Turquie : Assassinat du vicaire apostolique d’Anatolie
Le président de la Conférence des évêques catholiques de Turquie, Mgr Luigi Padovese, âgé de 63 ans, a été assassiné à coups de couteau le jeudi 3 juin dernier par son chauffeur. Dès le lendemain, celui-ci, 26 ans, était arrêté et écroué après avoir avoué être l’auteur du crime.
Le prélat italien, également vicaire apostolique d’Anatolie, se trouvait dans sa maison d’été située dans la banlieue d´Iskenderun dans le sud de la Turquie, lorsqu’il a été retrouvé sans vie. Si la première version officielle faisait état d’un acte isolé de la part d’un déséquilibré converti il y a quatre ans au catholicisme, plusieurs éléments ont toutefois rapidement jeté le trouble sur cette version des faits. Après avoir reçu plusieurs coups de couteau, Mgr Luigi Padovese aurait réussi à sortir de son domicile pour appeler à l´aide avant d´être décapité. Un geste qui rappelle fortement le sacrifice rituel musulman. Selon des témoins cités par l’agence AsiaNews, le meurtrier aurait par la suite crié depuis le toit de la maison : « J’ai tué le grand Satan, Allah Akbar » (« Dieu est grand »).
Au lendemain de cet assassinat, alors qu´il rencontrait les journalistes dans l´avion qui le menait à Chypre, Benoît XVI avait souhaité que ce meurtre ne soit pas attribué « à la Turquie ou aux Turcs ». « Ce qui est certain, c´est qu´il ne s´agit pas d´un assassinat politique ou religieux ; il s´agit d´une affaire personnelle », avait renchéri le pape tout en reconnaissant disposer de « peu d´informations ». « Nous attendons encore tous les éclaircissements, avait-il ajouté, mais nous ne voulons pas en ce moment mélanger cette situation tragique avec le dialogue avec l´islam.»
Toutefois la version encore officieuse des faits, corroborée par l’enquête journalistique d’Asianews, semble contredire l’explication donnée par le Saint-Père. Pour l’archevêque de Smyrne, Mgr Ruggero Franceschini, qui succède temporairement à Mgr Padovese, il n’y a guère de doute : les motivations de cet assassinat ne peuvent être que de nature religieuse. Le 12 juin, dans un entretien accordé au quotidien italien Il Foglio, celui qui avait célébré les obsèques de Mgr Padovese en Turquie, a notamment jugé que Benoît XVI avait été « mal conseillé » avant de prendre la parole sur ce sujet sensible.
Au Vatican également, les conclusions de Benoît XVI laissent perplexe. Un haut prélat, joint par l’agence I.Media le 9 juin dernier, a clairement jugé que le pape aurait mieux fait de ne pas intervenir si tôt sur cette question délicate. Il a également confié que le chauffeur de Mgr Padovese, qu’il avait eu l´occasion de rencontrer, était loin d´être « le malade mental » immédiatement présenté par les autorités turques, ni même un converti au christianisme ! Cet ecclésiastique a enfin rappelé que la décapitation, dans l’islam, était réservée « aux moutons et aux infidèles ». Un autre prêtre romain, également cité par I.Media, a confié qu’il était « pour le moins bizarre que tous les assassins de chrétiens en Turquie soient présentés comme des fous ». Il a par ailleurs noté que le chauffeur de Mgr Padovese était « de trop faible constitution pour s´attaquer seul à l´évêque », un homme particulièrement « costaud ». Enfin, cette source vaticane a indiqué que le prélat italien aurait confié avoir reçu à plusieurs reprises des menaces de mort.
Un autre élément vient corroborer la thèse du crime religieux. Selon le P. Filippo di Giacomo, prêtre italien et vaticaniste connu, Mgr Padovese devait se rendre à Chypre pour participer à la visite effectuée par le souverain pontife. Mais, il aurait annulé son projet car il craignait pour sa sécurité et… celle du pape ! Des sources gouvernementales turques l'auraient, en effet, averti que son chauffeur était un fondamentaliste islamique infiltré. Toujours d’après le P. di Giacomo, cité par le quotidien espagnol El Pais dans son édition du 9 juin, le président de la Conférence des évêques catholiques de Turquie avait particulièrement peur que son chauffeur n'essaie de commettre un attentat contre le pape.
Cette sombre histoire n’est malheureusement pas la première en Turquie. Depuis quatre ans, plusieurs religieux chrétiens ont été attaqués. En février 2006, un prêtre, lui aussi italien, Andrea Santoro, avait été assassiné par balles dans la ville de Trabzon, au nord-est du pays. Son jeune assaillant de 16 ans avait écopé d'une peine de près de 19 ans de prison. En 2007, un prêtre d'Izmir, Adriano Franchini, avait été légèrement blessé au ventre par un jeune homme de 19 ans au sortir de la messe dominicale. La même année, un commando avait fait irruption dans une maison d'édition qui imprimait des Bibles, à Malatya en Anatolie, et tué trois chrétiens dont un missionnaire allemand. Les cinq agresseurs qui avaient égorgé leurs victimes, doivent bientôt être jugés. Dans ce contexte particulièrement tendu pour des chrétiens qui représentent moins d'un pour cent de la population turque, sur 72 millions d'habitants, Benoît XVI a salué, dans un message lu le 14 juin à l’occasion des obsèques à Milan du prélat assassiné, « l´engagement résolu pour le dialogue et la réconciliation qui a caractérisé la vie sacerdotale et le ministère épiscopal » de Mgr Luigi Padovese. (Sources : apic/IMedia/El Pais/Asianews - DICI n°217 du 26/06/10)