Ukraine : le patriarcat orthodoxe de Moscou isolé
Dès le début de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022, les autorités orthodoxes ukrainiennes relevant du patriarcat de Moscou avaient exprimé leur opposition au conflit et avaient pris leurs distances avec le patriarche Cyrille. En effet, ce dernier n’a pas caché son soutien à la politique du gouvernement de Poutine, et a justifié l’intervention militaire comme un « combat métaphysique » du bien contre le mal de l’Occident.
Rupture avec le patriarcat de Moscou
Selon la loi ukrainienne, les membres d’une paroisse peuvent décider à la majorité des deux tiers du passage de la communauté à une autre confession. Quantité de paroisses ukrainiennes jusqu’à présent fidèles à Moscou, pour la plupart dans l’ouest du pays, ont décidé de quitter l’Eglise orthodoxe ukrainienne qui a pour primat le patriarche de Moscou.
Environ 60% des 41 millions d’Ukrainiens se réclament du christianisme orthodoxe. Ils appartiennent à deux Eglises différentes : l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou ou l’Eglise orthodoxe d’Ukraine indépendante (autocéphale), fondée fin 2018. L’Eglise fidèle à Moscou compte en Ukraine beaucoup plus de paroisses que toute autre confession.
Les dissensions entre Kiev et Moscou sont allées en s’aggravant au fil des semaines. L’Assemblée clérico-laïque de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, convoquée par le métropolite Onuphre de Kiev a déclaré, le 27 mai 2022, sa pleine indépendance à l'égard du patriarcat de Moscou.
L’assemblée a approuvé les amendements au statut de l’administration de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, de « l’indépendance et de l’autonomie complètes de l’Eglise orthodoxe ukrainienne ». La déclaration finale de l’assemblée « condamne la guerre comme une violation du commandement de Dieu : “Tu ne tueras pas !” (Ex 20, 13) et compatit avec tous ceux qui ont souffert de la guerre ».
Elle affirme son « désaccord avec la position du patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies sur la guerre en Ukraine. Non seulement il n’a pas condamné l’agression militaire de la Russie, mais il n’a pas non plus trouvé de mots pour le peuple ukrainien qui souffre », a déclaré le porte-parole de l’Eglise ukrainienne.
La rupture avec Moscou ne signifie cependant pas un ralliement à la récente Eglise orthodoxe d’Ukraine indépendante, reconnue en 2019 par le patriarcat œcuménique de Constantinople, considérée comme schismatique par Moscou. L’assemblée ouvre néanmoins la porte à un dialogue, mais fixe ses conditions.
Elle « exprime son profond regret quant au manque d’unité de l’orthodoxie ukrainienne. Il est déplorable que les récentes actions du patriarche de Constantinople en Ukraine, qui ont abouti à la formation de l’“Eglise orthodoxe d’Ukraine”, n’aient fait qu’accroître les malentendus et susciter des affrontements physiques. Toutefois, l’assemblée ne perd pas l’espoir de reprendre le dialogue même dans de telles circonstances. »
Pour cela l’“Eglise orthodoxe d’Ukraine” doit : cesser la saisie d’églises et les transferts forcés de paroisses de l’Eglise orthodoxe ukrainienne ; reconnaître le fait que leur statut canonique est ‘non autocéphale’ ; vérifier la succession apostolique des évêques de l’Eglise dite autocéphale.
La brusque mutation du métropolite Hilarion
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk a été nommé à la tête du diocèse de Budapest et de Hongrie, annonce Vatican News le 7 juin 2022. Il est déchargé de ses obligations de président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, de membre permanent du Saint-Synode et de recteur de l’Institut des Hautes-Etudes Saints-Cyrille-et-Méthode, a fait savoir le Patriarcat de Moscou.
La mutation du métropolite de Volokolamsk a été décidée à la réunion du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe ce même 7 juin. Le métropolite Hilarion est remplacé par le métropolite Antoine de Chersonèse, qui reste responsable de l’Exarchat d’Europe occidentale ainsi que directeur de l’administration des institutions du Patriarcat de Moscou à l’étranger.
