Pour une évaluation sûre et objective de Vatican II

Source: FSSPX Actualités

L’Osservatore Romano du 2 décembre 2011 a publié un article de Mgr Fernando Ocariz (à droite sur la photo), sous le titre « A propos de l’adhésion au Concile Vatican II à l’occasion du 50e anniversaire de sa convocation ». Le théologien espagnol, membre de l’Opus Dei, qui fut l’un des experts romains lors des récents entretiens doctrinaux entre le Saint-Siège et la Fraternité Saint-Pie X, entend répondre par cet article aux « interrogations posées, même dans l’opinion publique, sur la continuité de certains enseignements conciliaires avec les enseignements précédents du Magistère de l’Eglise ».

Dans son dernier ouvrage paru en français, « Le Concile Vatican II : un débat qui n’a pas eu lieu », Mgr Brunero Gherardini (à gauche sur la photo), ancien professeur d’Ecclésiologie à l’Université pontificale du Latran et directeur de la revue internationale de théologie Divinitas, s’interroge : « Comment peut-il être cohérent de déclarer qu’un renversement tellement radical de la tradition tridentine est aussi parfaitement cohérent avec le magistère précédent, et constitue matière à validité infaillible, irréformable et dogmatique ? J’avoue avec candeur que je ne comprends pas. » Et de donner aussitôt l’exemple du Décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio. (p.83)

Contradiction ou non-contradiction avec la Tradition ?

Dans son article, Mgr Ocariz admet « des espaces légitimes de liberté théologique (…) pour expliquer, d’une façon ou d’une autre, la non-contradiction avec la Tradition de certaines formulations présentes dans les textes conciliaires ». Un peu plus haut, il avait reconnu qu’au concile Vatican II « il y eut diverses nouveautés d’ordre doctrinal sur le caractère sacramentel de l’épiscopat, la collégialité épiscopale, la liberté religieuse, etc. »

A la fin de son livre, Mgr Gherardini écrit : « Pour résumer, on peut bien dire que philologiquement, historiquement, exégétiquement et théologiquement on a du mal à trouver une justification :

a) pour la collégialité des évêques, telle qu’elle est décrite par Lumen gentium 22 et 23 ;

b) pour la manipulation que Dei Verbum 8-12 opère sur des doctrines vitales de l’Eglise comme la Tradition, et celles, qui ne sont pas moins importantes, de l’inspiration et de l’inerrance biblique ;

c) pour d’autres innovations (…) qui concernent la sainte liturgie, la sotériologie, le rapport entre christianisme, judaïsme, islam et les religions en général. » (p.90)

Différents degrés d’adhésion aux divers documents conciliaires

Mgr Ocariz affirme qu’il n’est « pas inutile de rappeler que la visée pastorale du Concile ne signifie pas qu’il n’est pas doctrinal », et il distingue : « Naturellement, les affirmations contenues dans les documents conciliaires n’ont pas toutes la même valeur doctrinale et ne requièrent donc pas toutes le même degré d’adhésion. (…)

1. Les affirmations du concile Vatican II qui rappellent des vérités de foi requièrent évidemment l’adhésion de la foi théologale, non pas parce qu’elles ont été enseignées par ce Concile, mais parce qu’elles avaient déjà été enseignées de façon infaillible comme telles par l’Eglise, soit en vertu d’une décision solennelle, soit par le Magistère ordinaire et universel. Le même assentiment plein et définitif est requis pour les autres doctrines rappelées par le concile Vatican II et déjà proposées par un acte définitif lors de précédentes interventions magistérielles. (…)

2. Les autres enseignements doctrinaux du Concile requièrent des fidèles le degré d’adhésion appelé ‘assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence’. Il s’agit d’un assentiment ‘religieux’, qui n’est donc pas fondé sur des motivations purement rationnelles. Cette adhésion ne se présente pas comme un acte de foi, mais plutôt d’obéissance ; elle n’est pas simplement disciplinaire, mais enracinée dans la confiance en l’assistance divine au Magistère, et donc ‘dans la logique et sous la mouvance de l’obéissance de la foi’ (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum veritatis, 24.V.1990, n° 23). (…)

3. « Dans les documents magistériels, il peut y avoir également – comme c’est effectivement le cas dans le concile Vatican II – des éléments non spécifiquement doctrinaux, de nature plus ou moins circonstancielle (descriptions de l’état de la société, suggestions, exhortations, etc.). Ces éléments doivent être accueillis avec respect et gratitude, mais ne requièrent pas une adhésion intellectuelle au sens propre (cf. Instruction Donum veritatis, nn° 24-31). »

