Un dossier sur la crise des vocations religieuses paru dans le journal Courrier de la Mayenne, février 2003

Source: FSSPX Actualités

 

L’aspect intéressant du dossier ci-dessous vient de sa publication dans un organe de ce qu’on qualifie la « grande presse ». Jusqu’à présent, celle-ci était rarement indemne du reproche de partialité dès qu’elle abordait la question religieuse. Il est donc intéressant de noter que, plus on avance dans le temps, moins la déterioration de la situation concrète de l’Eglise ne peut échapper à la perspicacité des journalistes. Le dossier sur la crise des vocations dans le Courrier de la Mayenne s’est fait en deux temps: primo un constat saisissant de la réalité, secundo une explication donnée par un prêtre de la Tradition. A cela, l’évêque du lieu n’a pu rester insensible et n’a trouvé comme seul argument que de brandir des peines canoniques – dont l’existence lui est revenue inopportunément à la mémoire.

Première étape : le constat

En Mayenne, en 30 ans, le nombre de prêtres a diminué de moitié

Sur les 200 prêtres mayennais, seulement 29 d’entre eux ont moins de 60 ans. La crise à laquelle va être bientôt confrontée l’Eglise tient d’abord au vieillissement de ses pasteurs. Il y a bien trois séminaristes actuellement en formation, mais trois années au moins devront s’écouler jusqu’à leur ordination. De sorte qu’il n’y aura pas, dans le meilleur des cas, un seul nouveau prêtre dans le diocèse avant 2006.

On est loin des années florissantes comme 1947, où l’évêque d’alors, Monseigneur Richaud, ordonnait 26 prêtres pour son diocèse ! Certes, la comparaison n’a pas beaucoup de sens : "L’Eglise est tributaire de son époque, explique le père Tonnelier, par ailleurs historien. La vie s’est considérablement transformée, le monde moderne n’a plus rien à voir avec les années 50; on ne peut pas isoler ces chiffres de leurs contextes humain, sociologique et chrétien. Il faut s’interdire de comparer les besoins d’un temps avec ceux d’un autre temps. Et surtout cesser de gémir, ne pas s’affoler".

La situation n’en demeure pas moins préoccupante. Témoin l’exemple du père Jean-Marie Véron, curé de la paroisse Saint-Bernard-de-Clermont. A 40 ans, il est le seul prêtre à être investi à plein temps sur cette circonscription de 14000 habitants. "Il y a encore un an, dit-il, nous étions trois". Aucune relève n’a pu être assurée, le jeune curé est forcé de reconnaître que "la vie spirituelle n’exerce plus le même attrait". Reste à comprendre pourquoi. A essayer du moins. Selon lui, nous vivons "une époque où faire une choix qui engage une existence dans la durée ne va plus de soi". Et d’argumenter : "une personne sur sept est amenée à changer d’entreprise tous les trois ans". L’ère du zapping ne favorise pas l’éclosion de nouvelles vocations religieuses. Tout va si vite aujourd’hui qu’il devient presque impossible, dans l’agitation générale, de nourrir sa foi par un retour à l’Evangile et au recueillement. "Il faut vraiment le vouloir pour devenir prêtre maintenant !", lance Jean-Marie Véron. D’aucuns avancent des explications sociologiques. C’est le cas du père Tonnelier : "Autrefois la plupart des prêtres étaient issus des milieux rural et agricole. L’artisan et le cultivateur étaient davantage impliqués dans la communauté que le bourgeois. La courbe des vocation a sûrement fléchi avec l’érosion de cette classe sociale".

Faut-il mettre en cause la réforme du concile Vatican II, laquelle aurait altéré la dimension proprement spirituelle de l’Eglise en accordant à l’homme une place prépondérante au détriment du Christ : comment éprouver la Grâce quand le social ombrage le divin et que la religion catholique tourne à la philosophie droit-de-l’hommiste ?

La disparition progressive des leçons de catéchisme dans les écoles a sans doute joué un rôle elle aussi, de même que le dilettantisme de certains "fidèles", qui finissent par fréquenter les églises de manière épisodique : "croyant mais pas pratiquant", est devenu le nouveau credo…

Après tout, une société a le nombre de prêtres qu’elle mérite. Aucune explication n’est privilégiée à une autre. Ce qui menace l’avenir de la prêtrise, c’est un ensemble de raisons historiques, sociologiques, humaines, et spirituelles. (…)

De plus en plus fréquent : des laïcs pour les sépultures

C’est une petite révolution, même si les prêtres s’en défendent. On préfère parler d’évolution, de changement culturel. Désormais, aux quatre coins du département, des laïcs peuvent guider des célébrations de funérailles en l’absence de prêtres ou de diacres, selon les indications données par l’Eglise au canon 230 § 1, et précisées avec le Service diocésain de la liturgie. On les appelle des guides de sépultures laïcs. Mais "il s’agit toujours de sépultures chrétiennes", insiste Maurice Carré, vicaire épiscopal, pour dissiper le doute et les réticences. Il faut dire que l’Evêché a déjà reçu plusieurs lettre de protestations. Certains supportent mal l’idée d’une sépulture sans prêtre et veulent le faire savoir. Avec ce constat étonnant : "les plus choqués sont ceux qui viennent le moins à l’église, ceux qui n’ont pas suivi l’évolution de l’Eglise de l’intérieur", confie Maurice Carré. (…)

