, non loin de Lyon. Nous savons peu de choses de ses premières années, si ce n’est qu’il reçoît une éducation profondément chrétienne. En effet, sur les cinq enfants qu’élèveront ses parents (deux étant morts au berceau) quatre se consacreront à Dieu. Quant à l’aîné, Humbert, membre distingué du Parlement du Dauphiné, père de treize enfants, on dira de lui qu’il était un moine resté dans le monde.
A neuf ans, Claude commence ses classes de grammaire au collège jésuite de Notre-Dame du Bon-Secours, au pied de la colline de Fourvière, à Lyon. Trois ans plus tard, il traverse la Saône pour continuer ses études au « grand-collège » de la Trinité, également tenu par les Jésuites, très renommé pour la qualité de son enseignement. Il y reste cinq ans, jusqu’en 1658.
Formation et début de vie religieuse
A dix-sept ans, il s’oriente vers la vie religieuse, librement et généreusement, mais non sans combat. De nombreuses années plus tard, il confiera à une mère de famille qui mettait obstacle à la vocation de sa fille : « J’avais une horrible aversion de la vie à laquelle je me suis engagé, lorsque je me fis religieux. » Mais il écrira également : « Jésus-Christ a promis le centuple, et moi je puis dire que je n’ai jamais rien fait, que je n’ai reçu, non pas cent fois, mais mille fois plus que je n’avais abandonné. [3] »
Le 25 octobre 1658, il se présente en Avignon au noviciat des Jésuites où il reste cinq ans. Parallèlement à sa formation religieuse, il enseigne la grammaire et la littérature. Son Père Maître remarque chez lui un sujet de choix, en donnant cette élogieuse appréciation dans son rapport au Père Général : « Talents remarquables ; jugement rare ; prudence achevée ; expérience assez grande ; il a bien commencé ses études (…) ; apte à tout ministère. »
Conscients d’avoir avec Claude un religieux d’élite, le Père Général l’envoie suivre sa formation de théologie à Paris, au grand Collège de Clermont (aujourd’hui Louis-le-Grand) à partir de 1666. Comme on peut s’en douter, il reçoit là une formation résolument anti-janséniste. S’il ne prend pas directement part aux virulents débats, il en est témoin. La vie parisienne offre à cette époque le spectacle du meilleur comme du pire : si le mouvement de ferveur amorcé par l’Ecole Française de spiritualité porte des fruits, c’est aussi l’époque de l’Affaire des Poisons, de triste mémoire.
Vraisemblablement, il est dans le même temps précepteur des fils de Colbert. La réussite scolaire de l’aîné de ces derniers aura probablement valu à Claude une certaine renommée. Il côtoie alors des personnes de la haute société parisienne. Vers la fin de ses études, le 6 avril 1669, la veille du dimanche de la Passion, il est ordonné prêtre pour l’éternité.
En 1670, il retourne au Collège de la Trinité à Lyon où lui est confié la chaire de rhétorique. Deux ans plus tard, il est nommé prédicateur dans l’église du même collège (ministère concernant les personnes extérieures au collège lui-même). Il prêche, dans ce cadre, à une partie de l’élite lyonnaise.
En 1674-1675, il accomplit son « troisième an » dans la maison des Jésuites de la presqu’île d’Ainay, à Lyon : saint Ignace avait en effet voulu qu’après leur longue formation, avant de prononcer leurs vœux perpétuels, ses fils vivent un second noviciat (appelé troisième an, pour compléter les deux premières années). Il leur était alors possible, avec plus de maturité et de recul, de revenir aux fondamentaux de leur vie religieuse et de faire le point sur leur fidélité à leur vocation.
C’est dans ce cadre que les Jésuites suivent les Exercices Spirituels de trente jours. Le Père La Colombière n’échappe pas à la règle et ce temps sera fondamental pour son progrès spirituel : il y prononce le vœu de fidélité sans réserve à sa règle. Il nous a laissé ses notes de retraites, pièce maîtresse de ses œuvres.
Paray-le-Monial
C’est à l’issue de cette année qu’il est envoyé par ses supérieurs dans l’humble bourgade de Paray-le-Monial où les Jésuites tenaient un collège municipal. Décision étonnante au premier abord, pour un sujet de l’étoffe de Claude, accoutumé aux grands auditoires. Son Provincial, le Père de la Chaize [4], qui le connait bien, a ses raisons. On sait maintenant que c’est une marque de confiance.
En plus d’être supérieur d’une petite communauté et d’un collège (également petit), il devra être confesseur extraordinaire de religieuses Visitandines où il aura à discerner l’origine de faits extraordinaires. Le Père de la Chaize le sait. En effet, dans le couvent de la Visitation de Paray-le-Monial, fondé en 1626 (du vivant de la fondatrice, sainte Jeanne de Chantal), vivait une âme privilégiée, confidente du Sacré-Cœur, sainte Marguerite-Marie.
