Liban : le cardinal Raï accuse le Hezbollah d’établir un Etat policier

Source: FSSPX Actualités

Mgr Moussa el-Hage

L’Eglise maronite est déterminée à défendre ses droits après l’arrestation de l’archevêque de Haïfa et de Terre Sainte, à cause d’argent et de médicaments destinés aux familles séparées par la guerre, rejetant les accusations de liens avec Israël.

La tension est de plus en plus vive entre le cardinal Béchara Raï, patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, et le Hezbollah. Retour sur une affaire complexe et qui trouve des racines éloignées dans les rapports tendus depuis des années entre Bkerké, siège du patriarcat, et la milice chiite.

Une situation de guerre

Depuis le retrait de l’armée israélienne de la zone Sud-Liban en 2000, des familles libanaises se sont réfugiées en Israël. Au Liban, ils sont tenus pour des traîtres et accusés d’avoir collaboré avec Israël, car l’Etat hébreu est considéré comme un ennemi contre lequel le Liban est toujours en guerre.

La loi libanaise interdit toute sorte de rapport économique avec des citoyens israéliens. Selon l’article 285 du code pénal, est passible d’une peine de prison d’au moins un an tout Libanais qui tente de faire une transaction commerciale, d’achat, de vente ou de troc avec un citoyen de l’Etat ennemi.

Toutefois, les déplacements de part et d’autre de la frontière du clergé maronite sont protégés par une clause de l’accord d’armistice avec Israël de 1949. Mais tout ce qui concerne un convoyage de fonds qui n’appartiendraient pas à l’Eglise est interdit.

La terrible crise économique

Le Liban est actuellement dans une situation dramatique : crise de la dette, effondrement du système bancaire, dévaluation continue de la devise, et augmentation du prix de la vie, couronnés par l’explosion du port de Beyrouth, qui a mis le dernier clou dans le cercueil de l’économie libanaise.

A cela s’ajoute une crise sociale et politique, de sorte que 80 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et subit des pénuries de médicaments, d’électricité et de carburant. Alors que la confiance dans l’élite politique et financière du pays a disparu, l’Eglise maronite tente de soulager les misères des Libanais, en particulier en faisant transiter de l’argent et des médicaments depuis Israël.

Les faits

Le lundi, 18 juillet 2022, à 11h30, l’archevêque maronite de Haïfa et de Jérusalem, Mgr Moussa el-Hage, est arrêté à la frontière par la Sûreté générale (SG) sur ordre du juge Fadi Akiki, puis subit un interrogatoire de douze heures. Il est relâché vers minuit, après avoir été délesté de son passeport, de son portable, et d’un montant de 460 000 dollars ainsi que de médicaments.

Un communiqué publié le jeudi 21 juillet par la SG, a indiqué que la mesure en question est « légale ». Du côté de Bkerké, on considère que l’incident crée un grave précédent : on ne peut interpeller un archevêque sans en référer à son autorité hiérarchique.

Quels sont les actes reprochés à Mgr Hage ?

Les actes imputés sont l’acheminement de fonds en provenance d’un Etat ennemi ainsi que l’importation de médicaments israéliens, dont les prescriptions sont rédigées en hébreu et sur l’emballage desquels figurent également des inscriptions dans cette langue.

Kassem Hachem, député du groupe parlementaire d’Amal, estime que de tels actes « enfreignent les lois sur le boycott d’Israël. (…) Quelles que soient les aides, elles ne doivent pas provenir d’un Etat ennemi », soulignant que « ceux qui portent atteinte à ces lois sont exposés à des poursuites ».

Selon le journal pro-Hezbollah al-Akhbar, l’archevêque aurait remis de l’argent à un soldat de l’armée libanaise qui aurait été recruté par le Mossad et jugé ensuite par le tribunal militaire. Il aurait également été averti que l’argent qu’il transportait était fourni par des Libanais condamnés pour collaboration avec Israël et était susceptible d’être confisqué parce provenant d’un Etat hostile.

