Ouverture des discussions doctrinales entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X
Le lundi 26 octobre, de 9h30 à 12h30, au Palais du Saint-Office, a eu lieu la première rencontre doctrinale entre le Saint-Siège et la Fraternité Saint-Pie X. En fin de matinée, le Bureau de presse du Vatican a fait paraître un communiqué, et un peu plus tard un rectificatif sur le rythme bimestriel des prochaines réunions, et non bimensuel comme annoncé par erreur précédemment (voir le texte intégral dans nos Documents). Dans le communiqué, on peut noter que la liste des « questions de caractère doctrinal qui doivent être traitées et discutées » n’omet aucun des problèmes théologiques qui font difficulté : « la notion de Tradition, le Missel de Paul VI, l’interprétation du Concile Vatican II en continuité avec la Tradition doctrinale catholique, les thèmes de l'unité de l'Église et des principes catholiques de l'œcuménisme, du rapport entre le Christianisme et les religions non chrétiennes et de la liberté religieuse ».
Un point d’entente entre les deux parties est déjà acquis, c’est celui d’observer une entière discrétion sur ces travaux qui ne sauraient être menés dans l’agitation qu’affectionnent les médias. De fait, à l’issue de la réunion les participants sont allés déjeuner sans faire de déclaration à la dizaine de journalistes postés dehors. La seule « révélation » exclusive, rapportée par le vaticaniste d’Il Giornale, Andrea Tornielli, est que les théologiens allaient désormais « travailler activement, en utilisant Internet pour échanger leurs points de vue », jusqu’à la prochaine rencontre prévue après la période des fêtes de Noël. De même, La Repubblica croit tenir en « scoop » en révélant qu’il a été question, au cours de cette première rencontre, de la critique que la Fraternité Saint-Pie X fait de la liberté religieuse et des rapports de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, depuis plus de 40 ans.
Rencontrant les journalistes en milieu de journée, le Père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, a déclaré : « Des personnes compétentes et autorisées ont enfin discuté de questions doctrinales ». A ses yeux, cette première réunion et les prochaines sont guidées par « un esprit de confiance ». (DICI n°204 – 31/10/09 – Sources : vatican,va/ Il Giornale/La Repubblica/IMedia/sources privées)
Brève revue de presse
Faute d’informations directes, les journalistes en sont réduits à conjecturer, à supputer, voire à imaginer… Certains font preuve d’une créativité intéressante.
L’ex-journaliste du Monde, Henri Tincq, voit déjà venir le crépuscule des traditionalistes : « Personne n'ignore l'état d'émiettement dans lequel se trouve aujourd'hui le milieu catholique intégriste. (...) Au fil des ans, la dissidence intégriste est devenue la pitoyable victime des déviations familières à tout groupuscule sectaire. » (Slate.fr du 25 octobre 2009). Il oublie seulement qu’il écrivait le contraire l’an dernier : « Les "tradis" sont toujours là. Largement français à ses débuts - en raison de la nationalité de Mgr Lefebvre et des crispations dans l'Hexagone sur la liturgie moderne -, le phénomène s'est mondialisé. (…) Les séminaires de la Fraternité saint-Pie X, noyau dur du schisme, ont essaimé en Allemagne, en Australie, aux Etats-Unis dans le Minnesota, en Amérique latine. Les générations de prêtres (près de 500) qui en sortent et de fidèles (600 000, de source vaticane) héritiers de cette dissidence se sont renouvelées. Elles sont installées dans plus de trente pays. Typiquement européen, ce modèle d'une Eglise autoritaire, intransigeante, anti-œcuménique et anti-moderne, dominée par la figure du saint prêtre en charge du sacré, s'est exporté. » (Le Monde, 2 juillet 2008)
L’agence suisse Apic parle de discussions doctrinales qui pourraient durer des années voire un siècle : « Confirmant une impression largement répandue au sein de la curie romaine, le supérieur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, Mgr Bernard Fellay, a récemment confié, pour sa part, que ces discussions seraient longues, qu´elles prendraient "peut-être même un siècle" » (Apic du 15 octobre, repris dans le n° du 23 octobre, sous le titre « Des années voire un siècle de discussions ? ») . Cette citation tirée de son contexte se trouve dans l’entretien accordé par Mgr Fellay à Roodepoort en Afrique du sud, le 15 septembre dernier : « Il faut rester réaliste. Le retour, la restauration de l’Église va prendre du temps. La crise qui frappe l’Église a touché tous les aspects de la vie chrétienne. Sortir de cette situation prendra plus d’une génération d’efforts constants dans la bonne direction. Peut-être un siècle ». Il n’est pas question ici des entretiens théologiques, mais de la résolution de la crise qui secoue l’Eglise dont le cardinal Ratzinger reconnaissait, un peu avant son élection, qu’elle était « comme une barque qui prend l’eau de toutes parts ». - A propos de la durée des discussions proprement dites, Mgr Fellay, dans le même entretien, se contentait de répondre : « Je n’ai pas la moindre idée du temps que vont prendre ces discussions. Cela va certainement aussi dépendre des attentes de Rome. Elles peuvent prendre un temps assez long. Et ce, parce que les sujets sont vastes ». (voir le texte intégral de cet entretien dans DICI n° 203 du 17 octobre 2009, pp. 9-11)
Mieux informé, le spécialiste religieux du Figaro, Jean-Marie Guénois, rappelle les points que la Fraternité veut voir traités au cours de ces discussions et indique les principes qui vont guider les experts romains : « De quoi vont-ils concrètement parler ? Il y a trois semaines, en Afrique du Sud, Mgr Fellay qui visitait les implantations de la Fraternité a résumé les points qui font ‘difficulté’ : ‘La liberté religieuse, l'œcuménisme, la collégialité’ et ‘l'influence de la philosophie moderne, les nouveautés liturgiques, l'esprit du monde et son influence sur la pensée moderne qui sévit dans l'Église.’ Vaste programme qui n'effraye pas les interlocuteurs romains. De ce côté-là, on se réjouit – ‘enfin’, il n'y a eu aucun échange officiel de ce type depuis 1988 - de pouvoir connaître « la position officielle » de la Fraternité Saint-Pie X sur toutes ces questions issues du concile Vatican II, et non plus à travers les multiples points de vue, formulés par tel ou tel.
« On ajoute, toujours de très bonnes sources, que trois principes vont guider les conversations. Le premier touche ‘l'herméneutique de la continuité’ et non de ‘rupture’ avec la tradition, voulue par Benoît XVI pour l'interprétation de Vatican II. Et il y a là une ‘convergence’ sur cette volonté de réconciliation de l'Église avec son passé. Le second principe est plus problématique : Rome tient le dépôt de la foi ‘comme un tout’. Il n'accepte pas un choix, à la carte, des enseignements du dernier concile. Le troisième principe sera certainement décisif. Il s'agit de ‘revenir à la lettre du concile Vatican II et non à sa vulgate’. En clair, aux textes originaux et non à leurs interprétations, ou simplifications… Une sorte de relecture du concile donc, où les spécialistes clarifieraient des ‘questions de langage’ ou les ‘ambiguïtés’ souvent incriminées par les lefebvristes ». (Le Figaro, 20 octobre 2009) - (DICI n°204 – 31/10/09 )