Trois quarts des prêtres mayennais ont plus de 70 ans

Les chiffres de ce tableau montrent que les prêtres mayennais sont de plus en plus vieillissants. Sur 190 prêtres séculiers incardinés, seulement 14 ont moins de 60 ans. L’énorme majorité d’entre eux (155) ont plus de 70 ans.

90 ans et plus 12
85 à 89 ans 15
80 à 84 ans 45
75 à 79 ans 45
70 à 74 ans 38
65 à 69 ans 13
60 à 64 ans 8
55 à 59 ans 2
50 à 54 ans 5
45 à 49 ans 1
40 à 44 ans 3
35 à 39 ans 1
30 à 34 ans 2
Moins de 30 ans 0
Total 190

Deuxième étape

Crise de l’Eglise : l’analyse d’un prêtre de la Fraternité Saint-Pie X en Mayenne

"Quand un prêtre a bien dit sa messe, il a fait 80% de son ministère". C’est par ces mots que Mgr Lefebvre en 1962, redonnait courage aux prêtres désemparés du diocèse de Tulle. Pourquoi ?

"En raison de son expérience en Afrique, comme évêque et délégué apostolique (1947-1962), en France comme évêque de Tulle (1962), puis dans le monde entier et au concile Vatican II, en tant que supérieur des Pères du Saint-Esprit (1962-1968), Mgr Lefebvre comprit que la crise de l’Eglise était essentiellement une crise de la foi et du sacerdoce, une crise de l’identité sacerdotale."

"Qu’est-ce que le prêtre ? Le prêtre c’est avant tout un homme de foi, homme de la prière et de la messe, celui qui continue l’œuvre du Salut accomplie au Calvaire. Il est homme de foi en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, foi au sacrifice de la messe, mystère de la charité divine. Le prêtre croit en l’efficacité surnaturelle de la prière et de la messe".

"Or, après la guerre, la foi en cette puissance surnaturelle pour évangéliser s’est amoindrie. On a privilégié des méthodes trop humaines, trop matérielles. On a voulu s’ouvrir au monde, laissant pénétrer dans l’Eglise des idées nouvelles, des comportements nouveaux en désaccord avec la pensée de l’Eglise. Alors on a abandonné ceci, puis cela, pour ne pas déplaire. De concessions en concessions, on s’est éloigné de la foi catholique pour mettre sa foi en l’homme".

"De là vient la crise de l’Eglise. Le pape Paul VI la décrivait ainsi : "L’Eglise se trouve à une heure d’autocritique, mieux vaudrait dire d’autodémolition. (…) L’Eglise en vient, pour ainsi dire à se porter des coups à elle-même" (7 décembre 1968). Il affirmait encore que "quelque part la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu" (30 juin 1972). Le pape Jean-Paul II, de son côté, admettait que "de nombreux chrétiens se sentent perdus, confus, perplexes et même déçus ; des idées contredisant la vérité révélée et enseignée depuis toujours, ont été répandues à pleines mains ; de véritables hérésies ont été propagées dans le domaine dogmatique et moral" (6 février 1981).

Face à cette crise que faire ?

"En 1968, Mgr Lefebvre est à Rome, avec une petite valise et juste de quoi vivre. Des prêtres, des séminaristes viennent le trouver : aidez-nous, faites quelque chose ! Il rencontre l’évêque de Fribourg, et, sur son conseil, rédige les statuts de la Fraternité Saint-Pie X ; laquelle est canoniquement approuvée le 1er novembre 1970".

"C’est donc une œuvre d’Eglise, toute au service de la foi et du sacerdoce : "orienter et réaliser la vie du prêtre vers ce qui est essentiellement sa raison d’être : le Saint Sacrifice de la messe" disent les statuts."

"C’est ainsi que prend naissance le séminaire d’Ecône, d’où partiront des prêtres formés selon l’esprit de l’Eglise. Ils sont actuellement plus de 400 qui visitent 62 pays. Ils vivent en communauté de deux ou trois prêtres avec quelques frères, se soutenant ainsi mutuellement. Leurs journées sont rythmées par quatre temps de prière, par l’étude et les différentes tâches que leurs supérieurs leur confient".

"Des fidèles de tous pays, comme actuellement des pays de l’Est, d’Afrique du sud ou en Inde, de jeunes prêtres diocésains, des communautés religieuses, des évêques même, comme Mgr Lazo, aux Philippines, s’intéressent à la Fraternité Saint-Pie X, font appel à elle ou viennent vers elle".

Pourquoi ?