Mgr Hage réfute ces accusations

L’archevêque rejette en bloc toutes ces accusations. Dans un entretien accordé à L’Orient - Le Jour (OLJ), il explique que les sommes transportées « sont des aides (qu’il) achemine depuis des mois aux familles. Cela fait dix ans qu’(il) rend ce service. Depuis l’explosion du port le 4 août 2020 et l’effondrement économique, les sommes ont augmenté parce que le besoin est devenu plus grand. »

« Chaque personne dans les territoires occupés qui souhaite envoyer de l’argent à sa famille au Liban vient à la paroisse pour me remettre l’enveloppe. Ceux qui m’ont arrêté prétendent que cet argent est destiné aux familles des agents d’Israël. Ce ne sont pas des agents, mais les Libanais qui ont fui en Israël », ajoute-t-il encore.

Contacté par L’OLJ, l’ancien ministre Sejaan Azzi, proche du patriarche maronite, assure que l’activité reprochée à Mgr Hage est « habituelle, sociale, humanitaire et religieuse. (…) Elle est menée depuis le XIXe siècle », indique-t-il.

Une toile de fond

Dans l’entretien qu’il a accordé à L’OLJ, Moussa el-Hage assure que « son arrestation vise à envoyer un message musclé au patriarche ». Celle-ci s’inscrit en effet dans un double contexte politique. D’une part, le patriarche Raï multiplie les critiques contre le Hezbollah et appelle à affirmer la neutralité du Liban, ce qui a le don d’agacer la milice chiite.

D’autre part, le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, évoque ces derniers temps les risques d’une guerre imminente avec Israël. Dans ce contexte, il est probable que le parti cherche à faire de la surenchère concernant toute personne ou action qui peut avoir un lien direct ou indirect avec l’Etat hébreu.

Vive réaction du cardinal Raï

« Ce qui s’est passé est une insulte à l’Eglise maronite, au patriarcat et à moi personnellement », a tonné le cardinal Béchara Raï le dimanche 24 juillet, devant une foule de fidèles rassemblés pour le soutenir devant le siège d’été du patriarcat maronite à Dimane, dans le nord du Liban.

« Le Liban est en train de devenir un Etat policier », a averti le patriarche Raï, « un Etat inquisitorial dans lequel tout le monde surveille tout le monde, un Etat de suspicion et de dénonciation généralisées ».

Le cardinal poursuit : « Utiliser Israël et la solidarité avec les Palestiniens comme prétexte pour justifier l’arrestation d’un évêque et imposer un blocus imperméable à tout transit humanitaire vers le Liban est une attaque contre un droit acquis de longue date non seulement par l’Eglise maronite, mais aussi par l’Eglise gréco-catholique, qui a également un siège épiscopal à Haïfa. »

Soutien du Patriarcat latin

Cette position est conforme à celle exprimée par le Patriarcat latin de Jérusalem qui, selon les termes de Mgr Pierbattista Pizzaballa, considère qu’il est « nécessaire pour la préservation de la présence des chrétiens en Terre Sainte » de promouvoir « la solidarité avec les chrétiens du Moyen-Orient ».

« Nous approuvons pleinement Mgr Moussa El Hage, a dit Mgr Pizzaballa, pour l’œuvre de charité qu’il accomplit généreusement, en apportant régulièrement des aides matérielles et des médicaments collectés par des bienfaiteurs, aux familles libanaises pauvres de toutes religions – chrétiennes, musulmanes et druzes – en grande difficulté. »

« Ce serait une punition collective pour les Libanais, contraints de résider en Israël, et pour les communautés maronites de Terre Sainte, que d’interdire tout transit humanitaire entre Israël et le Liban », conclut-il. Le patriarche Raï a déclaré qu’il était déterminé à défier les interdictions, qu’il considère comme « politiques », et à poursuivre la mission de l’Eglise maronite.