L’Exhortation apostolique Evangelii gaudium

Source: FSSPX Actualités

Le 26 novembre 2013, le pape François a fait paraître l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium (la joie de l’Evangile) qui devait être une synthèse du Synode sur la nouvelle évangélisation que Benoît XVI avait réuni en octobre 2012.

En fait, le nouveau pape n’en tient presque pas compte, et laisse aux épiscopats locaux le soin de tirer eux-mêmes les conclusions qui leur sembleront utiles. Il préfère, à l’occasion de ce document, développer les thèmes qui lui paraissent importants et qu’il a déjà exposés ça et là au cours des huit premiers mois de son pontificat.

Ainsi l’on retrouve au fil des 288 points de cette longue exhortation les expressions qu’il affectionne : l’Eglise doit « sortir vers les autres pour aller aux périphéries humaines » ; « une Eglise pauvre pour les pauvres » ; plutôt une Eglise « accidentée et blessée » parce qu’elle est sortie à la rencontre des autres, qu’une Eglise malade parce que fermée aux autres...

Au fil de ce document qui ne se soucie pas d’un plan logique très strict, le pape traite de « la transformation missionnaire de l’Eglise » (chap. 1), de « la crise de l’engagement communautaire » (chap. 2) où il est question des « tentations des agents pastoraux » ; de la prédication (chap. 3) ; de « la dimension sociale de l’évangélisation » (chap. 4) où sont vues, entre autres, l’attention aux pauvres et la paix sociale. Au début, François reconnaît le caractère « programmatique » de cette exhortation pour son pontificat : « Je souligne que ce que je veux exprimer ici a une signification programmatique et des conséquences importantes. » (n° 25). En sorte que certains vaticanistes n’hésitent pas à dire qu’il s’agit en réalité d’une encyclique.

Au sujet de la réforme annoncée de l'Eglise, comme l’écrit Jean-Marie Guénois dans Le Figaro du 27 novembre, le souverain pontife « appelle de ses vœux une des applications du concile Vatican II que le cardinal Joseph Ratzinger, sous le pontificat de Jean-Paul II, avait toujours combattu, en enterrant ce projet : ‘un statut pour les conférences épiscopales’ leur donnant ‘une certaine autorité doctrinale authentique’. Ce qui revient effectivement à affaiblir le centre, la papauté, le Vatican, pour donner plus de place aux évêques locaux. (...) Cette volonté de réforme de la culture profonde de l'Eglise – passer d'une vision centralisatrice et dogmatique, à une vision d'une Eglise ‘aux portes ouvertes’ pour mieux accueillir – implique une série de petites réformes, qui ne sont pas d'aimables suggestions mais que François demande, de façon très nette, d'appliquer. »

Et les observateurs n’ont pas manqué de noter que cette exhortation apostolique contient autant de références à des textes d'épiscopats de différentes régions du monde, qu'à des textes du magistère romain. En attendant une analyse plus complète, trois remarques peuvent déjà être faites :

1. Derrière le désir du pape d’insuffler un nouvel élan missionnaire, on ne peut s’empêcher de voir une dénonciation implicite des maux présents de l’Eglise, qui n’ose pas remonter à la cause de ces maux. Lorsqu’il invite les catholiques à être plus engagés dans la vie sociale, il montre – sans le dire – combien a fait de dégâts « l’enfouissement » préconisé après le Concile, au nom de l’ouverture au monde, – « enfouissement » qui n’était autre qu’une sécularisation, une adoption de l’esprit du monde rendue visible à tous les fidèles par l’adoption de l’habit séculier par la plupart des clercs. Or cet habit séculier fit naître des habitudes séculières...

2. Lorsque le pape François dénonce à juste titre le mythe de la « main invisible » qui régule harmonieusement, mais mystérieusement, les mouvements du « marché divinisé », il dénonce le libéralisme, mais il omet de citer les grandes encycliques anti-libérales de ses prédécesseurs anté-conciliaires, comme Léon XIII. Peut-être parce que ces critiques du libéralisme économique s’accompagnent d’une critique du libéralisme doctrinal aux valeurs duquel le Concile a voulu ouvrir l’Eglise, selon l’aveu du cardinal Joseph Ratzinger ?

3. L’exhortation apostolique fustige la privatisation de la religion dans la société post-moderne qui rejette la dimension politique et sociale du catholicisme, mais dans le même temps elle entend maintenir les exigences conciliaires de la liberté religieuse et du dialogue interreligieux, en affirmant que l’évangélisation n’est contredite ni par l’une ni par l’autre. L’exhortation se contente d’affirmer cette non-contradiction, mais les faits se chargent de la démentir.

C’est ainsi que le pape « prie et implore humblement les pays (de tradition islamique) pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux ! » (n°253) C’est là qu’on peut voir le Concile à l’épreuve de la réalité.