Les 50 ans de la nouvelle messe : Révolution liturgique et réaction de la hiérarchie

Source: FSSPX Actualités

Cardinal Luigi Maglione

Durant la Seconde guerre mondiale, le clergé allemand s’est retrouvé confiné dans les églises et les sacristies par le gouvernement anti-chrétien. Mais il ne restait pas inactif pour autant. Chez les innovateurs, une véritable révolution liturgique se préparait et se développait. Les idées de Dom Odon Casel, de l’abbé Romano Guardini, du Père Pius Parsch se frayaient ainsi un chemin. 

Les forces vives réagirent alors : une vague de protestations s’éleva de tous les milieux catholiques. La controverse trouva un écho dans deux ouvrages : Erreurs et détournements de la piété de Max Kassiepe, et Sentire cum Ecclesia d’August Doerner. Ces livres, franchement hostiles au Mouvement liturgique allemand dévoyé, poussèrent ses promoteurs à changer de politique. 

Les manœuvres des novateurs pour s’attacher l’épiscopat allemand 

Pour éviter les condamnations romaines, une assemblée privée se tint à Fulda en août 1939, et se donna comme chef Mgr Simon Landesdorfer, un bénédictin devenu évêque de Passau ; il était assisté du père Josef Jungmann et de Romano Guardini. 

Il fallait en priorité rallier l’épiscopat allemand. « La controverse allant en s’amplifiant, l’épiscopat allemand résolut, lors de l’assemblée des évêques à Fulda en août 1940, de prendre lui-même en main les affaires liturgiques. Comme rapporteurs des questions liturgiques, l’Assemblée désigna, sous l’instigation de Mgr Landesdorfer, Mgr Albert Stohr, évêque de Mayence et ami intime de Guardini, et Mgr Landesdorfer de Passau lui-même 1  ». 

Cette Commission liturgique s’entoura de spécialistes qui n’étaient autres que les grands inspirateurs du Mouvement liturgique allemand. En une année « le cheval de Troie était rentré dans la cité » : l’Assemblée épiscopale allemande était aux mains du “Renouveau”. 

Une réaction clairvoyante et courageuse

La réaction ne se fit pas attendre. En janvier 1943, Mgr Conrad Gröber, archevêque de Fribourg-en-Brisgau, adressa à ses collègues de la “Grande Allemagne” – incluant l’Autriche – une longue lettre en 17 points. Il y exposait les principaux sujets d’inquiétude que lui donnaient les mouvements de jeunes. Voici les point ayant un rapport avec la liturgie : 

N° 1 : La scission spirituelle à l’intérieur du clergé de la grande Allemagne, les uns étant partisans du “Mouvement liturgique”, les autres lui étant opposés. 

N° 5 : « Ce qui m’inquiète, en même temps qu’une critique radicale et injustifiée de ce qui a été valable jusqu’à présent et de ce qui est apparu au cours de l’histoire, c’est le retour pratique, audacieux et brutal, à des époques, à des normes et à des formes anciennes et très anciennes, ainsi que la déclaration ouverte qu’entre-temps s’est produite une “évolution qui serait une déviation” ». Monseigneur Gröber vise ici l’archéologisme de Maria Laach. 

N° 13 : L’accent excessif mis sur le sacerdoce commun au détriment du sacerdoce ministériel. 

N° 14 : L’insistance particulière sur la thèse du « sacrifice-repas » et du « repas-sacrifice ». 

N° 15 : Une insistance anormale sur l’élément liturgique, en prétendant que seule la liturgie peut constituer une véritable pastorale et en ridiculisant les formes précédentes d’apostolat. En même temps, les rubriques sont traitées de la façon la plus cavalière, permettant toutes les excentricités. 

N° 16 : Les efforts pour rendre obligatoire la messe dialoguée. Celle-ci a été, dès le début, un cheval de bataille du “Mouvement”. Pie XI l’avait autorisée à partir de 1922, avec l’accord de l’ordinaire du lieu. Dom Gaspar Lefebvre en avait publié, en 1923, une apologie dans La vie spirituelle. 

Mgr Gröber écrivait : « Je n’ai pas la moindre objection à faire contre les messes dialoguées comme telles, tant qu’elles sont célébrées avec une fréquence restreinte (…). On peut bien en faire l’essai, mais sans y placer des espoirs excessifs. Malgré tout, je considérerai toujours la messe dialoguée comme quelque chose qui se situe en marge, et comme la chose d’un moment, que bientôt les lois du changement et de la réaction modéreront et feront passer de mode ». 

