Le renversement de la théologie sacramentelle
Le lecteur disposant d’une bonne mémoire se souviendra de l’affaire concernant la fameuse anaphore (prière eucharistique) d’Addaï et Mari (DICI 46 et Nouvelles de Chrétienté 73).
Pour rafraîchir la mémoire, resituons rapidement les faits: en juillet 2001, le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens promulguait une note d’orientations pour l’admission à l’eucharistie des catholiques chaldéens au rite assyrien (schismatique). Les catholiques chaldéens étaient autorisés à assister à une liturgie orthodoxe, laquelle ne comporte pas les paroles de la consécration. Cette décision était lourde de conséquences, car elle bouleversait toute la théologie sacramentelle enseignée par le magistère de l’Eglise et si remarquablement précisée par le concile de Trente.
Lors de la parution de ce document, on a voulu faire croire que cette démarche était une réponse à des demandes nombreuses de la part de catholiques chaldéens. Or, il apparaît clairement aujourd’hui qu’il n’en est rien et que ce document est plutôt la production d’un groupe de pression qui n’a d’autre ambition que de renverser la théologie sacramentelle de l’Eglise catholique, la taxant de "théologie médiévale de la magie des mots".
Les éminences grises
Selon le National Catholic Reporter du 16 novembre 2001, un homme particulièrement influent et écouté, expert en liturgie orientale, le Père Taft, S.J., serait pour une bonne part à l’origine du document romain. Ce Père Taft considère la décision romaine comme "la décision la plus remarquable que le Saint-Siège ait prise dans les 50 dernières années." Il la compare à la décision – moins importante dans sa portée, mais non anodine – d’insérer saint Joseph dans le canon de la messe. Il semble bien que les promoteurs de cette cause-là n’étaient pas tous mus par des sentiments de dévotion, mais aient compris leur démarche comme la première atteinte au canon romain et le début d’un vaste champ d’expérimentation.
C’est ce Père Taft qui, en parlant de la théologie catholique sacramentelle, ose la qualifier si outrageusement de "théologie médiévale de la magie des mots", oubliant tant de textes patristiques dans lesqels s’enracine la théologie catholique: "Accedit verbum ad elementum et fit sacramentum – La parole se joint à l’élément et produit le sacrement", dit saint Augustin, repris par saint Thomas dans sa Somme théologique. "Tolle ergo verbum, panis est et vinum: adde verbum, et fiet sacramentum – Enlevez les paroles, vous n’aurez que du pain et du vin; ajoutez les paroles et le sacrement est réalisé". La clarté des textes dès les origines apostoliques est telle que parler de "théologie médiévale" en cette matière relève de la mauvaise foi.
Une autre personnalité influente est le liturgiste italien Cesare Giraud, S.J., professeur à l’Institut pontifical oriental, auteur de plusieurs articles sur l’anaphore d’Addaï et Mari. Dans une récente publication sur ce sujet, il n’hésite pas à dire: "Nous pouvons affirmer qu’avec ce document (la note d’orientations publiée par le Saint-Siège, NDLR), la systématisation théologique du deuxième millénaire trouve une fin – et une fin glorieuse".
Le but réel
Les intentions des grands promoteurs de cette cause sont donc claires et ils ne s’en cachent pas. On comprend ainsi pourquoi tant d’agitations au sujet de cette liturgie assyrienne qui, il faut le dire, est non seulement quantité négligeable, mais de plus n’est pas de nature à intéresser particulièrement la grande masse des catholiques de rite romain. Tout l’intérêt de la cause réside donc non dans cette liturgie quelque peu absconse pour une sensibilité romaine, mais dans l’instrumentalisation qu’en font les réformateurs modernistes.
Les conséquences sont étonnantes, et disons-le, particulièrement gravissimes. La disparition de la théologie sacramentelle de l’Eglise catholique donnera une latitude sans limites à toutes sortes de communicatio in sacris, et enfoncera encore plus dans le "schisme mou" cette partie de l’Eglise qui n’a peur de rien.
La dérive théologique chez certains membres de la Fraternité St-Pierre
Que le progressisme d’avant-garde se réjouisse de la décision romaine est tout à fait compréhensible. Plus surprenante est la prise de position de certains membres de la mouvance Ecclesia Dei qui semblent avoir oublié les rudiments de la théologie catholique. Dans l’organe de langue allemande Una Voce Korrespondenz (janvier 2003), l’abbé Lugmayr, de la Fraternité St-Pierre, professeur de théologie dogmatique au séminaire de Wigratzbad, se fait le défenseur de la décision romaine. Et puisqu’un homme assis entre deux chaises est souvent plus royaliste que le roi, il affirme que le document romain est infaillible et que ceux qui osent le pourfendre doivent recevoir la note proxima hæresias. L’on peut se poser des questions sur la formation que reçoivent les séminaristes.
Quant à nous, nous préférons revenir sur un terrain sûr, celui de saint Augustin et du concile de Trente. Qui ose y voir de l’hérésie, n’est plus de l’Eglise catholique.