A l'occasion de ce 250e numéro de DICI
Le patronage de saint François de Sales, rappelé dans l'éditorial de ce 250e numéro de DICI, interdit au journaliste catholique les titres sensationnels destinés à faire « vendre du papier » ou, comme on dit aujourd’hui, à faire le « buzz sur le net ».
Ainsi que l'affirmait avec netteté le cardinal Ottaviani, le 29 janvier 1959, le journalisme catholique est honor et onus, un honneur et une charge dont il précisait les divers aspects : « Au moins dans la manière avec laquelle la nouvelle est présentée et commentée, la chronique, comme le commentaire, doit avoir le mérite d’une saveur chrétienne, l’avantage de préserver l’âme du lecteur de la corruption qui déborde des faits.
A cela peut pourvoir le journaliste, non seulement dans les articles de fond, dans les morceaux de polémique, mais même dans le simple choix et la sélection des phrases, desquelles il est toujours artisan, sinon artiste. Quelquefois il peut suffire d’un adjectif rajouté au titre d’une rubrique. On comprend donc ce que veut dire l’appellation de ‘lumière du monde’ : cette saveur chrétienne qui est donnée au sens de la vie, irradiée de la lumière de l’Evangile, acquiert une valeur toute spéciale par le mérite du journaliste, qui projette sur les événements et dans les commentaires cette clarté de vision que seule la vérité chrétienne peut donner, par la juste appréciation des faits. » (…)
Et un peu plus loin, le prélat romain ajoutait : « Veritatem facientes in caritate. Comme votre patron, saint François de Sales, évêque d’une ville aux frontières de l’erreur, vous devez être des sentinelles entre la vérité et l’erreur, rappeler les fugitifs, retenir les fuyards. Clama ne cesses ! C’est votre commandement, non moins que celui des prophètes et de l’Eglise. Dites la vérité, mais dites-la avec amour.
Ainsi seulement vous ferez prévaloir dans les cœurs ulcérés des hommes, empoisonnés par une propagande d’erreur et de haine, le sens de la paix chrétienne ; ainsi seulement vous honorerez et imiterez votre Patron qui écrivit : 'Qui prêche avec amour prêche assez contre les hérétiques ; bien qu’il ne prononce pas une seule parole de dispute contre eux '. Et parler avec amour ne veut pas dire parler sans force. L’Amour est une force à laquelle aucune autre force ne résiste ; elle vainc tout et entraîne tout. » Ces exigences dictées par le sens du devoir peuvent paraître – même à un journaliste catholique – excessivement contraignantes ; elles risquent de lui faire craindre de manquer la révélation exclusive, le « scoop » dont le grand public est si friand. Il pourrait dès lors être tenté d'y renoncer par souci d'efficacité, afin de privilégier l’information « en temps réel », vite diffusée et aussi vite démentie, parce qu’elle n’a pas été vérifiée ni recoupée, seulement « copiée » et immédiatement « collée ».
Ce qui donnait, par exemple, le 31 janvier dernier, un titre du genre : « Rome-Ecône, les pourparlers ont échoué », alors que le corps de l'article déclarait : « La réponse de Rome est désormais entre les mains de Benoît XVI ». Ou encore le 2 février : « Selon le P. Gabriele Amorth, exorciste du diocèse de Rome, le pape a pratiqué des exorcismes lors d'une audience générale », suivi le même jour d'une dépêche intitulée : « Le pape n´a pratiqué aucun exorcisme lors d´une audience générale de mai 2009 ».
Cardinal Alfredo Ottaviani.
Dans son célèbre discours de Harvard, le 8 juin 1978, Alexandre Soljenitsyne a courageusement affirmé : « La nécessité de donner avec assurance une information immédiate force à combler les blancs avec des conjectures, à se faire l’écho de rumeurs et de suppositions qui ne seront jamais démenties par la suite et resteront déposées dans la mémoire des masses.
Chaque jour, que de jugements hâtifs, téméraires, présomptueux et fallacieux qui embrument le cerveau des auditeurs – et s’y fixent ! La presse a le pouvoir de contrefaire l’opinion publique, et aussi celui de la pervertir. La voici qui couronne les terroristes des lauriers d’Erostrate ; la voici qui dévoile jusqu’aux secrets défensifs de son pays ; la voici qui viole impudemment la vie privée des célébrités au cri de : ‘Tout le monde a le droit de tout savoir’ (slogan mensonger pour un siècle de mensonge, car bien au-dessus de ce droit il y en a un autre, perdu aujourd’hui : le droit qu’a l’homme de ne pas savoir, de ne pas encombrer son âme créée par Dieu avec des ragots, des bavardages, des futilités. Les gens qui travaillent vraiment et dont la vie est bien remplie n’ont aucun besoin de ce flot pléthorique d’informations abrutissantes). » Et d’en tirer cette conclusion très juste : « La presse est le lieu privilégié où se manifestent cette hâte et cette superficialité qui sont la maladie mentale du XXe siècle. Aller au cœur des problèmes lui est contre-indiqué, cela n’est pas dans sa nature, elle ne retient que les formules à sensation. »
A ceux qui trouveront encore trop chrétienne cette référence à un écrivain orthodoxe, nous offrons la déclaration d'un écrivain qui ne s'est pas déclaré catholique, mais qui n'avait pas éteint en lui le sens du devoir d'un journaliste digne de ce nom. Au plan strictement naturel, Albert Camus écrivait en 1947 : « Loin de refléter l’état d’esprit du public, la plus grande partie de la presse française ne reflète que l’état d’esprit de ceux qui la font. A une ou deux exceptions près, le ricanement, la gouaille et le scandale forment le fond de notre presse.
A la place de nos directeurs de journaux, je ne m’en féliciterais pas : tout ce qui dégrade en effet la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. Une société qui supporte d’être distraite par une presse déshonorée et par un millier d’amuseurs cyniques, décorés du nom d’artistes, court à l’esclavage malgré les protestations de ceux-là mêmes qui contribuent à sa dégradation. » Ne pas distraire l’âme de l’essentiel – au sens pascalien –, ne pas non plus l’encombrer de ragots, voilà ce que DICI s’efforce de faire. Merci de nous donner les moyens d'étendre le rayonnement de la revue en souscrivant un abonnement pour vous ou un ami, par courrier (voir p. 12) ou en ligne.
Related links
(DICI n°250 du 17/02/12)