Rosa Mystica 2022 : chez les Mamanwas

Source: FSSPX Actualités

De notre envoyée spéciale aux Philippines

Santa Lucia

Si le nombre de patients est inférieur à celui que nous avons connu les années avant-covid, – car les autorités sanitaires craignent toujours les grands rassemblements –, le travail reste intense en particulier pour les opticiennes qui ont un succès fou. Les lunettes récoltées cette année par les écoles des Dominicaines, ont trouvé acquéreurs sans difficulté !

Notre chirurgien moldave, Alexandru, peut pratiquer son art sur quelques exérèses de lipomes et le Dr de Geofroy s’est attribué les extractions dentaires : il a dû « faire un sourire de rêve » à une jeune fille de 13 ans. Mais entre un sourire sans dents et un sourire aux dents gâtées dès l’enfance, mon cœur balance ! Les enfants ont une sucette à la bouche en permanence qui remplace les fruits, trop chers pour ces malheureux des bidonvilles.

En dehors des pathologies courantes aux Philippines comme le diabète et l’hypertension artérielle, les médecins ont diagnostiqué des cas de tuberculose, de gale, de schistosomiase – maladie parasitaire courante dans les zones où les eaux sont insalubres.

Un enfant de trois ans s’est présenté avec une malformation cardiaque qui nécessite une intervention chirurgicale. De même en est-il pour une jeune veuve de 35 ans et mère d’un enfant de 5 ans atteinte d’une tumeur péritonéale compliquée d’ascite. Acim-Asia peut prendre en charge ce genre de pathologie dans la mesure de ses moyens financiers.

Un petit tour dans le quartier en raccompagnant deux jeunes filles chez elles nous permet de découvrir l’« état des lieux », même si l’habitat traditionnel des paillotes sur pilotis conserve un charme qu’ont perdu les quelques constructions en parpaing brut ou en tôle ondulée qui les remplacent après les désastres climatiques.

La maison de nos deux jeunes amies est une misérable masure au milieu de tant d’autres, où vit un père et ses 6 enfants. La mère est partie gagner le pain de la famille en Arabie saoudite comme employée de maison, à l’instar de beaucoup de femmes philippines. Elle ne revient pratiquement jamais et sa fille de 15 ans doit la remplacer à la maison.

Si l’école est gratuite, les frais annexes (le bulletin de notes par exemple) sont payants et restent trop chers pour eux. Ces jeunes auraient besoin de parrainage afin d’acquérir un métier qui leur permettrait de sortir du cercle vicieux de la misère qui les entraîne bien souvent vers la prostitution, au pire, sinon vers l’expatriation, au mieux…

Les familles sont alors privées de père ou de mère et les aînés se retrouvent, très jeunes, en charge de leurs petits frères et sœurs. Dix pour cent de la population philippine s’expatrie pour entretenir ainsi leur famille. En début d’après-midi, nous devons quitter les lieux pour rejoindre Cantugas, où nous établirons nos quartiers pour deux jours chez les Mamanwas, une tribu aborigène auprès de laquelle l’abbé Timothy Pfeiffer a ouvert une mission en 2020.

Chez les Mamanwas de Cantugas

Après deux heures de route vers le nord de la péninsule de Surigao, nous atteignons un autre village oublié, celui des Mamanwas. Cette tribu aborigène nomade a été dépossédée de ses terres ancestrales, de belles montagnes forestières riches en ressources de toutes sortes bordant le splendide lac Mainit. Elles ont fait l’objet de la convoitise des « gens des villes ».

Les tribus ont donc été déplacées et sédentarisées par le gouvernement il y a quelques dizaines d’année. On les a installées dans des masures en parpaings et on leur a concédé quelques terres cultivables dans la plaine que dominent les terres de leurs ancêtres. Peut-être est-ce pour se donner bonne conscience que les lois gouvernementales ont décrété qu’il fallait maintenant “préserver leur identité et leur culture tribales” !

Le résultat de ces politiques contradictoires et idéologues a été immédiatement perçu par notre infirmière Yolly : ces pauvres gens sont maintenus dans l’ignorance, en l’absence de scolarisation, et l’obscurité spirituelle. Ce fut un frein à l’évangélisation, car les autorités ecclésiastiques ont obtempéré pendant de nombreuses années. Bien que ces dernières, après de longs combats juridiques, avaient permis à la tribu des Mamanwas de récupérer la propriété de leurs terres ancestrales.

Lorsque l’abbé Timothy Pfeiffer ouvrira cette nouvelle mission en 2020, à la suite d’une rencontre providentielle avec certains membres de la tribu, il devra faire face à une situation complexe que lui expliquera le Datu (chef tribal) du village : le désir profond de recevoir l’enseignement mêlé à la crainte du mécontentement des autorités civiles qui entraînerait inévitablement la perte des aides gouvernementales.

A cela se sont ajoutés la crise du Covid et un confinement très sévère car les autorités locales étaient effrayées par la venue d’« étrangers » et les déplacements nécessitaient de produire sans cesse des laisser-passer. Un petit retour en arrière permettra de comprendre la présence de cette mission dans ce lieu reculé.

Un soir de décembre 2019, dans la capitale de Mindanao, à 300 kilomètres au sud du lieu où nous nous trouvons, Father Tim a vu dans le fond de son église de Davao bouger quelques ombres suspectes. Il découvre des mendiants demandeurs d’asile poursuivis par la police car la mendicité est interdite en ville.

Ce sont des Mamanwas qui sont descendus de leur village de Cantugas pour tendre la main en cette période de Noël. Le père Tim écoute leur histoire, leur remplit les mains de riz et de friandises, et le cœur en leur parlant du Bon Dieu et de la Sainte Vierge, en leur donnant la médaille miraculeuse et… il leur promet d’aller leur rendre visite chez eux.

