Sermon de Mgr Lefebvre le 1er novembre 1980
Mes bien chers amis, mes bien chers frères,
La fête de la Toussaint, l’ordination qui va avoir lieu dans quelques instants et l’anniversaire de la fondation de la Fraternité sont autant d’événements que nous fêtons aujourd’hui et qui nous offrent l’occasion de méditer sur ce qu’est la sainteté, et particulièrement sur la sainteté dans le sacerdoce.
En effet, s’il est une raison de choisir ceux qui doivent offrir les saints mystères, c’est bien leur sainteté. S’il est un motif aussi pour la fondation de la Fraternité que nous pouvons évoquer en cet anniversaire, et qui n’est rien d’autre que le but de la Fraternité, c’est d’abord et avant tout de sanctifier les prêtres, de donner à l’Eglise de saints prêtres. Je pense que si nous nous adressions à tous ceux qui aujourd’hui jouissent de la gloire du Ciel – tous les saints qui sont unis à Notre Seigneur Jésus-Christ, à la très sainte Vierge Marie, à tous les saints anges, et qui chantent la gloire de Dieu et de Notre-Seigneur – si nous leur demandions à chacun d’entre eux quel a été au cours de leur existence terrestre le moyen, la voie de leur sanctification, il ne fait aucun doute qu’ils nous répondraient : « La voie de la sanctification, c’est Notre Seigneur Jésus-Christ et Notre Seigneur Jésus-Christ crucifié. La voie de la perfection, la voie de la sainteté, c’est la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ ».
L’essence du prêtre : sacrifier et compatir
Alors s’il est vrai que c’est la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ qui est le moyen de notre sanctification, voyez immédiatement quelles doivent être aussi pour le prêtre, la raison et la voie de sa sanctification, lui dont la définition même est d’offrir le saint sacrifice, d’offrir par conséquent, dans la Personne même de Notre Seigneur Jésus-Christ, en son nom propre, la continuation de son sacrifice de la Croix. C’est donc là que le prêtre trouvera la raison fondamentale, essentielle, continuelle de sa sanctification, et ce sera aussi pour lui le moyen de sanctifier le peuple fidèle, pour qui la voie de la sanctification n’est pas autre que celle du prêtre ; c’est aussi la voie de la Croix.
Saint Paul nous enseigne d’une manière admirable ce qu’est le prêtre, au chapitre 5 de son épître aux Hébreux : « Omnis pontifex ex hominibus assumptus, tout prêtre choisi parmi les hommes, pro hominibus constituitur in iis quæ sunt ad Deum, est constitué pour les hommes en ce qui regarde les choses de Dieu, ut offerat dona, et sacrifícia pro peccatis, pour qu’il offre les dons et fasse le saint sacrifice pour la rédemption des péchés » (Hb 5, 1). Et il ajoute : « Comme il est lui-même entouré d’infirmités, cum ipse circumdatus est infirmitate, il doit, debet condolere iis qui ignorant et errant, il doit se pencher et compatir à ceux qui sont dans l’erreur et dans l’ignorance » (Hb 5, 2). C’est là tout le secret du sacrement de pénitence. Le prêtre est donc fait pour offrir le saint sacrifice et répandre les grâces du sacrifice particulièrement par le sacrement de pénitence : se pencher sur ceux qui sont dans l’erreur et dans l’ignorance. Et comme il est aussi lui-même pécheur, il doit pour lui, pour ses propres péchés et non pas seulement pour les péchés du peuple de Dieu, offrir le saint sacrifice (cf. Hb 5, 3). Voyez comment en quelques lignes saint Paul a résumé ce qui fait l’essence même du prêtre.
Alors, mes chers amis, vous qui dans quelques instants allez monter à l’autel pour recevoir l’ordination diaconale qui vous prépare à offrir ces saints mystères de Dieu, ces saints mystères de Notre Seigneur Jésus-Christ, méditez ces paroles de saint Paul. Sachez que vous aussi, vous êtes faibles ; sachez aussi que vous êtes pécheurs, et pourtant, le Bon Dieu vous a choisis. C’est encore saint Paul qui le dit, le prêtre ne s’est pas choisi lui-même, mais il a été choisi comme Aaron, comme les lévites (cf. Hb 5, 4). Choisis par Dieu pour offrir les saints sacrifices, pour offrir le vrai sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ. Préparez-vous, mes chers amis, à recevoir la grâce du sacerdoce afin d’être de vrais prêtres, afin d’être de saints prêtres, tels que l’Eglise les veut.
