Le Père La Colombière (2)
Tombeau du Père Claude La Colombière
A l’occasion du Jubilé pour le 350e anniversaire des apparitions de Paray-le-Monial, FSSPX.Actualités consacre plusieurs articles à approfondir la dévotion au Sacré-Cœur. La vie du Père La Colombière, qui fut un soutien déterminant pour sainte Marguerite-Marie, permet de se plonger davantage dans ce mystère de charité. Le premier article a considéré la vie du Père.
Postérité
Ce n’est qu’après sa mort que sa réputation grandit. Un an après seulement, sont éditées ses œuvres, regroupant ses notes de retraites, un journal spirituel, ses sermons, et des Réflexions chrétiennes. C’est dans ses notes de retraites que l’on trouve le récit des révélations de Paray-le-Monial : sa mission d’apôtre du Sacré-Cœur prend alors, post mortem, sa véritable dimension.
Sainte Marguerite écrit à une correspondante : « Il faut vous dire une nouvelle… touchant la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus-Christ : c’est qu’elle se répand partout par le moyen de la Retraite du Rév. P. La Colombière. » Elle est encore favorisée d’une vision du Christ entouré de la Sainte Vierge d’un côté, de Saint François de Sales et du Père La Colombière de l’autre.
La Mère de Dieu se tourne vers ce dernier en disant : « Pour vous, fidèle serviteur de mon divin Fils, vous avez une grande part à ce précieux trésor ; car s’il est donné aux Filles de la Visitation de le donner et distribuer aux autres, il est réservé aux Pères de votre Compagnie d’en faire connaître l’utilité et les bienfaits. »
En 1929, ce témoignage de Sainte Marguerite-Marie servira à faire tomber les dernières réticences du censeur de son procès de béatification. Le Père La Colombière est donc déclaré bienheureux le 16 juin de la même année par le pape Pie XI.
Même si nous laissons en suspens les canonisations actuelles – avant plus ample examen, par une autorité revenue à des principes traditionnels – notons que le Père La Colombière a été canonisé par le Pape Jean-Paul II en 1992. On peut vénérer ses restes dans la chapelle éponyme, bâtie vers 1930 à Paray-le Monial.
Ebauche de portrait – itinéraire spirituel
Essayons à présent d’esquisser à partir de cette vie, ainsi que des œuvres du Père La Colombière, un portrait et un itinéraire spirituel d’une âme choisie par Dieu pour propager le message de l’amour miséricordieux du Sacré-Cœur.
La part de la nature
On l’a vu, humainement, Claude ne manque pas de qualités. Elève brillant, il s’attire les éloges de ses maîtres ; il est rapidement remarqué par ses supérieurs pour son intelligence. Précepteur des fils de Colbert, il côtoie une société choisie, et ne dépare pas en compagnie d’hommes de lettres et de science. L’Académicien réputé, Olivier Patru, allait jusqu’à dire que le Père La Colombière « était un des hommes du royaume qui parlait le mieux notre langue ».
Certains de ses confrères plus anciens n’hésitent pas à lui demander conseil. Ses prédications au collège de la Trinité à Lyon semblent appréciées de la haute société. Sa finesse d’esprit ne sera sans doute pas étrangère à sa nomination comme prédicateur de la duchesse d’York, non moins que son sens des situations (« prudence achevée », avait commenté son maître des novices). Cette même prudence et son « jugement rare » le disposent également à juger sainement de l’authenticité des révélations de Paray-le-Monial.
Il a également un goût profond pour l’amitié, souligne le Père Ravier, SJ, dans son introduction aux Ecrits Spirituels du Père : « Mes amis, ils m’aiment, je les aime… [1] », écrit-il dans son Journal Spirituel. Le danger d’un naturel riche comme celui de Claude est de faire tomber dans la vaine gloire. Et c’est là, de son propre avis, son défaut dominant : « J’ai bien reconnu que ma passion dominante est le désir de la vaine gloire [2] », note-t-il durant sa retraite de trente jours.
Il est doué, aimé et apprécié de son entourage, et il n’est pas indifférent à cela. Au début de cette même retraite, il écrit également, à propos du zèle qu’il déploie dans son ministère : « Ce qui me refroidit en ce point, c’est la crainte que j’ai que, dans les emplois où ce zèle se produit, je ne me cherche moi-même ; car il me semble qu’il n’en est aucun où la nature ne trouve son compte, surtout quand on réussit, comme on doit le souhaiter, pour la gloire de Dieu. »
La conclusion de cette considération est d’une touchante sincérité : « Il faut une grande grâce et une grande force pour résister au charme que l’on trouve à changer les cœurs et à la confiance que prennent en vous les personnes qu’on a touchées. [3] »
De la piété à la sainteté
Essayons de noter les grandes étapes qui jalonnent l’ascension de Claude vers la sainteté. Une telle progression est toujours le fruit de conversions renouvelées, quel que soit le point de départ. La jeunesse de Claude l’a-t-elle entrainé à de graves errements et éloigné de Dieu ? Rien ne permet de l’affirmer ; au contraire ses examens de conscience si sincères et si sévères dont nous avons encore la trace écrite n’y font pas allusion, indique le Père Guitton.