Avant-même d’entrer au couvent, cette jeune fille de Verosvres (situé à une vingtaine de kilomètres), reçoit des révélations de Notre-Seigneur qui la forme spirituellement. Avec le temps, elle reçoit également de lui des missions : mission de faire connaître l’amour de son Sacré-Cœur, de propager la dévotion réparatrice (particulièrement les premiers vendredis du mois), de demander d’une fête liturgique en l’honneur du Sacré-Cœur, mission de renouvellement spirituel de son couvent, etc.
Comme il se doit, ses supérieures sont soucieuses de mettre à l’épreuve l’authenticité de ces révélations. L’une d’elle, notamment, la Mère de Saumaise, la fait examiner par des hommes de doctrine… dont l’un conclut de manière péremptoire : « Faites manger de la soupe à cette fille, et tout ira mieux. » Ces atermoiements provoquent chez la sainte de vives angoisses, lui faisant craindre d’être le jouet du démon.
Par obéissance à ses supérieurs, elle résiste aux révélations qu’elle reçoit. C’est alors qu’elle reçoit la promesse déjà citée : « Je t’enverrai mon fidèle serviteur et véritable ami qui t’apprendra à me connaître et à t’abandonner à moi. »
Quelques temps plus tard – nous sommes en février 1675 – Le Père La Colombière est présenté à la communauté, et Marguerite-Marie entend la voix de son divin confident le désigner : « Voici celui que je t’envoie. » Très vite, Claude reconnaît dans ces révélations la marque de l’esprit divin. Non seulement il encourage sa dirigée à s’y conformer, mais il se laisse lui-même guider, notamment en se consacrant au Sacré Cœur.
Un matin, le Père célèbre la messe pour les religieuses. Au moment de la communion, comme le représentera plus tard un tableau devenu célèbre, Sainte Marguerite-Marie voit le Sacré-Cœur « comme une fournaise ardente, et deux autres cœurs qui s’y allaient unir et abîmer » ; Notre-Seigneur lui dit : « C’est ainsi que mon pur amour unit ces trois cœurs pour toujours. » Il y a donc un véritable échange entre les deux âmes, autour du Sacré-Cœur.
Le Père conforte, rassure, et éclaire la religieuse, tandis que celle-ci lui transmet des messages de la part de Notre-Seigneur pour son propre progrès, et pour les faire connaître aux autres : « Il (le Christ) voulait que je lui découvrisse les trésors de ce Cœur, afin qu’il en fît connaître et en publiât le prix et l’utilité. »
Lors de « la grande révélation » du mois de juin 1675, Notre-Seigneur indique à Sainte Marguerite-Marie : « Adresse-toi à mon serviteur N. [5], et lui dis de ma part de faire son possible pour établir cette dévotion et donner ce plaisir à mon divin Cœur ; qu’il ne se décourage point pour les difficultés qu’il y rencontrera, car il n’en manquera pas ; mais il doit savoir que celui-là est tout-puissant qui se défie entièrement de soi-même pour se confier uniquement à moi. »
Lui ayant confié une telle mission, la Providence, apparemment, ne laissera pas au Père La Colombière beaucoup de temps pour la réaliser. Le message date du mois de juin 1675. Or, un peu plus d’un an après, en octobre 1676, il reçoit de ses supérieurs une mission particulièrement délicate : il est nommé prédicateur de la princesse d’York à Londres.
Avant d’expliquer le but et la difficulté de cette tâche, précisons qu’à son départ de Paray, le Père n’a lancé aucune démarche pour la reconnaissance de la dévotion au Sacré-Cœur. Sans doute n’a-t-il pas voulu précipiter les choses.
Londres
L’Angleterre de cette époque est en grande partie violemment anti-catholique. Le parlement, surtout, car si le roi Charles II est officiellement anglican, il n’est pas lui-même défavorable à la religion romaine. Son frère, Jacques d’York, encore moins, puisqu’il s’est converti au catholicisme. Il épouse en secondes noces Marie-Béatrice de Modène, très pieuse (elle se destinait même à la vie religieuse). Le mariage avait été conclu, avec la garantie donnée par Louis XIV, que le roi Charles II accorderait à sa belle-sœur « le droit de chapelle et les autres avantages et libertés pour la religion catholique. »[6]
C’est dans ce cadre que Claude arrive à la Cour de Londres le 13 octobre 1676. Il y fait le plus de bien qu’il peut dans ce contexte difficile, où toute sorte de « prosélytisme » est suspect. Par ses précieux conseils, il forge dans la jeune duchesse une âme d’élite qui sera plus tard capable de porter avec un admirable abandon les épreuves des deuils et de l’exil.
Les prédications de la chapelle du Palais Saint James, où habitent le Duc d’York et son épouse, se font l’écho – sans le nommer – du message du Sacré-Cœur. Il y mène également une intense activité de correspondance et de direction spirituelle, où il garde contact avec Paray-le-Monial. Par ailleurs, le climat londonien auquel il n’est pas accoutumé, le rend malade de phtisie : il est dès lors régulièrement sujet à des crachements de sang.
