En marge du colloque : « Eglise, où vas-tu ? »

Source: FSSPX Actualités

Lors du colloque « Eglise, où vas-tu ? ».

A l’avant-veille du colloque « Eglise, où vas-tu », qui s’est tenu le 7 avril 2018 à Rome, deux de ses participants – le cardinal Burke et le sénateur Pera – ont accordé des entretiens à la presse, dans lesquels ils montrent les véritables enjeux du débat actuel sur la confusion doctrinale qui règne dans l’Eglise.

Cardinal Burke : « Fatima nous met en garde contre le mal qu’est l’apostasie de la foi dans l’Eglise »

Le cardinal Raymond Burke, Patronus de l’Ordre de Malte, répondait aux questions du vaticaniste Riccardo Cascioli dans La Nuova Bussola Quotidiana du 5 avril, avant de donner une conférence au colloque du 7 sur le thème : « Les limites de l’autorité papale dans la doctrine de l’Eglise ». Voici ses réponses les plus significatives :

« La confusion et la division dans l’Eglise sur les questions les plus fondamentales et les plus importantes que sont le mariage et la famille, les sacrements et la juste disposition pour y accéder, les actes intrinsèquement mauvais, la vie éternelle et les “novissima” (les fins dernières), cette confusion et cette division se répandent de plus en plus. Et le pape non seulement refuse de clarifier les choses par l’affirmation de la doctrine constante et de la discipline saine de l’Eglise – ce qui est pourtant une responsabilité inhérente au ministère du successeur de saint Pierre –, mais il augmente même la confusion ».

A la question du silence assourdissant de nombreux évêques, le prélat américain répond :

« Sans aucun doute la situation s’est encore aggravée avec le silence de nombreux évêques et cardinaux qui partagent (en droit) avec le Pontife romain le souci de l’Eglise universelle. Certains sont tout simplement silencieux. D’autres prétendent qu’il n’y a rien de grave. D’autres encore diffusent cette fiction d’une nouvelle Eglise, d’une Eglise qui prend une direction totalement différente de celle du passé, imaginant par exemple un “nouveau paradigme” pour l’Eglise ou une conversion radicale de la pratique pastorale de l’Eglise, la rendant complètement nouvelle. Et puis, il y a ceux qui sont les promoteurs enthousiastes de la soi-disant révolution dans l’Eglise catholique. Les fidèles qui comprennent la gravité de la situation, ce manque de direction doctrinale et disciplinaire de la part de leurs pasteurs les laisse égarés. Les fidèles qui ne comprennent pas la gravité de la situation, cette carence les laisse dans la confusion et les rend peut-être victimes d’erreurs nuisibles à leur âme. Beaucoup de ceux qui sont entrés dans la communion de l’Eglise catholique – après avoir été baptisés dans une confession protestante –, parce que leurs communautés ont abandonné la foi apostolique, ceux-là souffrent intensément de la situation, en s’apercevant que l’Eglise catholique suit le même chemin d’abandon de la foi.

Le cardinal Burke rapproche l’état présent de l’Eglise et le message de Fatima en 1917 :

« Cette situation m’amène à réfléchir de plus en plus sur le message de Notre-Dame de Fatima qui nous met en garde contre le mal – encore plus grave que les maux très graves subis à cause de la propagation du communisme athée – qu’est l’apostasie de la foi dans l’Eglise. Le § 675 du Catéchisme de l’Eglise catholique nous enseigne que “avant la venue du Christ, l’Eglise doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants”, et que “la persécution qui accompagne son pèlerinage sur terre révélera le ‘mystère d’iniquité’ sous la forme d’une imposture religieuse qui offre aux hommes une solution apparente à leurs problèmes, au prix de l’apostasie de la vérité”.

« Dans une telle situation, les évêques et les cardinaux ont le devoir de proclamer la vraie doctrine. Dans le même temps, ils ont le devoir de conduire les fidèles à réparer les offenses contre le Christ et les blessures infligées à son Corps mystique, l’Eglise, quand la foi et la discipline ne sont pas correctement conservées et promues par les pasteurs. Le grand canoniste du XIIIe siècle, Henri de Suse, confronté à la difficile question de savoir comment corriger un Pontife romain qui agirait d’une manière contraire à sa charge, affirme que le Collège des cardinaux constitue un contrôle de facto contre l’erreur papale. (...)

