"Redemptionis Sacramentum", une réponse problématique aux abus liturgiques

Source: FSSPX Actualités

 

L’instruction sur l’Eucharistie, Redemptionis Sacramentum, de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, relève des abus graves et nombreux dont certains, comme l’a souligné le cardinal Francis Arinze, préfet de cette congrégation, lors de la conférence de presse de présentation du document, le 23 avril, "menacent de rendre le sacrement invalide ; d’autres manifestent un manque de foi eucharistique ; d’autres encore contribuent à semer la confusion parmi le peuple de Dieu et tendent à désacraliser les célébrations eucharistiques". Et de conclure : " ce ne sont pas des abus à prendre à la légère". Le constat est sévère, mais juste. Il rejoint les dénonciations faites, maintes et maintes fois, par les prêtres et les fidèles attachés à la Tradition, qui ne peuvent que se féliciter de voir aujourd’hui leurs plaintes enfin prises en compte par un texte émanant d’un dicastère romain.

Toutefois, au cours de la même conférence de presse, le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Mgr Angelo Amato, a bien insisté qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un document "nostalgique" qui voudrait revenir à "avant" le concile, mais bien d’un document qui "met en œuvre la réforme conciliaire et veut combattre les abus contre la doctrine eucharistique authentique".

Ainsi cette instruction dénonce des abus qu’elle considère fort justement comme des faits graves, mais en aucun cas comme des effets de la réforme liturgique introduite par le concile Vatican II. Elle identifie bien les causes secondaires de ces abus : "fausse conception de la liberté" (n.7), "initiatives œcuméniques" généreuses mais malheureuses (n.8), "ignorance" (n.9), mais s’interdit de remonter à la cause première qui explique cette fausse liberté, ce faux œcuménisme et cette vraie ignorance de la doctrine eucharistique traditionnelle. - Parce que cela reviendrait à mettre en cause un concile qui a voulu précisément promouvoir une plus grande liberté, favoriser un œcuménisme jusque-là inconnu, et renoncer à une Tradition jugée inadaptée aux temps modernes.

Un texte oscillant

D’où un texte qui, au fond, oscille entre le rappel de la nécessité d’une discipline et l’affirmation d’un "large espace laissé à une liberté d’adaptation opportune", liberté "fondée sur le principe que chaque célébration doit être adaptée aux besoins des participants, ainsi qu’à leur capacité, leur préparation intérieure et leur génie propre, selon les facultés établies par les normes liturgiques" (n.39, voir aussi n.21). En pratique, il y a fort à craindre que cette "liberté selon les normes" ne se transforme en "normes libres", au nom de la créativité et de l’inculturation.

Ce point n’échappe pas à Mgr Robert Le Gall, président de la Commission épiscopale de la liturgie de la Conférence des évêques de France, qui déclare dans sa présentation de Redemptionis Sacramentum : "Par deux fois, l’instruction mentionne ‘la liberté, qui est prévue par les normes des livres liturgiques, d’adapter d’une manière judicieuse, la célébration à l’édifice sacré, ou au groupe des fidèles, ou bien aux circonstances pastorales, de telle sorte que le rite sacré tout entier soit réellement adapté à la mentalité des personnes’ (n.21)". En rappelant : "Comme dit le Saint-Père dans sa lettre pour le 40ème anniversaire de la Constitution (conciliaire) sur la liturgie, ‘le renouveau liturgique réalisé au cours de ces dernières années a montré combien il est possible de conjuguer une législation qui assure à la liturgie son identité et sa beauté, avec des espaces de créativité et d’adaptation, qui la rendent proche des exigences exprimées par les diverses régions, situations et cultures’ (n.15)".

Une impossible conciliation

Et si la réforme de ces dernières années montrait plutôt qu’il est impossible de conjuguer des normes liturgiques avec cet esprit conciliaire de créativité, sans voir aussitôt surgir de partout les nombreux abus dénoncés dans l’instruction ?

A l’insu du cardinal Arinze, cette incompatibilité se manifeste dans le document lui-même, sur un cas particulier, très révélateur, celui des servants de messe. L’instruction rappelle au n. 47 que "du nombre de ces enfants qui servent à l’autel, a surgi, au long des siècles, une multitude de ministres sacrés". Mais, dans le même temps, elle autorise les filles enfants de chœur, suivant une pratique qui se généralise de plus en plus. Une question se pose : comment concilier l’idée très juste d’un vivier de vocations sacerdotales avec la présence dans le chœur de jeunes filles qui ne peuvent, selon l’enseignement constant de l’Eglise, accéder au sacerdoce ?

En conclusion, on se gardera bien d’oublier que le document romain donne à tous les fidèles la possibilité de vérifier par eux-mêmes le sérieux et l’efficacité réelle de ce rappel des normes liturgiques. Il leur reconnaît, en effet, le droit de signaler à l’autorité diocésaine et au Saint-Siège les abus qu’ils peuvent constater. Les occasions ne manquant malheureusement pas, on pourra facilement juger l’instruction Redemptionis Sacramentum à ses fruits, c’est-à-dire à la réaction déterminée des autorités saisies de ces affaires.

Ne serait-il pas plus efficace d’accorder, comme le demande Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, à tous les prêtres qui le souhaitent, la liberté de célébrer la messe tridentine ? Loin de favoriser un retour nostalgique, la liturgie catholique traditionnelle - universelle dans le temps et dans l’espace - permettrait de supprimer les abus de tous ceux qui, selon l’expression de Mgr Domenico Sorrentino, secrétaire de la Congrégation pour le culte divin, " font de la liturgie une zone franche réservée à des expériences personnelles qui ne peuvent se justifier par la seule bonne foi".

• Lire dans nos Documents : "Entre abus et contradictions. Pour une synthèse critique de l’instruction Redemptionis Sacramentum".