En 1678, éclate le « complot papiste », ou, plus exactement, complot anti-papiste ! Un sinistre personnage Titus Oates invente de toutes pièces une conspiration des catholiques contre le roi [7], afin de déclencher contre eux (et particulièrement contre les jésuites [8]) une redoutable persécution. Elle se solda, pour les seuls Jésuites, par vingt-trois condamnations à mort, et cent quarante-sept décès en prison.
La nuit du 12 au 13 novembre, le Père La Colombière est arrêté et incarcéré, à la suite d’accusations calomnieuses venant d’un ancien converti au catholicisme qu’il avait pris sous sa protection. Après un simulacre de procès où un faux témoin est débauché pour compléter la première accusation, les juges eux-mêmes finissent par en réaliser la futilité et, plutôt que de le condamner à mort, demandent au roi son bannissement.
Ce dernier n’est pas à l’aise : il ne prend pas au sérieux cette farce du « complot papiste », mais il lui est difficile de résister à la pression du Parlement et de la population ; dans le cas particulier du Père La Colombière, il est en outre gêné de manquer à sa parole, puisqu’il a promis à Louis XIV que la duchesse d’York aurait un aumônier.
Il hésite donc, et pendant ce temps, le prisonnier ruine sa santé déjà fragile dans son cachot. Après environ deux mois de captivité, Claude est finalement libéré et expulsé d’Angleterre ; cependant, son état de santé est tel que le roi lui autorise une convalescence de dix jours avant de prendre la mer. Cet épisode carcéral sera fatal pour sa santé.
Dernières années et mort
Le retour en France est amer : l’échec apparent de son ministère londonien, l’humiliation (la rumeur courait en effet que la persécution était due à l’imprudence et aux intrigues des jésuites) se mêlent à la maladie. Péniblement, il regagne Lyon, en passant par Dijon et Paray-le-Monial où il reste dix jours ; il y rassure encore sainte Marguerite-Marie, qui subit des persécutions de la part de ses consœurs.
A Lyon, il tente de restaurer sa santé fluctuante : il séjourne deux fois dans son pays natal, à Saint Symphorien-sur-Ozon, dont on espère que le bon air contribuera à le remettre sur pieds. Outre la correspondance, son seul ministère est de s’occuper d’une quinzaine de religieux qui devaient compléter leurs études de philosophie. Il n’oublie pas la mission donnée par le Sacré-Cœur, et encourage ses correspondants à la dévotion réparatrice.
Finalement, en août 1681, il est à nouveau envoyé à Paray-le-Monial. Sa faiblesse est alors telle qu’« il faut qu’on l’habille et qu’on le déshabille ». Le 29 janvier de l’année suivante, alors que, sur l’indication du médecin, il s’apprête à retourner à Saint-Symphorien, il reçoit de Marguerite-Marie le billet suivant : « Il (le Sacré-Cœur) m’a dit qu’il voulait le sacrifice de votre vie dans ce pays. » Le soir du 15 février, il meurt dans un flux de sang à l’âge de 41 ans.
A sa mère supérieure qui l’invitait à prier pour le Père, sainte Marguerite-Marie répondra : « Ma chère Mère, il n’en est pas besoin ; il est en état de prier Dieu pour nous, étant bien placé dans le ciel, par la bonté et la miséricorde du sacré Cœur de notre Seigneur Jésus-Christ. Seulement, pour satisfaire à quelque négligence qui lui était restée en l’exercice du divin amour, son âme a été privée de voir Dieu dès sa sortie de son corps jusqu’au moment où il fut déposé dans le tombeau. [9] »
[1] Nous nous appuyons sur la biographie écrite par le P. Georges Guitton, SJ : Le Père La Colombière, son milieu et son temps, Vitte, Lyon-Paris, 1943.
[2] L’orthographe de son patronyme est assez variable. Il est de famille noble, mais il semble que la plupart des documents d’époque indiquent « Claude La Colombière », et non « de la Colombière ».
[3] Œuvres, II, 99.
[4] Qui deviendra plus tard confesseur de Louis XIV.
[5] Il s’agit bien du Père La Colombière.
[6] Le mariage se faisait avec le plein consentement du roi d’Angleterre, et l’appui du roi de France. Le Parlement d’Angleterre y était opposé.
[7] L’Histoire a fait litière de ces accusations calomnieuses. Les seules manœuvres politiques qu’ont pu élaborer certains catholiques (avec peut-être un manque de prudence) visaient à faire accorder une liberté plus large à la vraie religion, et en aucun cas à renverser le pouvoir en place.
[8] La somme promise était de vingt livres sterlings pour la dénonciation d’un prêtre, et de cent pour un Jésuite.
[9] Il fut inhumé le lendemain de sa mort, dans la matinée.
(Source : Marchons Droit – FSSPX.Actualités)
Illustration : See page for author, Domaine public, via Wikimedia Commons