Les suites de la rencontre interreligieuse de Lyon (11-13 septembre 2005)
Extraits principaux de la lettre de l’abbé Lamerand au cardinal Barbarin
1) La paix est un don de Dieu, et comme tous les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté, nous la désirons et prions pour cela. Mais de quelle paix s’agit-il ici ? Dans une perspective chrétienne, la paix proclamée par l’Evangile est celle de la Vérité et de la Charité donnée par Dieu aux hommes qui acceptent de la recevoir : elle guérit les âmes et apporte la paix des cœurs et celle des hommes entre eux. La paix recherchée dans des réunions comme celle qui se prépare à Lyon se veut réaliste – et donc réalisable – dans un monde marqué par les différences. Nous pensons que cette paix est trop humaine et certainement illusoire : le Seigneur, qui donne Sa paix au monde, ne la donne pas "comme le monde la donne". On risque bien, avec de tels efforts, d’oublier que la paix est un don de Dieu qui dépend aussi de notre acceptation de Sa Vérité, de Sa grâce, de Son Amour – et qu’elle ne dépend pas seulement des efforts des hommes entre eux (même si cette question est importante, nous ne le nions pas !), mais aussi des efforts des hommes vis-à-vis de Dieu, parce que seule la Vérité délivre et pacifie.
2) Que la religion soit incompatible avec la guerre relève d’une simplification dangereuse. L’Eglise a toujours enseigné qu’il existe une guerre juste quand elle est le seul moyen, hélas, de réparer des injustices graves : dans ce cas, la guerre est servante de la paix. C’est bien au nom de la paix que le pape saint Pie V a encouragé l’Europe chrétienne à repousser, par la prière et par les armes, l’invasion musulmane qui menaçait alors les corps et les âmes !
3) Ces réunions interreligieuses amènent à l’indifférentisme religieux, même si cette intention n’est pas celle de ceux qui les organisent. Il faut admettre que nos contemporains, de plus en plus habitués à ces manifestations, ne se posent plus le problème de la Vérité et que l’opinion la plus courante est désormais que "toutes les religions se valent".Que penseront les âmes simples en voyant la marche commune des religions vers le Forum pour fêter la paix ? En 2003, dans une rencontre de prière à Acquisgrana, la communauté Sant’Egidio donnait ce mot d’ordre : "nous ne voulons convertir personne. C’est une bonne chose que chacun grandisse dans sa religion" (revue Si si no no, mai 2005). Le pape Pie XI, vous le savez, dans son encyclique Mortalium animos du 6 janvier 1928, condamnait ce genre d’assemblée qui "fait verser graduellement dans le naturalisme et l’athéisme". Et il disait que "les catholiques ne peuvent en aucune manière approuver ces tentatives". Ce danger du syncrétisme a d’ailleurs été plusieurs fois évoqué et condamné par le Saint-Père Benoît XVI avant et après son accession au souverain pontificat.
4) Enfin - et c’est là la réserve la plus importante que nous émettons - dans ces rencontres, on invite les autres religions à prier et à exercer leur culte. Cela se fera bientôt sur la colline de Fourvière pourtant toute consacrée à la Mère de Dieu…
Si Dieu seul connaît la vérité de toute prière et la sincérité du croyant, c’est néanmoins objectivement une atteinte au premier commandement que d’encourager à prier dans l’erreur.
C’est le principal reproche qu’adressait Mgr Lefebvre au pape Jean-Paul II en 1986. Il voyait dans la réunion d’Assise "un péché public contre l’unicité de Dieu, contre le Verbe incarné et son Eglise" (lettre au Pape du 2 décembre 1986). De son côté, le cardinal Oddi, alors préfet de la Congrégation du clergé, se demandait si une telle réunion ne tombait pas sous le coup de la condamnation de Pie XI ( Figaro hors série, avril 2005).
Ces journées du 11 au 13 septembre à Lyon se situant dans la continuité d’Assise, nous réitérons ici la même inquiétude et nous faisons nôtres les paroles écrites par Mgr Lefebvre en 1978 au cardinal Seper : "l’œcuménisme libéral corrompt la mission fondamentale de l’Eglise qui va à travers les nations pour convertir les âmes à Jésus- Christ. C’est le vrai dialogue émanant de la vraie charité". Le fondateur de la Fraternité Saint Pie X savait de quoi il parlait, après sa longue expérience de missionnaire en terre musulmane où il a laissé le souvenir encore vivant d’un homme de Dieu, d’un homme de paix.