La crise du sacerdoce et la destruction de la messe
Or, qu’avons-nous vu depuis une vingtaine d’années et même déjà auparavant ? Car il faut bien reconnaître que la notion véritable du sacerdoce et le but même pour lequel le prêtre est prêtre, commençaient déjà, bien avant le Concile, à disparaître de l’esprit même des prêtres. Hélas ! Combien de prêtres célébraient le saint sacrifice de la messe sans plus savoir exactement ce qu’ils faisaient, sans se rendre compte, d’une manière un peu machinale, comme un simple fonctionnaire de l’Eglise ? Alors que c’est là que se trouve toute la grandeur du prêtre ! Toute sa raison d’être, toute sa joie, toute sa consolation, toute sa force se trouvent dans le saint sacrifice de la messe. Si le prêtre ne réalise plus ces choses-là, alors ce n’est plus un prêtre.
Mais au lieu de revenir à ces notions fondamentales de l’Eglise, qui en sont la pierre et le roc fondamental, on a voulu introduire un esprit nouveau qui, loin de faire retrouver aux saints mystères leur véritable signification, a rapproché ces mystères de la cène protestante, détruisant ainsi ce qu’il y avait de mystérieux, de grand, de divin, de sacré, dans le saint sacrifice de la messe. Rapprocher notre sacrifice – le sacrifice de Notre-Seigneur – de ce sacrifice ignoble des protestants, c’était dénaturer le sacrifice de la messe. Et alors nous avons pu constater, et nous constatons tous les jours les effets de ce changement de la pensée des prêtres, changement qui s’est introduit sous l’influence des modernistes qui ont envahi l’Eglise. Car ce n’est pas l’Eglise qui a fait une chose semblable, ce sont les modernistes et les progressistes qui ont envahi l’Église et qui ont imposé aux chrétiens une idée de la messe qui n’est plus la véritable idée du sacrifice de la messe ; ils ont dénaturé le sacrifice de la messe.
Résister par fidélité à l’Eglise et sans rébellion
C’est pourquoi nous avons résisté. Nous ne sommes pas des rebelles, nous ne sommes pas des schismatiques, nous ne sommes pas des hérétiques : nous résistons. Nous résistons à cette vague de modernisme qui a envahi l’Eglise, cette vague de laïcisme, de progressisme qui a envahi l’Eglise d’une manière indue, d’une manière injuste, et qui a essayé de faire disparaître de l’Eglise tout ce qu’il y avait de sacré, tout ce qu’il y avait de surnaturel, de divin dans l’Eglise, pour le réduire à la dimension de l’homme. Eh bien, nous résistons et nous résisterons, non pas par esprit de contradiction, non pas par esprit de rébellion mais par esprit de fidélité à l’Eglise, par esprit de fidélité à Dieu, par esprit de fidélité à Notre Seigneur Jésus-Christ, par esprit de fidélité à tous ceux qui nous ont enseigné notre sainte religion, à tous les papes qui ont maintenu la Tradition. C’est pourquoi nous sommes décidé tout simplement à continuer et à persévérer dans la Tradition, persévérer dans ce qui a sanctifié les saints qui sont au Ciel. Faisant cela, nous sommes persuadé de rendre un service immense à l’Eglise, à tous les fidèles qui veulent garder la foi, à tous les fidèles qui veulent recevoir vraiment la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Peu à peu, il semble que certaines autorités de l’Eglise commencent à se rendre compte d’une manière plus objective que de graves erreurs ont été accomplies et qu’il serait peut-être temps, sinon de revenir totalement aux choses anciennes – ce qui serait l’idéal – du moins de réformer leur réforme. C’est déjà un premier pas. Hélas, il a fallu pour cela douze ans de conséquences lamentables, fruits de toutes ces réformes qui ont été introduites dans l’Eglise : abandon des prêtres, abandon des religieux et des religieuses, ruine des noviciats, ruine même de la sainteté religieuse, ruine des églises, apostasie de combien de fidèles ! Il a fallu que tout cela s’étale sous nos yeux pour qu’enfin l’on commence lentement à prendre conscience du ravage qu’a causé cette réforme, qui n’a pas été faite par l’Eglise, mais qui a été faite par ceux qui étaient imbus d’idées contraires à celles que l’Eglise a toujours enseignées. Je relisais ces jours derniers l’encyclique Humani generis du pape Pie XII, promulguée en 1950. Cette encyclique n’est ni plus ni moins que la condamnation de tout ce qui s’est fait après le Concile. Il est impossible d’admettre ce qui s’est fait après le Concile et d’admettre en même temps que le pape Pie XII avait raison dans son encyclique Humani generis.
