Prédication d’Avent du cardinal Cantalamessa
Cardinal Raniero Cantalamessa
Chaque vendredi de l’Avent, le prédicateur de la Maison pontificale, le cardinal Raniero Cantalamessa, donne une prédication à la Curie romaine et au pape François pour préparer la Nativité de Notre-Seigneur. Cette année, le prédicateur a décidé de prêcher sur les trois vertus théologales, et il a commencé par la foi.
Une profession d’historicisme
Après avoir affirmé que la foi qui sauve est la foi au Christ, le prédicateur se demande : « Si la foi qui sauve est la foi au Christ, que penser de tous ceux qui n'ont aucune possibilité de croire en lui ? » La réponse qu’il va donner n’est rien moins que catholique.
Il commence par remarquer que le monde a changé, qu’il est désormais pluriculturel. Autrefois « on était, certes, conscient de l’existence d’autres religions, mais elles étaient considérées comme fausses dès le départ, ou bien on ne les prenait pas du tout en compte. (…) Tous les chrétiens partageaient l'axiome traditionnel : “Hors de l’Eglise, point de salut”. »
Mais « ce n’est plus le cas aujourd’hui ». Ces réflexions ne sont ni plus ni moins que de l’historicisme, cette doctrine qui interprète la vérité en fonction des données de l’histoire ou de la culture. Autrement dit, il n’y a plus de vérité stable et pérenne, mais elle devient fluctuante et relative.
Le salut hors de l’Eglise visible
Le cardinal poursuit en expliquant que, grâce à Nostra Aetate du concile Vatican II, il règne désormais un respect, un dialogue entre les religions. Ainsi que la reconnaissance des valeurs présentes en chacune d’elles. « Cette reconnaissance s’est accompagnée de la conviction que même ceux qui sont en-dehors de l’Eglise peuvent être sauvés », ajoute le prédicateur.
Ce point de départ est faussé : l’Eglise n’a pas attendu le Concile pour dire que l’on peut être sauvé en dehors de l’Eglise visible. Mais, en revanche, elle n’a jamais dit que ce salut s’obtenait par les valeurs des fausses religions, mais bien par les mérites du Christ. Un membre d’une fausse religion peut donc se sauver malgré cette appartenance, par l’Eglise, s’il se rattache à elle, soit de manière explicite, soit de manière implicite.
Fort de cette base erronée, le cardinal affirme que si l’on suit la doctrine ancienne « le salut se limite d'emblée à une infime minorité de personnes ». Ce qui « ne peut pas nous laisser tranquilles, mais fait du tort au Christ avant tout en le privant d'une grande partie de son humanité. On ne peut pas croire que Jésus est Dieu, et ensuite en limiter la pertinence de facto à un petit secteur. »
Raisonnement qui est faux comme on vient de le voir, et qui juge du salut sur le nombre des élus. On croit rêver. De plus, le cardinal force le trait, pour pouvoir placer ses nouveautés.
Le commandement du Christ qui envoie ses disciples dans le monde entier
Sans relever tout ce qui pourrait l’être, notons la réponse du prédicateur sur l’objection qu’il se propose. Il rappelle en effet le mandat du Christ : « Allez dans le monde entier, prêchez l'Évangile à toute créature » (Mc 16, 15) et « Faites de toutes les nations des disciples » (Mt 28, 19). Ce mandat « conserve sa validité pérenne, mais doit être compris dans son contexte historique. » – A nouveau l’historicisme.
Pour l’expliquer, le prédicateur va donner saint François d’Assise en exemple. Le saint fondateur envisageait deux façons d'aller vers « les Sarrasins et autres infidèles ». Il écrit dans la Première Règle :
« Les frères qui partent ont au point de vue spirituel deux façons de se conduire parmi les infidèles. La première est de ne soulever ni débats ni discussions, mais d'être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu et de se proclamer chrétiens. La seconde est, lorsqu'ils croiront qu'il plaît à Dieu, d'annoncer la parole de Dieu, pour que les infidèles croient au Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint Esprit, Créateur de toutes choses, au Fils Rédempteur et Sauveur (Première Règle, Ch. XVI). »
Remarquons que le prologue de l’encyclique Fratelli tutti cite ce passage pour tirer des conclusions identiques à celles du cardinal Cantalamessa. Mais il y a tromperie sur la marchandise.
La première règle des frères mineurs
La citation est tirée de ce qu’il est convenu d’appeler la « première règle des frères mineurs ». Elle est en fait la seconde règle écrite par saint François. Le texte de la première règle a été perdu. La citation est extraite du 16e chapitre, intitulé : « De ceux qui vont chez les sarrasins et autres infidèles ».
Saint François précise que « tous ceux des frères qui, par inspiration divine, voudront aller chez les Sarrasins et autres infidèles, y aillent avec la permission de leur ministre et serviteur ».
Le fondateur poursuit : « Les frères qui partent ont au point de vue spirituel deux façons de se conduire parmi les infidèles. La première est de ne soulever ni débats ni discussions, mais d’être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu et de se proclamer chrétiens.
« La seconde est, lorsqu’ils croiront qu’il plaît à Dieu, d’annoncer la parole de Dieu, pour que les infidèles croient au Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint Esprit, Créateur de toutes choses, au Fils Rédempteur et Sauveur, et pour qu’ils soient baptisés et deviennent chrétiens, car nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. »
La fin du chapitre permet de comprendre ce qui précède. Il insiste sur la prédication : « Cela et tout ce qui plaira à Dieu, ils peuvent le prêcher aux infidèles et aux autres, car, dit le Seigneur dans l’Evangile : “Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux” ; et : “Quiconque rougira de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira aussi de lui quand il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges.” »
Le saint conclut ce chapitre par cette dernière considération : « Que tous les frères se souviennent partout qu’ils se sont donnés et qu’ils ont abandonné leur corps à Notre Seigneur Jésus-Christ, et que pour son amour ils doivent s’exposer à tous les ennemis visibles et invisibles. » Il appuie cet encouragement par des citations de l’Evangile. Voici la première : « Celui qui aura perdu sa vie pour moi, la sauvera, pour la vie éternelle. » Les autres citations ne font que la commenter.
La parole de saint François dénaturée
Il est bien clair à la lecture de ce chapitre de la première règle, que saint François n’entend pas séparer les deux attitudes qu’il décrit, mais les unir dans une succession. Il ne s’agit pas : soit de vivre comme chrétien au milieu des infidèles, et rien d’autre ; soit de prêcher Jésus-Christ. Mais la première attitude peut être adoptée en attendant que la seconde soit rendue possible, ou même obligatoire dans une confession de foi.
La preuve en est donnée par le texte, et par l’insistance de saint François sur la prédication et sur le don total de soi, jusqu’au martyre, s’il s’agit de communiquer la voie du salut à ceux qui y sont étrangers. Dire autre chose dénature la pensée du saint.
C’est oublier que saint François a voulu aller en Egypte pour convertir le sultan, ou pour mourir pour la foi, comme l’affirme la vie du saint fondateur écrite par saint Bonaventure. Elle rabaisse la charité surnaturelle et le zèle apostolique, à un simple « amour » voulant « étreindre tous les hommes ».
Tout cela s’explique par la perte de la vraie foi et de l’esprit de foi. Mais cette perte a été actée depuis le Concile, et elle ne fait que creuser plus profondément le sillon de l’apostasie silencieuse.
(Sources : KTO/FSSPX.Actualités – FSSPX.Actualités)
Illustration : Ave Maria, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons