Procès du Vatican : un accusé affirme que François était au courant
Escalier de Giuseppe Momo, dans les musées du Vatican, image vertigineuse des méandres du procès londonien
Alors que le procès historique du Vatican autour d’une transaction immobilière à Londres et d’allégations de corruption se poursuit, la question de savoir ce que le pape François lui-même savait a été soulevée au tribunal par un accusé.
Interrogé le jeudi 7 juillet 2022, Fabrizio Tirabassi, un ancien fonctionnaire de la Secrétairerie d’Etat, a déclaré que le pape avait donné l’autorisation de demander un prêt à l’Institut des œuvres de religion (IOR), communément appelé la Banque du Vatican.
L’argent devait servir à rembourser l’hypothèque et prendre en charge la gestion de la propriété de Sloane Avenue. L’homme d’affaires italien Tirabassi est l’un des dix accusés de ce procès qui a débuté en juillet 2021. Et il n’a pas été le seul à être entendu lors de la dernière audience.
Le courtier et sa société
Le procureur du Vatican a interrogé Nicola Squillace le vendredi 8 juillet 2022, l’avocat d’un autre homme d’affaires, Gianluigi Torzi. Squillace et Torzi sont tous deux accusés de détournement de fonds, de fraude, de malversation, de blanchiment d’argent et d’auto-blanchiment.
Vendredi, lors de la 24e et dernière audience du procès, la cour a entendu l’avocat du courtier sur les détails cruciaux du contrat qui a transféré la gestion de l’immeuble de luxe londonien de la propre société de Torzi, la Gutt SA basée au Luxembourg.
Ce contrat joue un rôle important dans le procès car il permet de faire la lumière sur un chapitre crucial de la saga de la façon dont le Vatican s’est retrouvé avec un investissement à Londres, impliquant une société basée au Luxembourg. Une saga qui a commencé en Angola.
De l’Angola à Londres, d’Athena à Gutt
En 2013, la Secrétairerie d’Etat a décidé d’investir 200 millions d’euros et a exploré la possibilité d’acheter des parts dans une société d’extraction de pétrole en Angola du nom de Falcon Oil. L’affaire a été confiée au courtier italien Raffaele Mincione, considéré comme un expert dans ce type de transaction. Accusé au procès, il proteste vigoureusement contre toute accusation de faute.
Pour réaliser l’opération, Mincione a créé son propre fonds, Athena Capital, auquel le Vatican a transféré la somme de 200 millions d’euros. L’opération en Angola ayant échoué, le Vatican a accepté que la moitié de l’argent soit utilisée pour acheter des parts dans un projet immobilier de luxe à Londres. L’autre moitié était destinée à d’autres investissements.
En 2018, la Secrétairerie d’Etat a décidé qu’elle ne voulait plus que l’investissement à Londres soit géré par Mincione et le Vatican a racheté les parts immobilières qui ont été remises à la société du courtier Gianluigi Torzi, Gutt SA. Torzi a gardé un millier d’actions, les seules avec droit de vote.
Ce n’est qu’après cette ultime péripétie que la Secrétairerie d’Etat a décidé de prendre le contrôle direct du projet immobilier de luxe : le Vatican a acheté les actions de Torzi, et c’est dans ce contexte qu’ont été interrogés Tirabassi et Squillace lors de la dernière audience du procès.
Devant le tribunal, Tirabassi a affirmé que la Secrétairerie d’Etat, et lui en particulier, ne s’est pas rendu compte au début que les actions données à Torzi étaient les seules à avoir le droit de vote, donnant effectivement à Torzi le contrôle du bâtiment.
L’avocat de Torzi a affirmé le contraire
Squillace a présenté à la cour des diapositives de sept projets de contrats, affirmant avoir travaillé sur ces derniers pour faciliter le transfert de l’investissement d’Athena à Gutt. Il a aussi affirmé avoir soulevé la question des parts avec Tirabassi, qui aurait répondu que tout allait bien car le Secrétariat d’Etat avait d’autres opérations similaires.
L’interrogatoire de Tirabassi a également porté sur une autre question cruciale : l’hypothèque du gestionnaire d’actifs londonien Cheyne Capital sur la propriété de luxe.