Réponse de l’archevêché à la lettre de l’abbé Lamerand au cardinal Barbarin
Georges DECOURT
Directeur de Cabinet de l’Archevêque
Le 25 octobre 2005
Père Sylvain Lamerand
56, rue d’Inkerman
69006 Lyon
Père,
Le Cardinal Barbarin a bien reçu votre lettre du 8 septembre dernier au sujet des 19èmes Rencontres internationales organisées par la Communauté de Sant’Egidio qui se sont tenues à Lyon sur le thème « le courage d’un humanisme de paix ».
Comme vous le savez, Sa Sainteté le pape Benoît XVI a envoyé sa bénédiction apostolique aux participants de ces rencontres, dans un message de Son Eminence le Cardinal Secrétaire d’Etat. Le dimanche matin, le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon a célébré la Messe dans la Basilique Notre-Dame de Fourvière, en présence de sa Sainteté Karekin II, Patriarche de tous les Arméniens et de nombreux cardinaux, métropolites et responsables d’Eglises chrétiennes venus de toute l’Europe. Au cours de ces journées ont été accueillis les Cardinaux Kasper, Etchegaray, Moussa Daoud, et Poupard, ainsi que le Primat de l’Eglise d’Angleterre et le Métropolite Philarète de Minsk, en Biélorussie.
La cérémonie d’ouverture eut lieu à l’Auditorium de La Part-Dieu en présence de M. le ministre de l’Intérieur, chargé des cultes, du Président du Mozambique, de l’ex-Président Soarès du Portugal, du Préfet de région et des responsables des collectivités locales qui ont soutenu financièrement ces rencontres ; Président du Conseil Régional Rhône-Alpes, Président du Conseil général du Rhône, Maire de Lyon. Leurs discours à cette cérémonie comme aux réceptions en Mairie et à l’Hôtel du département ont permis d’apprécier la place qu’occupent les religions dans la sphère publique française.
Plus d’un millier de membres de la communauté sont venus à Lyon, et plus de trois mille personnes ont participé aux vingt-quatre tables rondes organisées pendant ces journées à la Cité internationale de Lyon, en présence de nombreux médias. Le lundi soir, en plus de vingt lieux du diocèse se sont réunis des chrétiens, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des agnostiques… pour échanger et vivre ensemble des moments de paix. Le mardi, les chrétiens se sont réunis dans la Basilique de Fourvière pour prier ensemble : ce fut l’occasion pour les représentants des Eglises chrétiennes de Lyon de découvrir une plaque rappelant leur histoire douloureuse et leur engagement à avancer sur les chemins de l’unité. A l’issue de cette prière, sur le parvis de l’esplanade se sont retrouvés les représentants de religions juive, chrétienne et musulmane, qui ont convergé ensemble à la rencontre des autres religions du monde vers l’amphithéâtre romain, où se tenait le rassemblement final. La déclaration finale pour la paix, dont je vous joins un exemplaire, fut alors proclamée et remise par les représentants des religions à des enfants qui la portèrent aux représentants politiques présents.
Ce rassemblement a ainsi donné la preuve que la laïcité, telle qu’elle est vécue dans notre pays, est un principe de concorde et une garantie de paix, dans la ligne de la lettre que le Pape Jean-Paul II avait écrite le 11 février dernier à tous les évêques de France. Il a fortement rappelé que les hommes de religion se doivent d’être des hommes spirituels, porteurs de paix et non de guerre, acteurs de réconciliation et non de division.
Le Cardinal a bien entendu les arguments que vous opposez à un tel rassemblement : ils constituent sans doute là des raisons qui expliquent votre séparation d’avec l’Eglise catholique. Irénée fut le pasteur qui, ferme dans ses convictions, demeure à jamais pour nous l’homme de la paix. C’est dans ses pas que cherche à avancer notre pasteur d’aujourd’hui.
Vous remerciant de votre sincérité, je vous assure, Père, de mon entier dévouement.
Georges Decourt
Suite à cette réponse, l’abbé Lamerand a fait parvenir à tous les prêtres de l’archidiocèse de Lyon la lettre suivante.