Tout en réaffirmant, lui aussi, les différents degrés d’autorité à attribuer aux divers textes conciliaires (p. 76 et suiv.), Mgr Gherardini propose une quadruple distinction susceptible d’éclairer le débat à ouvrir : « Il me semble, que pour commencer, et toujours après en avoir considéré toutes les implications, un bon critique devrait considérer le concile Vatican II sur quatre niveaux distincts :

a) le niveau générique du concile œcuménique en tant que concile œcuménique ;

b) le niveau spécifique en tant que pastoral ;

c) le niveau de la référence aux autres conciles ;

d) le niveau des innovations. » (p.84)

Sur les trois derniers niveaux, il écrit :

Au niveau pastoral (b), « le discours théologico-dogmatique n’est pas nécessairement lié à la variété et à la complexité de tout ce que recouvre la ‘pastorale’. Je dis bien : ‘pas nécessairement’, en référence à l’exception de la catéchèse sur les vérités révélées et sur les dogmes de la foi, ainsi qu’au fait que la catéchèse est une partie de la pastorale, mais n’est pas la pastorale. En fin de compte, même ce deuxième niveau, qui appartient indubitablement au domaine de l’enseignement conciliaire, suprême et solennel, n’exprime pas en soi une validité irréformable, infaillible, dogmatique, parce que par principe, la pastorale ne définit pas la vérité et ne condamne pas l’erreur. » (p.86)

Le niveau de la référence aux conciles précédents (c), « met clairement en évidence le lien du concile Vatican II avec le magistère dogmatique précédent, celui d’après lequel l’Eglise est maîtresse et colonne de vérité. Les vérités que l’intervention magistérielle de l’Eglise élève en dogmes de foi, et propose en tant que tels à tous ses membres, sans exception aucune, sont celles explicitement ou implicitement révélées par Dieu et confiées à l’Eglise elle-même, afin qu’elle les garde, les interprète et les transmette avec une fidélité absolue. Seules quelques-unes de ces vérités se trouvent dans le concile Vatican II, en tant que celui-ci se réfère directement ou implicitement aux conciles qui les avaient définies : ce sont spécialement les vérités relatives à la nature de l’Eglise, à sa structure hiérarchique, à la succession apostolique du Pontife romain et des évêques, à la vraie juridiction qui en dérive, universelle pour le pape en tant que liée par Pierre à la chaire romaine, locale pour les successeurs des apôtres. (…)

« C’est donc à ce troisième niveau que le magistère du concile Vatican II revêt aussi une incontestable validité dogmatique. Une validité qui reste toutefois restreinte dans les limites de ce même niveau qui l’héberge, sans que cela ne confère une formalitas différente au Concile tout entier, et sans que cela n’en détermine le passage d’un magistère pastoral à un magistère dogmatique dans l’absolu. Ce n’est pas sans raison – me semble-t-il – que j’ai dit en d’autres endroits que le magistère est dogmatique en tant qu’il reprend le magistère précédent, et pas au-delà de ses limites. Il s’en suit qu’une dogmaticité comme celle-là ne peut ni être niée, parce que l’évidence ne se nie pas, ni étendue au-delà de cette même limite, parce que ‘relatif’ et ‘absolu’ sont deux choses différentes. » (pp. 86-87)

Des nouveautés inconciliables avec la prétention d’un magistère irréformable et dogmatique

Au niveau des innovations de Vatican II (d), Mgr Gherardini écrit : « Il faut lire attentivement et sans idée préconçue Gaudium et Spes : on pourrait se demander, en somme, quel lien peut avoir la grande majorité des thèmes traités, non seulement dans la seconde partie, mais aussi dans la première partie de ce texte, avec la nature et l’activité apostolique spécifique de l’Eglise. La nouveauté place l’Eglise au niveau des Etats et de leurs institutions ; elle fait de l’Eglise un intervenant parmi tant d’autres, et la dépouille non pas tant de sa fonction d’être la conscience critique de l’histoire, mais plutôt de sa nature de sacramentum Christi et de la responsabilité qui en découle quant au salut éternel. (…)

« Soit l’Eglise est le sacrement du Christ, toute disposée à appliquer la suprema lex du salus animarum, même si c’est au prix de devoir à nouveau étendre les bras sur la Croix ; soit, alors, elle perd son identité. Beaucoup partagent cette impression que, suite aux orientations conciliaires, c’est justement ce qui s’est passé, et c’est ce qui continue de se passer. (…)

« Mais les nouveautés ne sont pas seulement la prérogative de Gaudium et Spes. Elles sont disséminées aussi dans chacun des documents du concile Vatican II, et certaines d’entre elles sont des nouveautés intégrales. (…)

« Certaines d’entre elles, en particulier, ne me semblent pas conciliables avec la prétention d’un magistère irréformable et dogmatique. Le fait d’avoir déplacé l’axe de l’équilibre entre vérité révélée et liberté religieuse, le fait d’avoir enraciné telle ou telle innovation – surtout la liberté religieuse – sur des fondements bibliques peu clairs, tout cela pour tenter de donner une crédibilité théologique à un agir social idéal de tolérance, d’organisation et de gouvernement.

