Paris ignorée, Ajaccio honorée : un paradoxe nommé François

Source: FSSPX Actualités

Le pape François à Ajaccio avec le cardinal Xavier Bustillo

Un consistoire public organisé en même temps que la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, une visite éclair en Corse. L’agenda papal du mois de décembre 2024 a quelque chose de déconcertant pour les médias français qui en perdent leur latin. Et si ces récents événements n’étaient qu’une étape de plus pour le pontife argentin afin d’organiser sa propre succession ?

C’est la thèse que développent plusieurs observateurs avertis des arcanes des palais apostoliques, notamment le vaticaniste Andrea Gagliarducci de l’agence italienne ACI Stampa, pour qui il ne saurait y avoir solution de continuité entre l’absence du pape François à Paris le 7 décembre 2024 et sa venue à Ajaccio en Corse quelques jours plus tard.

Aux yeux du vaticaniste, il faudrait voir dans le déplacement en Corse – officiellement pour clôturer un colloque sur la piété populaire dans l’espace méditerranéen – une façon de « parachever le dernier consistoire ». Comment cela ? En choisissant de visiter le cardinal-évêque d’Ajaccio, le Pape jésuite met en avant une figure déroutante, ou plutôt « inclassable » du collège cardinalice.

Evêque du peuple populaire, préférant habituellement garder sa bure franciscaine plutôt que de revêtir la pourpre de son état, Mgr Xavier Bustillo n’a pas hésité à co-écrire un ouvrage plutôt classique et « institutionnel » avec Mgr Edgar Peña Parra – actuel substitut de la secrétairerie d’Etat – avec l’aide de Nicolas Diat, auteur lui-même de plusieurs livres avec le cardinal Robert Sarah.

De quoi faire un clin d’œil aux cercles diplomatiques de la Curie romaine ainsi qu’aux catholiques conservateurs, souvent déroutés par la dimension « multidirectionnelle » – pour employer un euphémisme – de l’actuel pontificat qui ressemble de plus en plus à une boussole dont l’aiguille ne cesserait de s’affoler.

Andrea Gagliarducci veut voir ici une « ruse » de l’ancien archevêque de Buenos Aires : « Le pape François n’est-il pas celui qui a encensé certains intellectuels de gauche athées comme Eugenio Scalfari ? N’est-il pas celui qui apprécie Emma Bonino, personnalité politique ayant permis la promotion de l’avortement, au point de s’afficher en sa compagnie afin de lui montrer son soutien durant sa maladie ? », affirme le journaliste sous forme de questions.

Une technique, en somme, qui consiste à naviguer sur plusieurs fronts et qui expliquerait pourquoi l’actuel souverain pontife souhaiterait voir un cardinal ayant les qualités de l’évêque d’Ajaccio lui succéder : ainsi le locataire de Sainte-Marthe verrait bien le Sacré-Collège porter ses suffrages sur un porporato qui ne connaît pas Rome, ou du moins qui n’est pas “lié” à ses traditions.

« Le pape François connaît les traditions romaines, et il a décidé de les déconstruire, l’une après l’autre. Pour que sa révolution se poursuive, un successeur portant peu d’intérêt aux formes du pouvoir curial est nécessaire », selon Andrea Gagliarducci.

Dans cette perspective, le voyage en Corse, une semaine après ce que la presse française a jugé comme un « boycott » de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame, apparaîtrait comme une étape pour le pape François pour perpétuer son œuvre après lui, voire une « occasion de diriger le choix de son successeur ».

Car, outre l’évêque d’Ajaccio, parmi les cardinaux créés le 7 décembre dernier, « il existe des profils intéressants, tels que l’archevêque de Toronto, Francis Leo, et l’archevêque de Rabat, Cristobal Lopez. Ce sont des hommes de dialogue qui usent tantôt de “l’ancien et du nouveau”, tout en demeurant attentifs aux conseils qui leur sont donnés, et qui ne souhaitent pas remettre en cause l’organisation structurelle du Vatican », estime le vaticaniste de ACI Prensa.

L’hypothèse, quelque séduisante qu’elle soit, n’engage que son auteur ; mais il reste certain qu’à l’ère de la transition numérique, aucun pontificat n’aura été placé sous la lumière autant que celui de l’ancien archevêque de Buenos Aires, qui possède un art certain pour la capter, et une avidité à cet exercice qui n’est pas une qualité première attendue chez un pape.