"Parce qu’on a changé la foi et la messe. Partout, ce sont les mêmes faits : les églises se vident, les séminaires et les communautés religieuses aussi. Partout les mêmes constatations : "on nous change la religion".

Des évêques ne croient plus en la divinité de Jésus-Christ. Les catéchismes n’expriment plus la foi de toujours. Qui croit encore à l’existence de l’enfer ? Qui sait ce qu’est le péché, une offense à l’amour divin et que Jésus-Christ a réparée en souffrant et en mourant sur la croix ?

"Qui croit que la messe renouvelle le sacrifice de Jésus en croix et nous en communique les fruits du Salut ? La Sainte Vierge elle-même n’est-elle pas méprisée par ceux qui ne croient pas en son immaculée Conception, à sa virginité perpétuelle et à sa maternité spirituelle à l’égard de toutes nos âmes ?

"C’est pourquoi partout dans le monde, et particulièrement en France, s’est organisée une résistance à toutes les nouveautés pour sauvegarder la foi, pour préserver le sacerdoce."

"Les idées nouvelles introduites au concile Vatican II, et l’instauration de la messe en 1969, ont été les premiers motifs de cette résistance. Peut-on changer la foi ? Peut-on changer notre religion ? Les vérités que Jésus-Christ nous a enseignées, les commandements qu’il nous a demandé d’observer, les secours de sa grâce qu’il nous communique par les sacrements et la messe, en un mot, tout ce que Jésus-Christ a établi en fondant son Eglise, ne peut pas changer. Il n’est pas au pouvoir d’aucune autorité terrestre, aussi haut soit-elle placée, de changer ou modifier quoi que ce soit de ce que Jésus-Christ a fait".

"L’Eglise d’ailleurs nous l’a rappelé, au premier concile du Vatican, en 1870 : "le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi".

"Et Saint Paul lui-même nous affirme : "Quand nous-même, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre Evangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème" (Galates 1, 8).

"Par fidélité, par devoir, la résistance s’est donc organisée. Pour garder la messe de leur ordination, et ne pas dire la nouvelle, des prêtres ont souffert persécutions et mauvais traitements. D’autres sont morts de chagrin. C’est encore par fidélité, et pour sauver la foi, que Mgr Lefebvre a consacré quatre évêques en 1988, sans aucun esprit de rébellion à l’autorité papale.

"Il fallait du courage pour résister et demeurer fidèle. Il en faut lorsque l’on se rend compte qu’on a fait fausse route et qu’il faut rebrousser chemin. Des évêques, des prêtres, des fidèles ont eu ce courage, pourquoi pas d’autres ? Mgr Lazo, évêque aux Philippines, expliquait qu’il avait été obéissant, puis il avait étudié, beaucoup lu, réfléchi et surtout prié la Sainte Vierge. Il est revenu à la Tradition et à l’ancienne messe et s’en est expliqué au Saint-Père."

"Au prieuré du Moulin du Pin, à la chapelle de Laval, nous voyons les fruits de la fidélité à la foi catholique de toujours, les fruits du sacrifice de la messe : des âmes heureuses d’aimer Jésus-Christ et sa Sainte Mère, des familles exemplaires".

Et le prêtre de conclure : "Il faut du courage pour demeurer fidèle, c’est vrai, mais l’Esprit-Saint ne peut-il susciter un grand amour de Jésus et une grande force pour vaincre les obstacles ? La Sainte Vierge n’est-elle pas une mère pleine de bonté, toujours prête à venir en aide à ceux qui se confient en elle ?"

(Le Courrier de la Mayenne, 13/2/03)

Mgr Maillard réagit à notre enquête sur la crise des vocations

"L’article qui donne très abondamment la parole et le dernier mot au père du Châtelet entretient la confusion : on parle de traditionalistes, de Fraternité Saint-Pie X sans vraiment définir ce que l’on met sous ces mots", note Mgr Maillard à propos de l’article du 13 février.

Ainsi, participer à une messe célébrée par un membre de la Fraternité c’est "poser un acte de rupture avec l’Eglise, c’est refuser l’enseignement du concile Vatican II sur des points essentiels : liberté religieuse, œcuménisme, messe, autorité du Pape dans l’Eglise et des évêques dans leur diocèse", explique l’évêque de Laval. Le père Tonnelier va plus loin en soulignant qu’un "catholique fidèle ne peut recourir aux ministères de ces prêtres. Il pourrait être passible de sanctions canoniques".

"C’est une erreur (…) Il n’y a pas une "expression de foi" de toujours. La foi est vécue comme une nouveauté perpétuelle, source de vie. La foi s’incarne dans l’Histoire. La religion traverse le temps des hommes, et s’inscrit dans l’histoire propre de chaque homme. Elle est un dialogue entre l’Eglise et le monde. La question des vocations est donc à restituer par rapport à chaque époque. Les séminaristes, les religieux sont des hommes qui vivent leur foi dans leur temps".

(Le Courrier de la Mayenne, 25/2/03)