Réponse de Monsieur l’abbé de Cacqueray à Monseigneur Despierre

Source: FSSPX Actualités

La basilique Notre-Dame de Marceille.

Le 4 mars 2002

Monseigneur,

Comme l’année dernière, ce sont sans doute sept cents pèlerins qu’accueillera la basilique Notre-Dame de Marceille le 16 mars prochain puisque vous avez l’amabilité de permettre à Monsieur l’abbé Vaqué d’y célébrer de nouveau la messe à l’arrivée de notre pèlerinage. Soyez-en remercié, Monseigneur, et sachez pouvoir compter sur les prières de cette portion de votre troupeau qui, en dépit des apparences, n’est pas la moins fidèle à la Foi catholique, au successeur de Pierre et à l’évêque de ce diocèse.

Cette année, vous avez estimé devoir restreindre la libéralité de votre geste de deux façons. Les confessionnaux cadenassés pour la première fois l’an dernier le seront donc encore cette fois-ci. La raison ? Vous ne me l’aviez pas donnée lorsque je suis venu vous voir après le pèlerinage de mars 2001 mais vous la notifiez dans votre lettre du 19 février : « Parce que je ne peux pas vous donner les pouvoirs d’entendre les confessions pour les motifs explicités ci-dessus ». Les motifs en question sont formulés dans le deuxième paragraphe de votre lettre : « Vous connaissez votre situation canonique de prêtre suspens a divinis puisque votre ordination s’est faite par un évêque nommément excommunié ».

Ensuite vous me demandez de faire savoir, au début de la célébration du pèlerinage, que le prêt de la basilique est une concession exceptionnelle qui ne peut en aucun cas être considérée comme une acceptation de l’acte schismatique de monseigneur Lefebvre et de ses successeurs.

Je passerai rapidement, Monseigneur, sur un détail que vous ne pouviez connaître. L’évêque qui m’a ordonné le 29 juin 1992 se nomme Monseigneur Rangel et ce n’est pas un évêque de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Consacré par les évêques de la Fraternité, aucun décret d’excommunication nominatif n’a jamais été porté contre lui. Un texte récent du Saint-Siège a seulement parlé de censures qu’il a « peut-être encourues » . Il pèse donc un doute sérieux sur son excommunication de laquelle vous concluez ma situation de prêtre “suspens a divinis”1. En un cas semblable, la morale “odiosa restringenda” ne demanderait-elle pas de prendre l’opinion la plus favorable à mon égard ?

Mais je pense surtout, Monseigneur, que vous savez mieux que personne combien l’absence de prêtres, chaque année plus inquiétante, entraîne une difficulté grave pour les fidèles qui veulent se confesser. Une personne nous téléphonait l’autre jour pour nous dire qu’elle ne se déplaçait dans l’année que très rarement pour aller à la messe, mais qu’elle était venue à Notre-Dame de Marceille pour le pèlerinage... Nombreux sont les catholiques qui se plaignent de ce que les prêtres délaissent complètement ce ministère. La situation, vous ne le voyez que trop, est dramatique pour bien des personnes qui n’ont plus l’occasion de se confesser.

Cette situation grave a été reconnue par les plus hautes autorités de l’Eglise. Certaines formules sont demeurées célèbres. Paul VI n’est-il pas allé jusqu’à parler de « l’auto démolition » de l’Eglise ? (Paul VI, discours au séminaire Lombard du 7/12/1968) N’a-t-il pas reconnu des « fumées de Satan dans le peuple de Dieu » ? (Paul VI, discours du 30/6/1972) Et le pape Jean-Paul II n’a pas hésité à dresser ce sombre constat : « Il faut admettre avec réalisme et avec une sensibilité profonde et déchirante que les chrétiens, aujourd’hui, se sentent en grande partie perdus, embarrassés, perplexes et même déçus ; on a répandu à pleines mains des idées qui s’opposent à la Vérité révélée et enseignée depuis toujours ; de véritables hérésies se sont propagées, dans les domaines dogmatique et moral, créant des doutes, des confusions, des rébellions ; la liturgie a été altérée, immergée dans le relativisme intellectuel et moral, et donc dans le “permissivisme”, des chrétiens sont tentés par l’athéisme, l’agnosticisme, l’illuminisme vaguement moraliste, par un christianisme sociologique, sans dogmes définis et sans morale objective » ? (Jean-Paul II, Osservatore Romano du 7/2/1981)

Cette situation porte un nom qui est « l’état de grave nécessité spirituelle générale ou publique » (que la théologie morale assimile à « la nécessité extrême d’un individu »). Or, dans cette situation, le devoir de secours s’étend au pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction découle de la demande des fidèles comme le laisse entendre, par exemple, le canon 1335 2 .

Peut-être, Monseigneur, malgré les citations pontificales que j’ai données, hésitez-vous à admettre cet état actuel de grave nécessité spirituelle générale sur lequel je me fonde pour défendre notre pouvoir d’entendre les confessions. Vous me direz peut-être, aussi, qu’on ne peut se prévaloir du droit qui s’applique dans la nécessité que lorsqu’on est sans espoir de secours de la part des pasteurs légitimes…

Et c’est pourquoi je vous écris, Monseigneur ! Vous êtes mon pasteur légitime3 et, je vous l’ai déjà dit, votre nom est mentionné à toutes les messes que nous célébrons. Mais cette reconnaissance de votre légitimité ne m’empêche pas de penser en même temps que vous vous fourvoyez très gravement dans le domaine de la Foi et les erreurs que vous professez sont telles que je crains malheureusement l’inutilité de mon recours. Mais permettez-moi d’abord de vous donner une illustration encore récente de ce qui m’apparaît comme un égarement très grave, et pourtant public, si tant est que les journaux ont bien rapporté vos paroles.