Ce qui inquiétait le plus ce sage évêque, c’était la constatation « que les néo-liturges voyaient dans la messe dialoguée l’expression de leurs conceptions sur le sacerdoce commun, et une manière d’insister sur les droits des laïques à coopérer au sacrifice de la messe ». Une participation “activiste”, sous-tendue par la théorie du sacerdoce commun, voilà ce qui faisait trembler l’évêque de Fribourg. Pie XII se fera l’écho de cette inquiétude dans l’encyclique Mediator Dei, en condamnant la nouvelle théologie du sacerdoce, et en marquant les limites de la messe dialoguée.2  

N° 17 : La forte tendance non seulement à lire en allemand plusieurs prières lors de l’administration des sacrements, mais aussi à introduire la langue allemande jusque dans la sainte messe, en dépit du refus du concile de Trente (session XII, chapitre 8, canon 9). 

L’archevêque de Fribourg achevait sa lettre en des termes pathétiques : « Je soumets toutes ces appréhensions au Vénérable Episcopat, pour dégager ma responsabilité en ce qui me concerne (…). Cette liste, je pourrais l’allonger encore en y ajoutant plus d’un point problématique et, me semble-t-il, contraire à la doctrine catholique. Pouvons-nous garder le silence ? » 

La réaction romaine

Rome allait réagir très vite. Par une lettre du cardinal Adolf Bertram, archevêque de Breslau, aux membres de la Conférence épiscopale de Fulda 3 , le Saint-Siège fit connaître la vive inquiétude que lui causait le Mouvement liturgique allemand ; son désir de recevoir des informations sur cette question ; son appel à la vigilance des Ordinaires ; l’interdiction de toute discussion sur ce sujet. Le Saint-Siège était cependant prêt à examiner avec bienveillance certains privilèges qui pourraient être avantageux pour le bien des âmes. 

Devant le danger, l’épiscopat allemand soutint les néo-liturges. Le 24 février, le Cardinal Theodor Innitzer répondit à Mgr Gröber, arguant que la situation en Allemagne et en Autriche n’était pas aussi inquiétante qu’il voulait bien le dire : une intervention du magistère ecclésiastique courrait le risque de décourager l’enthousiasme des liturgistes.4  

Mais l’intervention redoutée eut lieu : ce furent les encycliques Mystici Corporis et Mediator Dei. L’énergie de Pie XII aurait certainement sauvé la situation si, dans le même temps, la Secrétairerie d’Etat n’avait encouragé l’épiscopat allemand par la concession de privilèges spéciaux. 

En avril 1943, le cardinal Bertram envoyait un mémorandum au Saint-Père au nom des évêques. C’est une défense chaleureuse du “Mouvement liturgique”. Il juge la liturgie, célébrée exclusivement en latin, peu apte à favoriser la participation des fidèles. Il défend la messe communautaire, la messe communautaire-avec-chants et la grand-messe en langue allemande. Il en profite pour proposer des réformes : prolonger l’atténuation de la discipline du jeûne eucharistique au delà du temps de guerre 5 ; établir une nouvelle traduction latine du psautier ; transférer les cérémonies du Jeudi Saint et du Vendredi Saint au soir.6  

Le Cardinal Luigi Maglione, Secrétaire d’Etat 7 , répondit le 24 décembre 1943. « Dans sa réponse, écrit F. Kolbe, les observations critiques ne manquèrent pas, il est vrai ; mais la décision sur la manière de célébrer la messe communautaire et la messe-communautaire-avec-chants est laissée à la discrétion des évêques, et la grand-messe allemande est permise expressément. Cette lettre assurait le développement ultérieur de la célébration de la messe dans la ligne du “Mouvement liturgique”, sous la protection des évêques 8  ». 

La Secrétairerie d’Etat savait-elle que les évêques de la Commission liturgique à qui elle confiait la responsabilité des formes de la célébration de la messe, étaient parmi les éléments les plus avancés ? Il est impossible de le savoir. Mais ce furent les toutes premières victoires du “Mouvement liturgique” dévoyé sur l’autorité romaine. 

Ainsi, à la fin de la Seconde guerre mondiale, le “Mouvement liturgique” a considérablement renforcé ses positions. Il a mis au point – en France – un puissant organisme de subversion liturgique, le Centre de Pastorale Liturgique. Et surtout, il a élaboré sa tactique de guerre : gagner à sa cause les évêques et ainsi agir dans la légalité ; faire présenter ses requêtes au Saint-Siège par les évêques, toujours sous prétexte d’avantages pastoraux. 

  • 1La Maison-Dieu, n° 25, 1951, « Le mouvement liturgique en Allemagne », par Johann Wagner.
  • 22 Mediator Dei, 26 novembre 1947, Ed. Solesmes, Liturgie I, n°578 à 580. 
  • 3Lettre du 15 janvier 1943.
  • 4La Maison-Dieu, n° 7, pp. 108 à 114.
  • 5Durant la guerre, le Saint-Siège avait accordé certains aménagements du jeûne eucharistique.
  • 6 Liturgisches Jahrbuch, 1953, pp. 108 et sv.
  • 7 Monseigneur Tardini pour les affaires extraordinaires et Monseigneur Montini pour les affaires ordinaires.
  • 8« Allemagne », par F. Kolbe in La Maison-Dieu, n° 74, 1963.