Lettre adressée par M. l’abbé Sylvain Lamerand à tous les prêtres de l’archidiocèse de Lyon
Lyon, le 5 décembre 2005
Monsieur l’abbé,
Le 8 septembre dernier, à l’occasion des 19èmes journées internationales de la Paix organisées par la communauté Sant’Egidio et le diocèse, j’écrivais au nom de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X à notre archevêque Mgr Barbarin. L’importance de cette réunion « pour un humanisme de paix » était manifeste : il s’agissait d’une première en France, dans la capitale des Gaules, et l’évènement était largement relayé par les médias auprès de la population.
C’est dans ce contexte que nous avons voulu manifester au Cardinal les graves réserves que nous émettions face à ces manifestations : tant l’esprit qui les anime que les faits qu’elles occasionnent nous poussent à déplorer une relativisation de la vérité chrétienne et une atteinte grave au témoignage que l’Eglise doit apporter à ce monde qui cherche la Lumière et la Paix.
La réponse de l’archevêché nous a profondément déçus. Aux questions de fond que nous posions, elle n’a pas répondu, se contentant de nous citer des chiffres sensés prouver l’approbation générale de l’opinion, et affirmant que nos arguments « constituent sans doute des raisons qui expliquent notre séparation d’avec l’Eglise catholique ». Ces questions, nous le savons, ne sont pas seulement les nôtres mais celles que des prêtres, des religieux et des fidèles se posent aussi ! Comment sont-elles une preuve de notre « séparation » alors que le cardinal Castrillon Hoyos chargé du dossier de nos relations avec Rome déclarait dernièrement à la télévision italienne : « on ne peut pas dire en termes corrects, exacts, précis qu’il y ait un schisme (…). Ils sont à l’intérieur de l’Eglise. Il y a seulement ce fait qu’il manque une pleine, une plus parfaite, - comme cela a été dit durant la rencontre avec Mgr Fellay -, une plus pleine communion, parce que la communion existe ». (Canal 5 – le 13/11/2005).
Qui niera que beaucoup dans le diocèse ont été, par exemple, scandalisés par la participation de Simone Veil à ces discours « humanistes » ? Quand on songe aux conséquences terribles de la culture de mort propagée dans nos pays d’Europe, on est bouleversé par une telle contradiction. Serait-il « moralement incorrect » de réagir et de manifester une juste indignation ?
Qui niera que ces journées ont expérimenté la victoire de la pensée maçonnique sur celle de l’Eglise ? La presse – parmi laquelle La Croix s’est particulièrement distinguée – a largement commenté cette satisfaction unanime des francs-maçons. Pendant ces journées, le discours de Jean-Jack Queyranne a bien illustré cette récupération maçonnique de la religion pour une « saine laïcité »…
Comment ne pas être troublé en lisant dans le bulletin diocésain d’octobre une citation de ce même discours ? La phrase qui précédait celle retenue par le cardinal disait qu’ « il n’y a pas de vérité absolue, pas de dogme intangible ». Cette maxime, si elle est « politiquement correcte », n’est pas catholique et ne peut apporter aux hommes la paix dont ils ont besoin …
Nous estimons que la gravité des faits et des principes mis en cause nous impose le devoir de réagir et que, loin de créer du trouble, cette lettre ne fait que le constater.
Nous refusons de penser que, dans l’Eglise, une pensée unique « religieusement correcte » soit imposée alors qu’elle met la conscience chrétienne devant de graves problèmes dogmatiques et moraux. Est-il normal que ces questions doctrinales relevées par la Fraternité Saint Pie X soient ignorées ou évitées alors qu’on parle par ailleurs de dialogue et de respect de l’autre ?
Le Père Luc-Thomas Somme, doyen de la faculté de théologie de Toulouse, écrivait dernièrement : « Lorsque des chrétiens émettent une contestation d’ordre doctrinal, il ne faut pas éluder le débat, il faut se situer à cette hauteur-là ; l’amour et la recherche de la vérité. La réponse ne peut pas être simplement disciplinaire, que ce soit pour résoudre le litige ou prétendre le classer sans suite. » (La Nef, octobre 2005 – cité dans DICI N° 122).
C’est dans cet esprit que nous vous avons envoyé ce courrier. Des conceptions profondément divergentes existent aujourd’hui dans l’Eglise, et nous souffrons de cette crise : nous pensons qu’un débat serein, objectif et sans crainte de la vérité pourra aider à retrouver l’unité dans la charité, qui est ultérieurement un don de Dieu.
