Revue de presse : Jugements sur un pontificat médiatique
La surmédiatisation de la maladie, de la mort et des funérailles du pape a suscité des commentaires mitigés sur l’ensemble d’un pontificat placé sous le signe de la communication audiovisuelle à l’échelle planétaire.
Sous le titre Les paradoxes d’un « grand communicateur », Marie-Claude Decamps écrit dans le hors-série du Monde : « Son sens du spectacle et de la formule avait fait de Jean-Paul II un pape « super-star », tout particulièrement à la télévision. Mais tout omniprésent qu’il fut dans les médias, le souverain pontife ne parvint pas toujours à faire primer le message sur l’image. (…) Cet usage des médias, aussi étudié que naturel, aura eu son revers. Car, si Jean-Paul II et c’était là son paradoxe réussit à faire aimer et connaître le « messager », il ne parvint pas toujours à faire passer le “message ”». Et de citer l’attitude ambiguë des jeunes qui aux JMJ de Denver, Manille ou Rome, acclamaient le pape tout en déclarant ne pas suivre l’enseignement moral qu’il rappelait.
Dans La Croix des 9 et 10 avril, l’éloge de « la modernité du Saint-Siège » par l’universitaire Philippe Levillain, montre la rupture nettement opérée par le pape polonais, à la suite de Vatican II : « L’apparition de Jean-Paul II à la loggia delle Benedizioni, le 16 octobre 1978, stupéfia le monde entier. L’archevêque de Cracovie proclamait : « N’ayez pas peur » à une « Eglise ébranlée », et remettait le ballon au centre en faisant comprendre que le terrain serait reconquis au nom d’une Eglise « experte en humanité » (Paul VI). L’institution la plus ancienne du monde contemporain, monarchie élective et viagère, entrait dans l’ère de la mobilité et de l’actualité permanente (par les voyages intercontinentaux répétés), mettant la défense des droits de l’homme et l’observance des devoirs affirmés par l’Eglise en équation et non plus en ordre hiérarchique, replaçant le Salut dans l’Histoire (Repentances), érigeant la norme en synonyme de liberté. Exemple : la liberté religieuse, affirmée avec quelque difficulté à Vatican II (1965), revendiquait à la fois le droit de croire et celui, corrélatif, de ne pas croire et contribuait à renverser le Mur de Berlin en 1989 ». (sic)
Dans Valeurs Actuelles des 8-14 avril, faisant allusion au célèbre « N’ayez pas peur », Olivier Dassault s’interroge : « Qu’est-ce qui a changé depuis trente ans ? Qu’a changé Jean-Paul II ? N’existe-t-il pas aujourd’hui autant de raisons d’avoir peur qu’à l’aube de son pontificat ? À la brutalité communiste s’est substituée la sauvagerie terroriste, qui a atteint son paroxysme à New York en 2001, à Madrid et en Russie l’an dernier. (…) Les génocides du Darfour et du Rwanda après celui du Cambodge ont montré que les hommes n’étaient pas devenus meilleurs malgré ses messages d’amour et ses bouleversants pèlerinages à Auschwitz et à Jérusalem. Les prières interconfessionnelles pour la paix à Assise n’auront empêché ni la guerre de ressurgir aux portes même de l’Italie, après l’éclatement de la Yougoslavie, ni les conflits de se multiplier en Orient. Le pape n’aura même pas pu réunir au sein d’une même Eglise les chrétiens catholiques, protestants et orthodoxes, malgré tous ses efforts œcuméniques. L’intolérance, le sectarisme et la violence font toujours des ravages de par le monde ». Et de constater : « L’œuvre de Jean-Paul II ne se mesure pas à l’aune de succès diplomatiques », ni ne se juge « au rythme du progrès économique ou social ». Certes, mais n’est-il pas écrit aussi qu’il faut « juger l’arbre à ses fruits » ?
Selon Blandine Chelini-Pont de l’université d’Aix-Marseille, dans un entretien accordé au Point du 4 avril, c’est pour porter remède à la situation dramatique de l’Eglise qu’ « il a misé sur sa propre médiatisation physique de prêtre universel ». En effet, « Jean-Paul II a eu à supporter une institution fragilisée en interne. D’abord, même si l’on en dénombrait 400 000 à la fin des années 90, il y a pénurie de prêtres. Où ils sont les plus nombreux (200 000 en Europe), leur décroissance paraît inéluctable. En Afrique, ils ne sont que 20 000, en Asie, 33 000, pour 90 millions de catholiques sur chacun de ces continents, c’est très peu. Deuxième raison : la faiblesse des structures. Beaucoup de jeunes diocèses sont directement financés par le Saint-Siège, de vieux diocèses riches, des congrégations, des structures caritatives, et même des Etats européens (au titre de la coopération, la France a ainsi beaucoup aidé l’Eglise d’Haïti). Mais ces diocèses ne sont pas complètement enracinés. Il n’y a qu’en Europe que l’on peut voir un clocher tous les dix kilomètres.
Et comment Karol Wojtyla a-t-il agi face à cette situation ?
Il a réussi à compenser ces carences. C’est son génie. Il a misé sur sa propre médiatisation physique de prêtre universel. Autour du principe de respect de la personne, son discours a été intelligemment opportuniste, adapté selon les continents. Proposition d’un modèle de contre-culture face au libéralisme en Occident. Critique de l’oppression et de l’absence de liberté en Asie. Dénonciation du colonialisme économique et de la corruption en Amérique du Sud et en Afrique. Mais, attention, derrière, il y a une machine : 2.500 évêques qui agissent comme des préfets de région, une diplomatie très formée, très discrète et présente dans tous les pays du monde, musulmans compris.
Que va-t-il se passer maintenant ?
En vrai homme politique, ce pape a persuadé les catholiques de leur universalité alors qu’ils n’ont jamais été aussi différents. Son successeur serait bien inspiré de suivre ce chemin. Car l’Eglise catholique risque d’imploser. (C’est nous qui soulignons)