Vous savez que saint Thomas, pour établir une comparaison sur la gravité respective des péchés, donne le principe suivant : « Tout péché consiste formellement dans la séparation de Dieu. Par conséquent, plus un péché sépare l’homme de Dieu, plus il est grave (IIa-IIae, q. X a. 3) ». De tous les péchés, le Docteur Angélique déduit logiquement de son affirmation que le plus grave de tous est la haine de Dieu (IIa-IIae, q. XXXIV a. 2). Tout de suite après, arrive l’infidélité en général dont la forme la plus grave est l’apostasie (IIa-IIae, q. X a. 3) qu’un auteur contemporain a justement nommé un « suicide religieux ».

L’apostasie s’oppose particulièrement à trois vertus. Elle se dresse contre la Foi par le rejet de la doctrine révélée, contre la religion puisqu’elle refuse à Dieu le culte vrai et contre la justice en foulant aux pieds les promesses du Baptême. Dans le nouveau Code de Droit Canonique, l’excommunication latae sententiae est toujours fulminée contre l’apostat de la Foi (can. 1364 § 1). Lorsque ce très grave péché est commis, c’est une grande cause d’affliction pour tous les catholiques et il est difficile d’imaginer une peine plus grande infligée au pasteur d’un troupeau. Il a donné la vie surnaturelle à une âme, il l’a aidée à grandir dans l’amour de Dieu et voilà qu’un loup ravisseur emporte entre ses dents la brebis qu’il chérissait, et il sait qu’elle se damnera si elle ne revient pas de son crime.

Or, Monseigneur, si Monsieur Bastien Souperbie a correctement rapporté vos propos lors de son interview du 29 décembre, vous avez dit : « Je crois que la religion fait appel à la liberté des personnes. Alors si un catholique devient musulman ou inversement, je n’y vois aucun problème ». En relisant ces phrases, pardonnez-moi mon indignation Monseigneur, je frémis encore à l’idée qu’elles aient pu être prononcées par un évêque catholique, par le défenseur de la Foi dans ce diocèse.

On peut interpréter votre première phrase dans un sens catholique qui serait : la conversion obtenue sous la menace est inacceptable. Mais la conséquence que vous tirez dans la deuxième phrase indique que ce n’est pas dans ce sens que vous l’avez prononcée.

Elle exprime un subjectivisme religieux poussé au dernier degré. Elle vous montre indifférent à l’idée que les églises vont continuer de se vider, les fidèles allant remplir la toute neuve et toute pimpante mosquée de Carcassonne. Elle vous montre indifférent à l’apostasie des catholiques, à leur chute dans l’Islam, à leur damnation ?

Quelle parole, Monseigneur ! Comment ne pourrait-on parler de l’état de nécessité grave lorsque la voix épiscopale elle-même en arrive à s’exprimer ainsi ? Quelle espérance de recours peut-il bien exister si les évêques profèrent un tel langage ?

Cette parole n’a pas ému uniquement nos fidèles, Monseigneur. Des catholique de vos paroisses ont exprimé leur désarroi devant un discours qui les a scandalisés. L’apostasie banalisée par leur évêque… Monseigneur, je crois, quant à moi, qu’il existe un devoir de réparation, de rétractation. Ou, si Monsieur Souperbie a mal traduit votre pensée, de correction. L’indifférentisme religieux est déjà tellement répandu !

Ce qui est certain, Monseigneur, c’est que si vous maintenez votre interdiction des confessionnaux et votre demande de déclaration au début de la célébration du pèlerinage d’une part, et si vous ne revenez pas sur vos propos du 29 décembre d’autre part, il apparaîtra aux yeux de tous que « les problèmes » sont traités bien différemment. Il n’en existe aucun pour que les catholiques passent à l’Islam, mais d’énormes et de très sérieux pour que ces catholiques, dont vous avez pourtant reconnu la piété et la ferveur, puissent se confesser dans des confessionnaux.

Monseigneur, il existe dans votre diocèse des prêtres encartés au parti communiste, d’ardents défenseurs de Monseigneur Gaillot, des prêtres dont la théologie n’est plus catholique… Pourquoi n’y aurait-il des mesures disciplinaires que pour nous ?

Je me tiens à votre disposition pour vous rencontrer, Monseigneur, et vous prie de bien vouloir agréer l’expression de mon filial et religieux dévouement.

 

Abbé Régis de Cacqueray

N. B. :

1 Il y a là une petite erreur fondée sur une légère ambiguïté de la version italienne. Le texte latin officiel est très clair - ainsi d’ailleurs que la version portugaise. Il y est dite que, quant à lui, Mgr Rangel reçoit absolution des censures portées par le canon 1382. (NDLR)

2 Non que les fidèles donnent aux prêtres la juridiction mais, à l’occasion de leur demande, l’Eglise la leur donne dans un état de grave nécessité spirituelle.

3 La Fraterntié Saint-Pie X reconnaît les évêques comme les pasteurs légitimes de leurs diocèses.