Soyez assuré, Monsieur l’abbé, que cette intention de prières est la nôtre, dans un esprit fraternellement sacerdotal. Que la Vierge Marie, Mère de l’Eglise, nous aide chacun dans notre ministère à réaliser ce désir du Cœur du Christ notre Sauveur.
Sylvain Lamerand +
Voici des extraits du discours de Jean-Jack Queyranne auquel l’abbé Lamerand fait référence dans sa lettre aux prêtres de l’archidiocèse de Lyon.
Discours de Jean-Jack Queyranne, président de la Région Rhône-Alpes (extraits)
le 11 septembre 2005
La 19ème Rencontre internationale pour la paix, dont le thème [est] « le courage d’un humanisme de paix » prend cette année un relief particulier. Le siècle qui vient de s’achever est certainement l’un des plus paradoxaux de l’histoire. Les progrès des sciences et de technologies, comme ceux du génie médical nous ont comblés de leurs bienfaits, au-delà des rêves les plus fous de nos aïeux. Mais ces progrès suscitent bien des interrogations. Le doute s’est installé dans nos esprits et dans nos cœurs : pouvons-nous orienter le devenir de notre monde vers plus de justice et de bonheur ? (…)
En ce 11 septembre 2005 – alors que le destin vient encore de s’acharner sur les plus pauvres, dans les immeubles lépreux de nos cités, sur les terres arides d’Afrique et sur la côte Sud des Etats-Unis-, « le courage d’un humanisme de paix » résonne une nouvelle fois comme un cri du cœur – d’un cœur qui ne se résigne pas-, un appel adressé à l’humanité, pour bâtir, ensemble, un autre monde.
Quelles sont les voies qui s’ouvrent à notre résolution ?
Il n’y a pas de vérité absolue, pas de dogme intangible, pas de solution qui s’impose naturellement. Il n’y a pas d’autre alternative qu’une recherche humble et pluraliste, qu’une quête fondée sur la tolérance et le respect de l’autre.
Je crois profondément qu’un des meilleurs viatiques, pour qui veut entreprendre ce voyage, est l’œuvre des philosophes et des écrivains qui, au fil des siècles, ont contribué à fonder et à enrichir l’Humanisme de la force de leur pensée. (…)
Je veux évoquer, devant vous, quelques uns de ces grands luminaires. (…) , ils sont la contribution la plus authentique de notre Région à cet « esprit d’Assise » que la Communauté Sant’Egidio a choisi d’incarner.
Sébastien Castellion, ce protestant profondément choqué par l’exécution de Michel Servet à Genève, sur ordre de Jean Calvin (…).
Voltaire [et] ses textes les plus célèbres en faveur de la tolérance – tel l’extraordinaire Dictionnaire philosophique – et pour la réhabilitation des victimes du fanatisme de Jean Calas au Chevalier de la Barre (…).
Jean-Jacques Rousseau, grand précurseur, génie visionnaire, inventeur d’utopies fécondes, ne proposait rien de moins qu’un « Contrat social » pour mettre fin aux inégalités et à l’oppression…
Pourquoi ne pas rêver aujourd’hui d’un « contrat social mondial », dont l’humanité aurait tant besoin pour raviver la flamme de l’espérance, pour permettre à chacun d’accéder à la dignité, à la justice, à la liberté et à la paix ?
Quelle leçon léguée à l’humanité, que celle de ces deux philosophes qui, dans notre région, à quelques kilomètres de distance, ont éclairé la pensée universelle. (…)
Antoine de Saint-Exupéry… Chacun connaît l’admirable définition qu’il donne de l’humanité dans Terre des hommes : « Etre homme, c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. (…) C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde ». (…)
Je forme le souhait que les enseignements des grands esprits que j’ai évoqués nous aident à mieux vivre ensemble.
Chacun d’entre eux vaut, bien sûr, par son œuvre personnelle, mais ce qui nos touche le plus, c’est ce dialogue ininterrompu à travers les siècles, le courage du passage du témoin d’une génération à l’autre, bien au-delà des différences.
Cela peut se dire de bien des manières. Certains d’entre vous croient à la Communion des saints. D’autres goûtent la belle légende des lamed-vav (« trente-six », en hébreu), le nombre des Justes grâce auxquels le monde subsiste. D’autres mettent leur espoir dans l’oumma, la fraternité des croyants. D’autres, enfin, agnostiques, libres penseurs, athées, espèrent tout simplement en la fraternité des hommes. (…)