A Saint-Denis, prière de suivre la flèche

Source: FSSPX Actualités

Travaux de la reconstruction de la flèche de la Basilique Saint-Denis

Emmanuel Macron avait promis de reconstruire Notre-Dame à l’identique en cinq ans : pari tenu. En sera-t-il de même pour la flèche nord de la basilique Saint-Denis ? L’exécutif promet d‘achever la restauration de cette partie de la nécropole des rois et des reines de France en 2029, une date qui coïncide avec l’ambition de faire de Saint-Denis la capitale européenne de la culture en 2028.

Le coup de ciseau donné en ce 14 mars 2025 devant un parterre de journalistes par la ministre de la Culture a valeur de symbole : et pour cause, c’est ce jour-là que Rachida Dati inaugurait le début des travaux de reconstruction de la flèche nord de la basilique Saint-Denis (France) ouvrant le chapitre d’un chantier hors-norme.

La basilique Saint-Denis, située au cœur de la ville éponyme dans l’actuelle Seine-Saint-Denis appartient au roman français. Considérée comme le berceau de l’art gothique, elle doit son rayonnement à l’abbé Suger, qui, au XIIe siècle, entreprit sa transformation en un chef-d’œuvre architectural.

Avec ses voûtes élancées, ses vitraux lumineux et son massif occidental flanqué de deux tours, dont celle du nord portant une flèche majestueuse haute de 90 mètres, la basilique incarnait une révolution dans l’histoire de l’architecture européenne. Elle devint également la nécropole royale, abritant les tombeaux de 43 rois et 32 reines, de Dagobert Ier à Louis XVIII.

Mais cette silhouette asymétrique devait être défigurée au XIXe siècle. En 1837, la foudre frappe la flèche, entraînant une série de fragilités structurelles. Puis plusieurs tempêtes s’abattent en 1842, 1843 et 1845, achevant de déstabiliser l’ouvrage. L’architecte François Debret, chargé de sa restauration, entreprend alors un démontage minutieux pour consolider la tour nord.

Dans la grande tradition du génie français, chaque pierre est numérotée, chaque détail documenté, dans l’espoir d’une future reconstruction. Pourtant, une querelle architecturale avec Viollet-le-Duc, figure majeure de la restauration patrimoniale, interrompt le projet. La flèche ne sera jamais remontée, laissant la basilique orpheline de son couronnement pendant près de deux siècles.

Depuis, l’absence de la flèche a été perçue comme une amputation : « La basilique a été horizontalisée », explique Christophe Bottineau, architecte des monuments historiques en charge du bâtiment. « Sur les cartes postales anciennes, on rajoutait la flèche, comme si elle persistait dans la mémoire collective. » Ce « syndrome du membre disparu » a nourri un désir de restauration.

L’idée n’est pas nouvelle. Dès 1987, Marcelin Berthelot, maire de Saint-Denis, lance le projet. En 1991, une étude du ministère de la Culture conclut à sa faisabilité technique. Mais les obstacles sont nombreux : absence de financement public direct, débats sur la légitimité patrimoniale et priorités concurrentes. Il faut attendre 2015 pour qu’un tournant décisif soit pris.

Lors d’une visite à Saint-Denis, le président François Hollande acte le projet, posant une première pierre symbolique en 2017. En 2025, c’est le socialiste Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, qui a pris le relais : ironie de l’histoire, les lointains héritiers des révolutionnaires qui ont profané les restes mortels des rois et de reines de France en 1793, facilitent aujourd’hui le projet de restauration…

La reconstruction de la flèche est un défi technique : 15 228 pierres à tailler et à poser sur cinq ans, mobilisant 130 artisans – tailleurs de pierre, forgerons et charpentiers. L’objectif est de remonter l’ouvrage restauré par François Debret avant son démontage. « C’est un chantier anti-architectural », souligne l’architecte en chef du projet. « Il sera totalement à l’identique, sans création nouvelle. »

Les pierres sont taillées à la main selon des méthodes ancestrales. Mais le projet intégre des outils numériques de pointe. Chaque pierre bénéficie d’un « jumeau numérique », une modélisation 3D qui permet de suivre son histoire et sa mise en œuvre. Cette technologie, une première sur un chantier de cette ampleur, garantit une précision extrême tout en offrant une expérience immersive au public.

De 2022 à 2024, des travaux de consolidation du massif occidental ont renforcé les fondations et les contreforts de la tour nord. Un échafaudage de plus de 90 mètres a été installé en janvier 2025, et la taille des premières pierres a débuté. La pose de la première pierre ce 14 mars ouvre la phase de reconstruction proprement dite, qui s’étendra jusqu’en 2029.

Le coût total du projet est estimé à 37 millions d’euros, un montant colossal pour un monument qui ne bénéficie pas d’une souscription nationale massive. Dès 1992, le ministère de la Culture avait conditionné son aval à l’absence de financement public direct. La solution trouvée repose sur un modèle hybride mêlant collectivités territoriales, mécénat privé et autofinancement via le tourisme.

La Région Ile-de-France contribue à hauteur de 5 millions d’euros. Les sept départements franciliens apportent 20 millions d’euros. La Métropole du Grand Paris ajoute 4,5 millions, et le groupe Vinci injecte 1 million. Le reste – entre 3,5 et 5 millions – sera levé via une campagne de mécénat de la Fondation du Patrimoine, qui propose de parrainer une pierre et d’acquérir son jumeau numérique.

Le cœur du modèle économique repose sur l’ouverture au public. Dès septembre 2025, « La Fabrique de la flèche », un chantier ouvert au public, accueillera les curieux au pied de la basilique. Inspiré des succès de Guédelon – 5 millions de visiteurs en dix-huit ans – ce village des artisans comprendra une galerie didactique, une salle de réalité virtuelle, un cube immersif et des démonstrations en direct.

« Seule la conformité historique attire les visiteurs », explique, réaliste, Julien de Saint Jores, directeur de l’association Suivez la flèche. « C’est cette authenticité qui garantit l’autofinancement. » L’objectif est ambitieux : doubler la fréquentation annuelle de la basilique, passant de 130 000 à plus de 300 000 visiteurs d’ici 2029.

L’entreprise n’a pas échappé aux critiques. En 2021, 128 chercheurs et universitaires ont dénoncé une reconstruction « illégitime ». Parmi les griefs : la destruction supposée de la chambre funéraire de Pépin le Bref lors des fouilles préparatoires, l’utilisation de béton ou de chaux dans les fondations, et le petit nombre de pierres authentiques conservées (5 à 10 sur 300, selon une expertise de 2016).

« La basilique n’a pas besoin de flèche », écrivaient les signataires, plaidant pour que les fonds soient affectés à des restaurations « plus urgentes ». Mais l’important n’est-il pas de retrouver un édifice au fondement de ce « roman français » apte à mouvoir les cœurs à une gratitude telle envers le passé qu’elle entraine les jeunes générations à œuvrer pour une renaissance de la civilisation française ?

Dans quelques années, si tout va bien, on se rappellera sans beaucoup de nostalgie la description de la nécropole des rois et des reines de France faite par Chateaubriand à son retour d’exil : « Saint-Denis est désert ; l’oiseau l’a pris pour passage, l’herbe croît sur ses autels brisés ; et au lieu du cantique de la mort qui retentissait sous ses dômes, on n’entend plus que les gouttes de pluie qui tombent par son toit découvert, la chute de quelque pierre qui se détache de ses murs en ruine, ou le son de son horloge, qui va roulant dans les tombeaux vides et les souterrains dévastés » (Mémoires d’outre-tombe).