« Or c’est justement Gaudium et Spes qui exclut que l’on doive demander à la Révélation de résoudre les problèmes temporels, et qui défie d’attendre de la part de l’Eglise des solutions qui ne lui reviennent pas. Ce qui est conforme à la nature rationnelle de l’homme et dépend de l’usage ordonné de la raison, devra essentiellement rendre gloire à Dieu créateur et gouverneur suprême du créé, et non pas prétendre avoir une place d’honneur parmi les vérités révélées, ni transférer la justification de ses choix du domaine rationnel et naturel dans le domaine révélé et surnaturel.

« Et puisqu’une vérité de raison est de par sa nature soumise aux aléas de la discussion et de la contestation, les innovations conciliaires concernant le domaine civil, ou celles d’un caractère sociopolitique plus marqué, – dans la mesure où elles sont toujours discutables et variables –, non seulement rendent problématique le caractère dogmatique du concile Vatican II, mais également jettent une ombre sur la crédibilité conciliaire d’objectifs qui ne sont pas directement liés à la spécificité du ministère ecclésiastique. » (pp. 87-90)

A la fin de son article, Mgr Ocariz souhaite une « adhésion sereine et joyeuse au Magistère, interprète authentique de la doctrine de la foi », tout en reconnaissant, « même s’il devait subsister des aspects que la raison ne saisit pas pleinement », et en admettant une « place à des espaces légitimes de liberté théologique pour un travail d’approfondissement toujours opportun ».

Déjà dans son livre « Vatican II : un débat à ouvrir », Mgr Gherardini adressait à Benoît XVI la demande filiale d’une « mise au point grandiose et si possible définitive, sur le dernier concile, concernant chacun de ses aspects et de ses contenus ». Et il précisait : « Il paraît, en effet, logique, et il me semble impératif, que chacun de ces aspects et contenus soit étudié en soi et dans le contexte de tous les autres, en observant attentivement toutes les sources, et sous l’angle spécifique de la continuité avec le Magistère ecclésiastique précédent qu’il soit solennel ou ordinaire. A partir d’un travail scientifique et critique aussi ample et irréprochable que possible, en lien avec le Magistère traditionnel de l’Eglise, il sera ensuite possible d’en tirer matière pour une évaluation sûre et objective de Vatican II. » (p. 260) Et de conclure : « Dans le cas où en tout ou en partie, cette continuité ne pourrait être scientifiquement prouvée, il serait nécessaire de le dire avec sérénité et franchise, en réponse à l’exigence de clarté attendue depuis presque un demi-siècle » (p. 261)

Ces quelques citations extraites de l’article de Mgr Ocariz et des ouvrages de Mgr Gherardini ne sauraient donner de façon exhaustive l’état de la question ; elles ne peuvent encore moins remplacer un débat qui reste à faire. Elles suggèrent simplement que ce débat a commencé à s’ouvrir.

(Sources : L’Osservatore Romano - Vatican II : un débat à ouvrir - Vatican II : un débat qui n’a pas eu lieu - Les passages soulignés en gras et les intertitres sont de la rédaction – DICI n°246 du 09/12/11)

Mgr Brunero Gherardini, Le concile œcuménique Vatican II : un débat à ouvrir, Casa Mariana Editrice, 2009, 265 p., 15 € (+ 3 € de port) et Le concile Vatican II : un débat qui n’a pas eu lieu, Courrier de Rome, 2011, 110 p., 11 € (+ 3 € de port).

Les deux ouvrages dont disponibles au Courrier de Rome B.P. 156  F-78001 Versailles Cedex [email protected]

Lire également le dossier de Pour qu’Il règne, la revue du district du Benelux de la Fraternité Saint-Pie X, « Un débat sur Vatican II ? » où se trouve la transcription de la conférence de Don Florian Kolfhaus sur le Magistère pastoral de Vatican II, au colloque organisé à Rome du 16 au 18 décembre 2010, par les Franciscains de l’Immaculée.