Cette rencontre providentielle le lance alors dans une aventure missionnaire avec le zèle et la détermination qu’on lui connaît. Entraînant avec lui ses catéchistes de Butuan et la fidèle et infatigable Yolly, permanente d’ACIM-Asia, infirmière et catéchiste, le père Tim ne tardera pas à honorer sa promesse. Et en février 2020, Yolly pourra s’installer dans le village et commencer son travail.

Mais ces populations se méfient des « gens des villes » car elles ont compris que leur ignorance a bien souvent encouragés ces derniers à les tromper… Malgré de nombreux obstacles, elle parviendra à gagner leur confiance en usant de patience, en se conformant à leur mode de vie, en vivant aussi simplement et aussi pauvrement qu’eux, en essayant de résoudre leurs problèmes quotidiens, en soignant leurs corps.

Ainsi sans précipitation, avec douceur et persévérance, elle a préparé leurs âmes à recevoir la grâce. Et, deux ans après, aux alentours de Pâques 2022 le père Tim a pu baptiser une vingtaine de personnes, adultes et enfants. Notons que ces peuplades aborigènes ont été peu évangélisées du temps des missions espagnoles, car les Franciscains au XVIIe siècle et les Jésuites au XIXe les trouvaient « difficiles à convertir » !

Ils avaient alors préféré se tourner vers les habitants des plaines plus réceptifs. Le père Tim a cependant retrouvé quelques restes de catholicisme, enseigné avant les lois de « préservation culturelle ». Il a dû faire face au paganisme et à ses adeptes virulents qui lui ont interdit l’accès du préau communal après la première messe qu’il y a célébrée. Les sectes protestantes font beaucoup de prosélytisme et leurs moyens financiers leur permettent d’attirer du monde.

Mais le Datu et son épouse, à qui Yolly a appris à prier le Rosaire, restent fidèles à sa récitation dominicale selon la promesse qu’ils ont faite au père Tim. L’accueil réservé aux volontaires ce mardi soir 13 septembre, la procession mariale qui a ouvert la mission immédiatement après leur arrivée, suivie par des dizaines d’enfants enthousiastes et débordant de joie est bien la preuve qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à la protection de Notre Mère du Ciel, ait été abandonné…

Il y a deux ans les enfants et beaucoup d’adultes du village ne savaient pas se mettre à genoux, joindre les mains et prier. Derrière la statue de Notre Dame des Sept Douleurs à travers les chemins du village les enfants chantaient les Ave Maria à tue-tête en latin et en visaya. Le soir, à la petite veillée de bienvenue, ces « gamins oubliés » du monde, à la peau sombre, aux yeux de braises brillants de gratitude, nous ont simplement demandé de « leur donner la main pour les mener vers d’autres lendemains… »

En les écoutant chanter ce chant bien connu que leurs catéchistes leur ont traduit en langue locale et appris pour nous, nous avons compris que pour eux et pour leur peuple, une lumière dorée brillait enfin au bout du chemin…

La messe matinale a été célébrée sous le toit du premier bâtiment d’un ensemble que le père Tim a le projet de construire et qui comprendra une chapelle dont on peut déjà voir les premières fondations ainsi qu’une salle de catéchisme. Le songe de Bepi, l’épouse du Datu, se réalise : il y a bien des années, cette femme, qui a perdu ses enfants de bilharziose, a vu le Sacré-Cœur en songe qui pleurait sur le village et elle a pensé qu’Il était triste parce que les gens du village ne priaient pas et n’avaient pas de lieu pour l’honorer.

Elle n’avait jamais pu parler de cela à personne jusqu’à maintenant, elle en a fait la confidence à Yolly et voici que, grâce aux dons récoltés lors du Carême Rosa Mystica chez les Dominicaines de Fanjeaux, une chapelle est en train de sortir de terre ! Il faudra encore de généreux donateurs pour que le beau projet soit mené à son terme.

Plus de 150 patients se sont présentés à l’accueil pour consulter ce matin. Pas de chômage en vue. Les consultations auront lieu dans l’école qui sera fermée pendant ces deux jours. La majorité des enfants avaient décidé de ne pas s’y rendre pour cause de mission. C’est l’événement de l’année ! La directrice leur a donné congé…

Outre les pathologies habituelles (diabète, hypertension artérielle) on a dû envoyer un petit enfant de trois ans en urgence à l’hôpital pour crise d’asthme aigüe et deux femmes enceintes pour pré-éclampsie. Deux visites ont été faites à domicile : auprès de la fille d’une des maîtresses d’école, 27 ans, née prématurée, aveugle suite à une hyper oxygénothérapie, avec convulsion régulière sans traitement, qui sera envoyée chez un neurologue par la mission ; et auprès d’un homme d’une soixantaine d’années, avec défaillance cardiaque et difficulté respiratoire.

Les consultations nous permettent de constater que la grande majorité des femmes reçoit une contraception gratuitement, certaines ont subi une ligature des trompes. Ce que craignait l’abbé Couture et le Docteur Dickès il y a 20 ans maintenant est malheureusement en train de se réaliser : la « santé reproductive » se met en place.

Jean-Pierre Dickès avait fait, à l’appel de l’abbé Daniel Couture, une tournée de conférence dans les facultés de médecine en 2004, afin d’alerter les professionnels de santé sur ce grand danger. Cette tournée fut à l’origine des Missions Rosa Mystica, et 2022 en est le quinzième cru.

La réflexion d’un des soldats affectés à notre sécurité, nous permet de conclure en beauté le récit de cette troisième journée de mission : « Cette communauté est bénie parce que vous êtes envoyés par le Ciel pour donner des soins gratuits à ces pauvres gens » !

Fabienne de Geofroy

A suivre…