Lorsque la Secrétairerie d’Etat a décidé de prendre le contrôle du bâtiment pour sauver l’investissement, il a dû faire face au montant de l’hypothèque, environ 147 millions de dollars. Afin d’honorer ce paiement, la Secrétairerie d’Etat s’est adressée à l’IOR pour obtenir un prêt.
Pour le substitut, Mgr Edgar Pena Parra, il s’agissait d’une démarche évidente, selon Tirabassi : « il n’y avait rien de plus transparent que de contacter son institut interne ». Il est donc d’autant plus surprenant que cette démarche n’ait pas abouti.
Le prêt qui n’a pas abouti
Devant le tribunal, M. Tirabassi a déclaré que le directeur général de l’IOR, Gianfranco Mammì, avait personnellement parlé de cette affaire au pape François. Il a également affirmé que le pape avait approuvé le prêt à la Secrétairerie d’Etat.
Des documents montrent que le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat, avait clairement dit, lors de réunions, qu’il avait eu l’approbation du pape pour le prêt. Selon la version des faits de Tirabassi, une lettre du 24 mai 2019 du président de l’IOR, Jean-Baptiste de Franssu, a approuvé le prêt et donné le feu vert pour que l’argent aille à la Secrétairerie d’Etat.
Mais seulement trois jours plus tard, le feu vert est devenu rouge : M. Tirabassi a déclaré que le propre organisme de surveillance du Vatican, l’Autorité d’information financière (ASIF), avait bloqué le prêt, autorisant à la place un plan révisé de la Secrétairerie d’Etat pour acquérir le bâtiment.
Le chien de garde et la décision papale
L’ASIF a échangé des informations avec ses homologues étrangers lorsqu’elle a reçu une déclaration d’opération suspecte de la Secrétairerie d’Etat. Etant donné que son rôle consiste également à superviser l’IOR, il était clair que l’ASIF continuerait à surveiller les flux d’argent.
On pourrait penser que la procédure autorisée par le pape a effectivement entravé le travail de l’organisme de surveillance. Tirabassi a affirmé avoir été trompé par Squillace et Torzi, et Squillace a toujours affirmé avoir donné des informations en continu.
Tirabassi a soulevé un autre point concernant les processus de décision au Vatican, la question de Mgr Alberto Perlasca, alors chef de l’administration de la Secrétairerie d’Etat, signant des accords qu’il n’était pas autorisé à signer.
M. Tirabassi a évoqué la volonté de l’évêque de prendre en charge les problèmes afin d’éviter d’impliquer les supérieurs. Il a également déclaré avoir pris ses distances avec Perlasca lorsqu’il s’est rendu compte que le comportement de ce dernier était potentiellement dangereux.
Squillace a souligné qu’il a toujours pensé que Perlasca pouvait signer, notamment le premier accord, qui ne contenait aucune obligation, mais des engagements réciproques, avec exclusivité à l’expiration. « Le Saint-Siège pouvait se retirer de cet accord à tout moment », a-t-il déclaré. Lors de l’audience, Tirabassi a déclaré que Perlasca « était très déterminé à donner la direction à Torzi ».
La suite du procès
Les interrogatoires se poursuivront les 14 et 15 juillet. Puis le procès reprendra en septembre, avec trois audiences consécutives prévues toutes les deux semaines – et éventuellement avec les premiers témoins. Le président du tribunal, Giuseppe Pignatone, a parlé de 200 témoins, mais beaucoup d’entre eux pourraient ne pas être appelés en raison des développements actuels.
Alors que le procès actuel du Vatican tourne autour de l’investissement de la Secrétairerie d’Etat à Londres et des dix accusés, il y a également au moins deux autres pistes d’enquête : le don de la Secrétairerie d’Etat à Caritas dans le diocèse d’origine du cardinal Angelo Becciu, et le contrat de consultant accordé à la prétendue experte en renseignement Cecilia Marogna.
(Sources : Vatican news/CNA – FSSPX.Actualités)
Illustration : Photo 33467183 © Valentin M Armianu | Dreamstime.com