Ainsi, le patriarche Cyrille a nommé son ancien secrétaire, le métropolite Antoine, qui était métropolite de Paris ces dernières années, précise Vatican News.
Agé de 55 ans, homme-clé du patriarcat de Moscou, le métropolite Hilarion venait d’effectuer un voyage en Hongrie du 1er au 5 juin 2022 où il avait rencontré l’archevêque de Budapest et Primat de Hongrie, le cardinal Peter Erdő.
Engagé dans le dialogue œcuménique, il a effectué de nombreuses visites au Vatican, ayant participé notamment en 2014 et 2015 comme délégué aux synodes sur la famille. Hilarion a été l’une des chevilles ouvrières des relations entre le pape François et le patriarche Cyrille, précise l’agence Zenit le 8 juin 2022.
Il était présent à la rencontre des deux hommes à Cuba avec le cardinal Kurt Koch, le 12 février 2016. Et lors de la conférence de presse dans l’avion de retour d’Athènes à Rome, le 6 décembre 2021, le pape avait confié son espoir de rencontrer à nouveau Cyrille : « je crois que la semaine prochaine Hilarion viendra me voir pour convenir d’une éventuelle rencontre ». Cette brusque mutation semble être une sanction.
Un patriarcat divisé ?
L’agence de presse catholique italienne SIR a publié un entretien avec Gianni Stefano Caprio, professeur d’histoire et de culture russes à l’Institut pontifical oriental. Selon lui, le patriarche de Moscou traite souvent ses plus proches collaborateurs de cette manière : parfois sans prévenir, selon son humeur, il les transfère, les envoie dans d’autres lieux pour accomplir d’autres tâches.
Dans le cas d’Hilarion – d’après ce que nous comprenons, souligne le professeur italien – le fait que le métropolite était trop indépendant, prenait trop d’initiatives de son propre chef, notamment en essayant d’ouvrir des voies de dialogue et de relations diplomatiques, n’a pas été appréciée au moment où le patriarche Cyrille adoptait une position plus rigide et intransigeante sur la guerre.
« Le bruit courait depuis quelque temps dans les cercles patriarcaux qu’Hilarion suivait sa propre voie. Au cours des trois derniers mois, il n’a jamais fait de discours de soutien à la guerre, comme l’a fait le patriarche de Moscou », explique Gianni Stefano Caprio.
« De toute évidence, il avait des positions différentes. Je crois avoir compris que cette visite en Hongrie où il avait rencontré le cardinal Erdő n’avait pas été convenue ou pas bien convenue entre Hilarion et le patriarche. On peut donc supposer que c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », conclut-il.
Le patriarche Cyrille a déjà renvoyé aussi bien des conservateurs que des progressistes, des intransigeants que des libéraux, poursuit le professeur italien. Ainsi, il a rappelé de Paris le très jeune métropolite Antoine de 36 ans et qui a été son secrétaire personnel… après l’avoir envoyé à Paris, il y a trois ans, pour remplacer le métropolite précédent parce qu’il était trop faible dans les relations avec Constantinople.
Le professeur Caprio précise que le patriarche se trouve dans une situation très critique au sein du Patriarcat de Moscou, entre les libéraux et les radicaux conservateurs. « Il se peut également, ajoute-t-il, que des pressions aient été exercées par le Kremlin pour mettre sur la touche Hilarion, qui cherchait à avoir trop de contacts avec les “Occidentaux”.
« Il est certain que l’orthodoxie n’ayant pas de centre, tout évêque de quelque patriarcat que ce soit peut se dire en désaccord et changer de tutelle. Ce qui engendre des divisions dans l’orthodoxie en général, entre les Russes et les Ukrainiens, et au sein même du Patriarcat de Moscou », confirme le professeur Caprio.
Le dialogue œcuménique promu par Vatican II semble ignorer qu’il n’y a pas de dialogue possible avec l’orthodoxie, mais seulement avec des orthodoxies rivales, concurrentes parce qu’autocéphales.
(Sources : cath.ch/kna/vatican news/zenit/sir/DICI n°421 – FSSPX.Actualités)
Illulstration : ЯдвигаВереск, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons