Lettre aux amis et bienfaiteurs n° 65
Chers amis et bienfaiteurs,
LÉglise vient de célébrer les 25 ans de pontificat du pape Jean-Paul II, lun des plus longs de toute son histoire. Lun de ceux aussi qui auront connu lune des plus grandes décadences quelle ait jamais subie. La Révolution, les deux guerres mondiales, le communisme auront causé moins de dégâts à lÉglise que les réformes du Concile Vatican II. Le mal intérieur a provoqué une plus grande perte de la foi, une plus grande désertification spirituelle spécialement en Europe et en Amérique du Nord, que celle provoquée par les ennemis extérieurs de lÉglise. Est-il illégitime de penser que ce Concile a osé donner une nouvelle mission à lÉglise, une nouvelle fin : dêtre le « sacrement de lunité du genre humain » ? Jusqualors, lunique et premier souci de lÉglise avait été de sauver les âmes, de les arracher au démon et au péché, de les conduire à Dieu par la foi et la grâce transmises par les sacrements. Le souci de lunité du genre humain est tout simplement étranger à ses préoccupations. LÉglise, essentiellement surnaturelle et dans sa fin et dans ses moyens, na que faire dune mission terrestre et purement humanitaire. Certes, elle connaît une unité surnaturelle, et elle cause aussi une unité humaine parmi ses fidèles, mais cela est purement accessoire à son but, ce nest quune conséquence de lunion dans la foi et la charité. Cependant, elle sait apprécier à sa juste valeur le lien de la paix, vinculum pacis.
Plus nous avançons, plus il devient évident que lcuménisme est une des clefs de voûte de lentreprise conciliaire et post-conciliaire. Les autorités romaines ne cessent dailleurs de le rappeler.
La plupart des réformes ont été faites au nom de cet cuménisme, les plus grandes réussites pareillement. La réforme liturgique, les nouvelles relations avec les religions chrétiennes et non-chrétiennes, la bible cuménique, tout cela a fait entrer dans les murs des fidèles un certain nombre dattitudes, une nouvelle vision qui na vraiment plus grand-chose à voir avec lenseignement et la discipline pluriséculaire de lÉglise.
Mais il faut aller encore beaucoup plus loin. Le cardinal Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de lunité des chrétiens, a donné récemment une conférence qui jette une vive lumière sur ce quest réellement lcuménisme : une entreprise de démolition en grand, de tout ce qui est spécifiquement catholique dans lÉglise. Décidément, nous nous trompons lorsque nous pensons que lcuménisme est un mouvement à base de dialogue pour faire revenir à la sainte Église les brebis qui se sont séparées delle.
Ayant accepté laxiome selon lequel lÉglise doit être le ferment de lunité du genre humain, lon passe à lexamen des causes de division. Et soudain il apparaît que ce sont précisément les éléments spécifiquement catholiques qui divisent les chrétiens et les hommes. (Notre-Seigneur nest-il pas signe de contradiction, une pierre dachoppement ?) Kasper nous apprend que lcuménisme nest pas ce mouvement qui cherche la conversion, le retour des égarés qui ont quitté lunique bercail. Un tel concept dunité lui est étranger ; en fait, lcuménisme consiste à réaliser une nouvelle unité, ensemble avec ces égarés qui tout à coup ne le sont plus : « un chemin commun vers lunité dans la diversité réconciliée ». De cette unité, le cardinal dit que nul ne sait ce quelle sera, car « lEsprit saint est toujours bon pour une surprise ». Manifestement, le responsable de la promotion de lunité ne sait pas où il va, mais il sait ce quil fait : il veut ôter de lÉglise catholique tout ce qui la distingue spécifiquement. Et il y a beaucoup à faire !