Servir l’Eglise et sauver les âmes par la Croix
Quant à nous, nous avons fait notre choix. Nous obéissons aux papes, aux papes de toujours et nous sommes persuadé qu’il n’est pas possible que même le pape régnant ne soit pas, dans le fond de son cœur et de son âme, attaché à tout ce que les papes ont dit avant lui, à tous ses prédécesseurs, même si nous voudrions qu’il abolisse ces réformes plus rapidement. Cependant nous sommes persuadé qu’en étant justement d’accord avec tous les prédécesseurs du pape régnant – je devrais exclure malheureusement ses deux prédécesseurs immédiats – nous sommes persuadé de rendre un grand service à l’Eglise et de nous trouver dans la voie de la vérité. C’est cela je pense que nous devons voir dans les fêtes d’aujourd’hui, dans cette ordination qui est une ordination faite comme celles de toujours, dans la fête de la Toussaint, où tous les saints nous enseignent de demeurer dans la Tradition, de faire ce qu’ils ont fait pour se sanctifier, de faire ce qu’ils ont fait pour aller au Ciel. C’est ce que nous faisons tout simplement ; nous refaisons les mêmes rites, les mêmes gestes, nous récitons les mêmes prières, nous adorons le même Dieu, nous adorons Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous croyons en notre catéchisme de toujours comme eux-mêmes ont cru, et c’est ce qui leur a valu d’être au Ciel. Alors nous aussi, nous voulons sauver nos âmes et nous voulons suivre nos ancêtres dans la foi, et être martyrs avec eux s’il le faut, comme ceux qui l’ont été pour avoir professé leur foi. Enfin, parce que la Fraternité a été le moyen de maintenir la Tradition, nous voulons maintenir le but de la Fraternité qui est tout simplement de continuer l’Eglise ; continuer l’Eglise afin de sauver les âmes, donner de saints prêtres aux âmes des fidèles qui attendent avec impatience de retrouver de vrais et saints prêtres.
Voilà mes chers amis, ce que nous enseignent ces cérémonies et les fêtes que nous célébrons aujourd’hui. Je voudrais que vous trouviez dans la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ toutes les solutions, et cela sous la vigilance et la garde de la très sainte Vierge Marie qui a si bien compris le mystère de la Croix, qui a vécu le mystère de la Croix avec Notre Seigneur Jésus-Christ d’une manière toute particulière, avec une sagesse infinie. Demandons à la très sainte Vierge Marie de nous faire comprendre profondément ce qu’est le mystère de la Croix et nous y trouverons toutes les solutions, mes chers amis ! Lorsque, au cours de votre existence, vous rencontrerez toutes sortes de problèmes, tous les problèmes humains possibles et imaginables, ne cherchez pas ailleurs que dans la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est là que vous trouverez la solution des problèmes de chaque personne en particulier. Les âmes viendront se confier à vous, viendront vous exposer leurs problèmes et vous leur direz toujours : « Regardez la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Car dans cette Croix, qui est le grand mystère qu’ont enseigné les Apôtres et particulièrement l’Apôtre saint Paul, se trouve la solution de tous les problèmes. Parce que la Croix, c’est la charité, l’amour, l’amour jusqu’au sacrifice. Tous les problèmes se résolvent dans la charité, mais la charité portée jusqu’au sacrifice de soi, jusqu’à la mort s’il le faut.
La Croix résout tous les problèmes
Dernièrement, je me trouvais à Rome et j’eus l’occasion de rencontrer quelques cardinaux venus discuter des problèmes du mariage au cours du synode. Les problèmes du mariage paraissent aujourd’hui beaucoup plus difficiles qu’autrefois – bientôt il semblera que les seuls problèmes qui se posent encore, soient pour les gens mariés, pour ceux qui sont dans les liens du mariage. J’ai eu l’occasion de leur dire : « Sans la Croix, il est impossible de résoudre les problèmes du mariage, comme tous les autres problèmes d’ailleurs, pas seulement celui-là. Mais exclure le sacrifice du mariage, c’est exclure l’idée même de mariage chrétien. » Il est inutile de discuter pendant des semaines sur la famille chrétienne, en excluant le sacrifice de la famille chrétienne ; c’est laisser la vraie solution, le vrai remède à part, et par conséquent demeurer sans solution.
Qu’il s’agisse des problèmes économiques, des problèmes sociaux, qu’il s’agisse des problèmes politiques, des problèmes de ceux qui sont alités dans les hôpitaux, il n’y a qu’une solution : c’est la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est la justice, telle que la réalise Notre Seigneur Jésus-Christ sur sa Croix : rendre à Dieu ce qui est dû à Dieu, rendre au prochain ce qui est dû au prochain. C’est ce qu’a fait Notre-Seigneur sur sa Croix. Il n’y a pas de plus bel acte d’amour de Dieu et de plus bel acte d’amour du prochain qui aient été faits, en dehors de celui de Notre Seigneur Jésus-Christ sur sa Croix. Tous les problèmes se résolvent alors dans cette ligne de la Croix, du sacrifice.
Voilà, mes chers amis, ce que doit être votre programme ; programme de votre séminaire, programme aussi de votre sacerdoce. Alors vous serez vraiment des disciples de Notre Seigneur Jésus-Christ, vous serez vraiment ce qu’on dit du prêtre et ce qui doit être dit de lui, que le prêtre est un autre Christ.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.