« Si le pape ne remplit pas sa charge pour le bien de toutes les âmes, il est non seulement possible mais aussi nécessaire de critiquer le pape. Cette critique doit suivre l’enseignement du Christ sur la correction fraternelle dans l’Evangile (Mt 18, 15-18). D’abord, le fidèle ou le pasteur doit exprimer sa critique de manière privée, ce qui permettra au pape de se corriger lui-même. Mais si le pape refuse de corriger sa manière gravement déficiente d’enseigner ou d’agir, la critique doit être rendue publique, parce qu’il s’agit du bien commun dans l’Eglise et dans le monde. Certains ont dénoncé une manifestation de rébellion ou de désobéissance chez ceux qui ont adressé publiquement leur critique au pape, mais lui demander – dans le respect dû à sa charge – la correction de la confusion ou de l’erreur n’est pas un acte de désobéissance, mais un acte d’obéissance au Christ et donc à son Vicaire sur terre ».

 

Sénateur Pera : « l’Eglise aujourd’hui est déséquilibrée »

Le 5 avril, l’ancien président du Sénat italien, Marcello Pera, était interrogé par Lorenzo Bertocchi dans La Verità. Il expliqua la phrase du cardinal Carlo Caffarra – signataire aujourd’hui décédé des Dubia – placée en exergue du colloque : « Seul un aveugle peut nier qu’il y a une grande confusion dans l’Eglise ».

« Avec ces mots, le cardinal voulait dire qu’aujourd’hui la foi vacille, soumise comme elle l’est à des interprétations qui lui semblaient contraires au dépôt de la foi de la tradition. En d’autres termes : il s’inquiétait que le message chrétien fût interprété non pas dans le sens eschatologique du salut, mais dans le sens politique de la libération. A mon avis, il avait raison : c’est précisément ce que fait le pape François, en le masquant sous une lutte contre la Curie ».

A la question : « Que pensez-vous de ceux qui disent que l’Eglise penche trop à “gauche” ? », l’homme politique italien répond :



« Je pense que l’Eglise de François ne penche pas à droite ou à gauche, elle est déséquilibrée, c’est tout. Elle est déséquilibrée en faveur du sécularisme, de la justice sociale, des droits de l’homme, des pauvres, des migrants et de l’égalité économique. L’Eglise de François a chargé le siècle présent sur ses épaules et pense qu’en le portant, en se l’appropriant, elle réalisera le royaume du Christ sur terre. C’est là, à mon avis, la principale rupture avec la doctrine et la tradition. Je n’ai pas de compétences techniques et je ne m’exprime pas de façon formelle, mais je pense qu’il s’agit d’une hérésie pélagienne : le siècle n’est pas vu comme chute et condamnation, mais comme élévation et opportunité. Le pape François n’est pas le seul à le penser. En plus des jésuites sud-américains, des théologiens de la libération et de l’émancipation sociale, des évêques et des prêtres “de rue”, Jean XXIII le pensait également dans son encyclique Pacem in terris, et aussi, en grande partie, le concile Vatican II, avec Gaudium et spes ».

Cette critique de Marcello Pera rejoint celle que Romano Amerio formulait dans Iota unum (N.E.L., 1987) en dénonçant une tragique « inadvertance de la fin dernière céleste, qui trouble de fond en comble la religion et en renverse la perspective : ‘Nous avons ici notre cité permanente et n’en cherchons pas d’autre pour l’avenir’ (à l’inverse de Heb. 13,14). » (p. 417).

Pour le théologien suisse de langue italienne, ce renversement de perspective est caractérisé par ce qu’il nomme une décoloration : « L’Eglise semble redouter d’être rejetée (par le monde moderne), comme elle l’est positivement par une grande fraction du genre humain. Alors elle cherche à décolorer ses propres particularités méritoires et à colorer en revanche les traits qu’elle a en commun avec le monde » (Ibid.). Et elle va essayer de faire valoir sa mission secondaire – civilisatrice et humanitaire –, mais elle va occulter son rôle premier, essentiel, strictement salvifique. C’est pourquoi poursuit-il : « Toutes les causes juridiques soutenues par le monde ont l’appui de l’Eglise. Elle offre au monde ses services et cherche à prendre la tête du progrès humain. » (Ibid.) Que ce soit l’écologie, les droits de l’homme, l’immigration, etc.