Un évêque roumain relate la situation difficile des catholiques
Quatre ans après la visite historique de Jean-Paul II dans ce qui fut le premier pays à majorité orthodoxe à recevoir un pape, les prélats de rite grec-catholique sont plutôt pessimistes. Interrogé par lApic, Mgr Florentin Crihalmeanu, évêque du diocèse grec-catholique de Cluj-Gherla, dénonce en particulier la volonté orthodoxe d"annuler" les racines catholiques du pays. Sur les 10% de catholiques que compte la population roumaine, la moitié est de rite grec-catholique et vit principalement à louest du pays. Nous citons ici de larges extraits de lApic.
"Apic: Après la visite de Jean Paul II en 1999, puis celle du patriarche orthodoxe Teoctist en octobre dernier au Vatican, les relations cuméniques semblent pourtant sur la bonne voie
Mgr Crihalmeanu: La Roumanie est actuellement sous pression car elle désire entrer au sein de lUnion européenne. Le gouvernement, pour faire bonne figure, est donc obligé de voter des lois qui donnent limpression dune unité nationale, en particulier en faveur des grecs-catholiques. Cest ainsi quà la fin de lannée 2002, une loi assurant la restitution aux grecs-catholiques de tous les biens nationalisés a été votée. Mais si vous regardez de près le texte, vous vous rendez compte quen réalité, le gouvernement a instauré une commission afin détudier la possibilité de rendre une partie des 220 édifices scolaires qui nous avaient été confisqués par le régime communiste au profit de lEglise orthodoxe en 1948. Même si ce geste peut être considéré comme un bon début, la loi ne parle pas des 537 églises et chapelles ni des 387 maisons paroissiales qui nous appartenaient avant 1948. Actuellement, nous avons récupéré seulement 19 de ces églises et 6 des maisons. Quant aux trois monastères catholiques, ils sont définitivement propriétés de lEglise orthodoxe.
Apic: Quel rôle jouent les orthodoxes dans cette affaire ?
Mgr Crihalmeanu: On sent sur nous une très forte pression de la part de lEglise orthodoxe. Chaque mois, le ministère roumain des Affaires religieuses nous demande un rapport sur nos activités. Or la plupart des membres de ce bureau sont des orthodoxes. Ils suivent donc de près tout ce que nous faisons. Ils ont peur que la restitution éventuelle de nos biens nous fasse devenir plus forts. Leur objectif est de faire mourir lentement la foi catholique en sattaquant aux jeunes générations. Ceux qui ont vécu à lépoque du communisme ont été obligés de se faire baptiser dans lEglise orthodoxe. Peu dentre eux ont conservé le sens de leur foi et si les grands-parents ne sont pas là pour dire la vérité, ils finissent par perdre complètement la foi.
Apic: Comment réagit lEglise catholique?
Mgr Crihalmeanu: Nous essayons de faire prendre conscience que cette situation dinjustice nest pas normale. Il nest pas admissible quun pays qui reconnaît 14 cultes nous force à célébrer la messe dans les cimetières ou dans les maisons alors quil y a des églises fermées à quelques mètres de chez nous. On na pas le droit de juger une personne selon sa foi. Il est déjà arrivé par exemple quune personne se déclare catholique au sein dune paroisse orthodoxe. Le prêtre la alors menacée de ne plus lui donner la bénédiction, ou encore de ne plus enterrer ses parents, ce qui est très important pour un Roumain. Il finit par y avoir une forte hostilité envers les catholiques. Pour empêcher cela, nous avons lancé une campagne de construction déglises afin de pourvoir à nos besoins. Aujourdhui, nous en avons déjà construit 32 et 18 sont en cours de construction. Dans les endroits où nous avons une nouvelle église, nous avons laissé sans aucun problème lédifice qui nous avait été confisqué aux orthodoxes. Le problème cest quil ny a aucune réciprocité, car les orthodoxes, qui se sont également mis à construire des édifices religieux, plutôt que de nous rendre nos églises, les détruisent au fur et à mesure. Leur méthode est très simple: ils commencent par élever un mur tout autour de léglise. Une fois que celle-ci ne se voit plus, ils la détruisent et finissent de construire la leur! Ils veulent annuler complètement les racines catholiques du pays et réécrire lhistoire de la Roumanie avec une sérénité étonnante.
Apic: La visite de Jean-Paul II en 1999 na-t-elle pourtant pas permis une ouverture dans le dialogue cuménique ?
Mgr Crihalmeanu: La visite du pape a été un moment extraordinairement beau et profond. Mais jusquà quel point? Cest la question que nous nous posons aujourdhui. Il est vrai que le dialogue entre les deux Eglises a avancé. Ainsi, les paysans orthodoxes qui nétaient jamais sortis de leurs villages et qui accusaient le pape dêtre le représentant du diable, ont pu se rendre compte quil nen était rien. Certains, voyant Jean-Paul II et le patriarche Teoctist se serrer la main ont même été jusquà penser que les deux chefs religieux avaient fait la paix et étaient parvenus à un accord entre les deux Eglises. Mais dès le lendemain de la visite pontificale, les hauts responsables hiérarchiques orthodoxes sont intervenus pour rappeler que rien navait changé. Selon moi, ils ne voulaient prendre aucun risque.
Apic: Et quest devenue la Commission mixte créée en 1998, ayant permis la première visite dun pape dans un pays à majorité orthodoxe?
Mgr Crihalmeanu: Nous avons été déçus de la participation orthodoxe. Il ny avait aucun fondement dans leurs discours, mais plutôt des idées quils cherchaient à nous imposer. Je ne pense pas quils soient véritablement prêts à discuter, à parler de chrétien à chrétien. Pour nous, le mot "cuménisme" est devenu un mot prétentieux."