Sa première conversion (sans compter, évidemment, celle du baptême) semble alors correspondre à celle de la vocation qui, comme on l’a vu, fut un réel sacrifice. Elle le fit passer de bon chrétien à l’état religieux. Il est ensuite possible qu’après son noviciat et ses études de philosophie, sa fidélité religieuse ait connu un certain fléchissement lors de son séjour à Paris.
Fléchissement relatif, qu’on ne saurait qualifier de tiédeur, mais caractérisé par un manque de zèle dans l’observance de sa règle, qui est le moyen privilégié du progrès dans l’amour de Dieu. Il est en contact avec des religieux de tendance mondaine dont la personnalité a pu l’influencer. Une de ses lettres datant de 1671 révèle une superficialité qui dénote avec le ton de ses écrits postérieurs.
« Si vous trouviez une occasion de dauber ces Messieurs (…) il me semble que ce serait une carrière admirable. Je n’ai jamais rien vu de si ridicule de ma vie. [4] » Ce laisser-aller n’est d’ailleurs pas propre à Claude. Les supérieurs se plaignent de manquements à la discipline religieuse dans la Province de Lyon. Le Père Général déplore même des défections qui, dit-il, « proviennent de deux causes.
« Chez les supérieurs une certaine raideur qui les pousse à gouverner les jeunes avec dureté comme des serviteurs, non pas avec bonté comme des fils, voire une sorte de dédain qui les porte à ne pas se soucier de leur conduite, de leurs études ou même de leurs besoins temporels. Chez les inférieurs, un manque d’esprit surnaturel, tiédeur dans la piété et manière de vivre trop large, que les jeunes puisent dans les collèges à l’imitation de quelques anciens. [5] »
Pour être exact, il faut dire que non seulement ce laisser-aller n’est pas propre à Claude, mais que celui-ci n’y participe pas de très près. Les reproches ne le concernent pas au premier chef. Il prend à cœur le renouveau spirituel souhaité et favorisé par ses supérieurs, et s’engage dès lors résolument sur le chemin de la perfection religieuse. Il semble que cela soit la période de sa deuxième conversion, qui culminera avec la retraite des Trente Jours, durant son « Troisième An ».
La retraite de Trente Jours
Cette étape se caractérise par un vif désir de la sainteté et une ardente générosité : « J’ai commencé, ce me semble, avec une volonté assez déterminée, par la grâce de Dieu, à suivre tous les mouvements du Saint Esprit, et sans aucune attache qui me fasse appréhender d’être à Dieu sans réserve. [6] » Son sens de l’effort n’est en rien égoïste et orgueilleux.
C’est par amour qu’il veut devenir saint : « J’ai remarqué que le soin continuel de s’humilier et de se mortifier en tout, cause quelques fois des tristesses à la nature, qui la rendent lâche et moins disposée à servir Dieu. C’est une tentation que l’on peut vaincre, ce me semble, en songeant que Dieu n’exige cela de nous que par amitié. [7] »
L’examen de sa vie passée (notamment des années de « relâchement ») le plonge dans une profonde confusion : « S’il me fallait rendre compte à Dieu, je conçus tout d’un coup une si grande douleur d’avoir si mal observé mes règles, que j’en versai des larmes avec abondance. [8] » Il est presque tenté de désespoir : « Il me semble que je ne me suis jamais si bien connu ; mais je me connais si misérable, que j’ai honte de moi-même ; et cette vue me cause de temps en temps des accès de tristesse qui me porteraient au désespoir si Dieu ne me soutenait. [9] »
« Dieu m’a fait voir à moi-même à cette occasion si difforme, si misérable, si dépourvu de tout mérite, de toute vertu, qu’il est vrai que je ne me suis jamais tant déplu à moi-même : il me semblait que je l’entendais au fond de mon cœur, qui, parcourant toutes les vertus, me faisait clairement voir que je n’en avais aucune.