La première division ne vient-elle pas de la profession de foi ? de ces formules dogmatiques que notre bonne Mère la sainte Église a su et dû élaborer pour protéger la foi qui sauve et qui donne la vie éternelle, contre les faussaires et faux prophètes dun évangile tout aussi faux que nouveau ? Pratiquement toutes les hérésies ont été fixées, bloquées dans une formule succincte, tranchée, qui manifeste le plus clairement possible labîme qui existe entre la vérité et lerreur, la foi et lhérésie. Pour Kasper, qui surpasse le cardinal Ratzinger (ce dernier na-t-il pas écrit, à la suite dUrs von Baltasar que lurgence du moment était le démantèlement des bastions de la foi ?), il faut dépasser ces « malheureuses » formules qui divisent en retrouvant une unité dont on se rendrait compte aujourdhui quelle na jamais été perdue une même foi sous des credos différents... « la recherche daccords différenciés qui transforment les contradictions dhier en assertions complémentaires a ainsi abouti... » Dans cette perspective, les dogmes sont qualifiés de vieilles formules polémiques.
La vie sacramentaire, les ministères ecclésiastiques jusquà lépiscopat lui-même, et finalement, le point dachoppement par excellence contre lunité, la primauté pontificale, trouvent par lopération kaspérienne des solutions dunité qui reviennent tout simplement à tout transformer dans lÉglise et à tout réduire à un plus petit dénominateur commun.
Kasper ne sait pas sil faudra accorder au pape de demain une juridiction ou une infaillibilité, cela dépendra des nécessités du moment
une sorte de papauté à géométrie variable, voilà la solution ! imposée par la conditionnalité historique du dogme que lon a réussi à distinguer de son contenu permanent. Du pur modernisme.
Le cardinal Kasper est le bras droit du pape dans ce que ce dernier qualifie de « devoir le plus important de son pontificat ». Même si le cardinal présente cette conférence comme sa vision personnelle, il ne fait aucun doute quelle dirige son action officielle dune part, et que dautre part il nest pas le seul à penser ainsi. Sa présentation est audacieuse, mais elle reste dans le courant dominant, la ligne officielle.
En voici une illustration toute récente : à Fatima sest tenue une nouvelle réunion interreligieuse au début du mois doctobre. Cest Assise qui continue. Cette fois-ci au cur dun sanctuaire marial. On y a annoncé la construction dun grand temple pluri-religieux. Cette entreprise se déroule sous légide du Vatican et de lONU.
Nous nous demandons bien comment un accord serait possible dans de telles circonstances. Comment pourrions-nous passer sous silence de telles aberrations ? Nous refusons tout accord différencié, nous affirmons la contradiction entre le vrai et le faux, et notre ferme volonté de navoir nullam partem1 avec une telle entreprise, car, tout simplement, nous voulons rester catholiques. Cest avec horreur et dégoût que nous nous distançons dune telle façon de voir lÉglise et de vivre la communion. Comment peut-on prétendre que la Rome moderniste aurait changé, quelle deviendrait favorable à la Tradition ? Quelles illusions !
Dans notre lutte pour conserver lidentité catholique, nous avons été appelés à laide par un groupe de prêtres ukrainiens. Depuis quelques années déjà, nous les soutenons, en particulier par lérection dun séminaire, longtemps clandestin. Cette année cette saine réaction a éclaté au grand jour. Le cardinal Husar, leur évêque, a convoqué le supérieur de la Fraternité saint Josaphat pour lui réclamer des explications et exiger une prise de position claire : « soit moi, soit Mgr Fellay ». Il le menace ainsi que tous les prêtres une dizaine et les fidèles qui le suivent plus de dix mille de la grande excommunication. Cela signifie, dans ce pays où le communisme nest pas mort, de nombreuses vexations, peines ou persécutions. Nous les recommandons à vos prières. Au mois de novembre, Mgr Tissier de Mallerais a ordonné à Varsovie le premier prêtre issu de ce séminaire.
A la veille de la Fête de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, renouvelons en même temps notre adoration, notre ferme volonté de Le servir et de Le suivre jusquau bout. Implorons ardemment sa grâce pour accomplir ses saints désirs. Soyez bien assurés de la prière de tous nos séminaristes, rentrés en nombre cette année, puisque, dans lensemble de nos séminaires, ils furent soixante nouveaux à commencer leur année de spiritualité. Daigne Notre Seigneur récompenser votre générosité si fidèle par ses grâces abondantes et daigne notre bonne Mère du Ciel vous protéger tout au long de la nouvelle année.
Le 8 décembre 2003
en la fête de lImmaculée Conception
+Bernard Fellay
Supérieur général