J’avoue que je trouve que cette connaissance de moi-même, qui croît en moi de jour en jour, affaiblit beaucoup ou, du moins, modère une certaine confiance ferme que je conservais depuis longtemps en la miséricorde de Dieu. Je n’ose plus lever les yeux vers au ciel, je me trouve si indigne de ses grâces que je ne sais presque si je ne leur aurai point fermé l’entrée. Ce sentiment me vient surtout de la comparaison que je fais de ma vie, et de mes crimes, et de mon orgueil, avec l’innocence et l’humilité de nos saints. [10] »
Comme le dira Bernanos, « L’Espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est un désespoir surmonté. » Ainsi, le Père sera contraint, au spectacle de sa misère, de ne trouver refuge qu’en la miséricorde divine : « Dans la vue de mes désordres, à la confusion que j’en ai conçue a succédé une douce pensée, que c’était-là une grande matière pour exercer la miséricorde de Dieu, et une espérance très ferme qu’il se reposera en me pardonnant. [11] »
« De tous les péchés qui se présenteront à mon esprit, soit connus, soit inconnus, j’en ferai comme un bloc que je jetterai aux pieds de notre Sauveur, pour être consumé par le feu de sa miséricorde ; plus le nombre en sera grand, plus ils me paraîtront énormes, d’autant plus volontiers les lui offrirai-je à consumer, parce que ce que je lui demanderai sera d’autant plus digne d’elle. Il me semble que je ne saurais rien faire alors de plus raisonnable, ni de plus glorieux à Dieu. [12] »
Concernant le futur, il se fie également entièrement en Dieu : « Je n’ai jamais conçu une si grande confiance que je persévérerai dans le bien et dans le désir que j’ai d’être tout à Dieu, nonobstant les effroyables difficultés que j’imagine dans la suite de ma vie. Je dirai la messe tous les jours : voilà mon espérance, voilà mon unique ressource. » Il pousse même l’audace à affirmer : « Jésus-Christ pourra bien peu s’il ne peut me soutenir d’un jour à l’autre. [13] »
L’Espérance, qui est une des marques de sa vie spirituelle, ne dispense pas de l’effort personnel. Son désir de la sainteté le pousse à prononcer, avec l’accord de son directeur spirituel, un vœu particulier et héroïque : celui d’observer parfaitement les règles de son Ordre [14]. Il s’agit donc de s’obliger à éviter sous peine de faute grave, ce qui n’est, de soi, qu’un péché véniel, ou qu’une imperfection.
Il expose, dans son Journal de Retraite, les motifs de ce vœu, qui trahissent une âme hors du commun : « 1° Pour rompre tout d’un coup toutes les chaînes de l’amour-propre, et lui retrancher pour toujours l’espérance de se satisfaire (…). 7° Pour faire de mon côté tout ce qui est en mon pouvoir pour être à Dieu sans réserve, pour détacher mon cœur de toutes les créatures, et l’aimer de toutes mes forces, au moins d’un amour effectif. [15] »
Il est évident qu’un tel vœu n’est pas le fait de tout âme chrétienne, et qu’il serait même imprudent pour la plupart. Sans nous attarder sur cette question, il est tout de même très intéressant de voir avec quelle prudence le Père La Colombière a accompli cet acte.
Il n’agit d’abord pas sur un coup de tête, car il médite ce projet depuis plusieurs années déjà (à peu près depuis qu’il a commencé à se corriger de son relâchement parisien) ; il s’engage plus à persévérer dans de bonnes habitudes qu’à des actes nouveaux ; il constate enfin que ces liens ne le brident pas par des scrupules, mais lui donnent une grande liberté d’âme (ce point est peut-être le plus important dans un tel discernement).
Deux ou trois ans plus tard, en 1677, il écrira lors d’une autre retraite à propos de ce vœu : « J’ai eu une grande joie de me voir ainsi engagé par mille chaînes à la volonté de Dieu. Je n’ai point été effrayé à la vue de tant d’obligation, si délicates et si étroites. »
Si donc il fallait résumer les dispositions du Père La Colombière, à l’issue de sa retraite de Trente Jours il nous semble qu’elles tiennent en en peu de mots : générosité dans l’amour de Dieu, humilité et défiance de soi, confiance en Dieu.
[1] Ecrits spirituels, Desclée de Brouwer, 1962, p 152.
[2] Ibidem, p 99.
[3] Ibidem, p 83.
[4] Lettre au Père Bouhours, citée par Guitton, p 116.
[5] Lettre du Père Général au Père Provincial, citée par Guitton, p 140.
[6] Ecrits Spirituels, p 81.
[7] Ibidem, p 99.
[8] Ibidem, p 110.
[9] Ibidem, p 98.
[10] Ibidem, p 113.
[11] Ibidem, p 84.
[12] Ibidem, p 85.
[13] Ibidem, p 89.
[14] La décision de ce vœu, que le Père médite depuis un certain temps déjà, intervient au moment de l’élection dans les Exercices de Saint Ignace.
[15] Ibidem, p 106.
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(Source : Marchons Droit – FSSPX.Actualités)
Illustration : Majella1851, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons