Voyage apostolique du pape en République tchèque

Du 26 au 28 septembre 2009, Benoît XVI a effectué en République tchèque son 13e voyage apostolique à l´étranger, en réponse à une invitation du président Václav Klaus. Vingt ans après la chute du régime communiste dans le pays lors de la « Révolution de velours », le pape s’est rendu à Prague, à Brno capitale de la Moravie ainsi qu´à Stará Boleslav, lieu du martyre de saint Wenceslas, patron de la Tchéquie. Dans ce pays marqué par l´athéisme, 60 % de la population tchèque se déclare sans confession en 2009, mais près de 70 % de la population slovaque est catholique.
Selon les données du Bureau central des statistiques de l´Eglise actualisées au 31 décembre dernier, la République tchèque compte 3.290.000 catholiques sur 10.380.000 d’habitants, soit 31,7 % de la population contre plus de 80 % de la population avant le régime communiste (1945-1989). Ils sont répartis en 9 diocèses, 2.576 paroisses et 70 autres centres pastoraux. L'Eglise catholique tchèque compte 20 évêques, 1.956 prêtres, 1.725 religieux, 160 laïcs consacrés et 1.109 catéchistes. Les 79 structures éducatives catholiques, de la maternelle à l'université, regroupent 15.977 élèves et étudiants. L'Eglise possède et gère 50 hôpitaux, 98 dispensaires, 134 maisons de retraite, 59 orphelinats et garderies, 170 centres d'information familiale ou de formation sociale, et 28 autres structures diverses. On compte par ailleurs 184 séminaristes. Les ordinations sacerdotales sont, chaque année, de moins en moins nombreuses.
Le régime communiste tchécoslovaque, en place de 1945 à 1989, a organisé un important programme de déchristianisation des populations tchèque et slovaque sur cette terre évangélisée grâce au travail missionnaire des saints Cyrille et Méthode, au IXe siècle, qui transcrivirent pour la première fois l'ancienne langue slavonne. A l´occasion de ce voyage, la délicate question de la restitution des biens de l´Eglise confisqués par le régime communiste sera évoquée à huis clos.
Samedi 26 septembre
A bord de l’avion
Le pape était accompagné d´une trentaine de personnes de sa suite, parmi lesquelles ses secrétaires particuliers, le cardinal Tarcisio Bertone secrétaire d´Etat du Saint-Siège, et Mgr Fernando Filoni substitut pour les affaires générales de la Secrétairerie d´Etat. Egalement le cardinal italien Giovanni Coppa, âgé de 83 ans, qui fut nonce apostolique en Tchécoslovaquie de juin 1990 à la partition du pays, le 1er décembre 1993, date à laquelle il fut nonce en République tchèque et en Slovaquie et, enfin nonce à Prague de mars 1994 à mai 2001.
Interrogé sur le rôle de l´Eglise désormais minoritaire dans les sociétés sécularisées, Benoît XVI s’est adressé aux 50 journalistes présents et a affirmé que « ce sont normalement les minorités créatives qui déterminent l´avenir ». « En ce sens, a poursuivi le pape, l´Eglise catholique doit être considérée comme une minorité créative qui a un héritage de valeurs qui ne sont pas dépassées mais qui sont très vives et actuelles ». « Elles doivent actualiser et inscrire dans le débat public notre lutte pour un véritable concept de liberté et de paix, et contribuer ainsi en divers domaines, à commencer par le dialogue intellectuel entre agnostiques et croyants », a affirmé le pape. Agnostiques et croyants, a soutenu le pape « ont besoin les uns des autres ».
« Au siècle passé, a aussi affirmé Benoît XVI, la République tchèque a souffert d´une dictature communiste particulièrement rigoureuse mais aussi avec une résistance autant catholique que laïque ». Il a évoqué de grandes figures tchèques comme Václav Havel ou le cardinal Frantisek Tomasek, mort en 1992, qui « ont donné à l´Europe un message sur la liberté ». Les pays du communisme, a encore soutenu Benoît XVI, « ont particulièrement souffert durant la dictature, mais, dans la souffrance, sont apparus des concepts de liberté qui sont d´actualité et doivent être mis en oeuvre aujourd´hui plus encore ». Ces concepts de « vérité » et de « liberté » qui « ont mûri durant la dictature ne doivent pas être perdus », a encore soutenu le souverain pontife. Le pape a aussi été interrogé sur sa récente encyclique Caritas in veritate. Il s´est dit satisfait de la « discussion » ouverte par ce texte magistériel et a invité à « trouver des nouveaux modèles pour une économie responsable ».
A Prague
A l´aéroport Stara Ruzyne de Prague, Benoît XVI a été accueilli, en fin de matinée, par le président de la République tchèque, Václav Klaus, le cardinal Miloslav Vlk, archevêque de Prague, et Mgr Jan Graubner, archevêque d'Olomouc et président de la Conférence épiscopale. Il a reçu en cadeau, des mains d´un jeune couple en costume traditionnel, des symboles du pays : du pain, du sel et de la terre. Le pape a alors prononcé son premier discours sur le sol tchèque, répondant au discours du président Klaus.
« Je m´unis à vous et à vos voisins en rendant grâce pour votre libération de ces régimes oppressifs », a affirmé Benoît XVI sur le tarmac de l´aéroport pragois. « Si l´effondrement du mur de Berlin (9 novembre 1989) a marqué un tournant décisif dans l´histoire mondiale, il en fut plus encore ainsi pour les pays de l´Europe centrale et orientale », a déclaré le souverain pontife. « Dans quelques mois, a-t-il poursuivi, aura lieu le 20e anniversaire de la Révolution de velours, qui, heureusement, mit fin pacifiquement à une période d´épreuve particulière pour votre pays, période durant laquelle la circulation des idées et des courants culturels étaient sévèrement contrôlée ». Le coût de 40 ans de répression politique n´est pas à sous-estimer, a précisé le pape, en voyant « un drame particulier » dans la « tentative impitoyable du gouvernement de l´époque de réduire l´Eglise au silence ». « Maintenant que la liberté religieuse a été rétablie, a-t-il souligné, je fais appel à tous les citoyens de la République tchèque pour qu´ils redécouvrent les traditions chrétiennes qui ont façonné leur culture et j´invite la communauté chrétienne à continuer à faire entendre sa voix tandis que la nation affronte les défis du nouveau millénaire ». Benoît XVI a alors rappelé « combien la culture tchèque est profondément imprégnée de christianisme ».
Aux pieds de la statue de l´Enfant-Jésus de Prague
Le pape a ensuite rejoint en voiture couverte l´église de Sainte-Marie-de-la-Victoire construite au XVIIè siècle, au centre de Prague. Après avoir été accueilli par le maire de la capitale tchèque devant l´édifice, le pape est allé vénérer l´Enfant-Jésus de Prague avant de lui remettre une couronne d´or et d´argent portant ses armes.
A cette occasion, Benoît XVI s’est adressé aux nombreux enfants avec leurs familles réunis dans l’église : « Nous demandons à l'Enfant Jésus le don de l'unité et de la concorde pour toutes les familles. Nous pensons spécialement aux jeunes familles qui doivent faire tant d'efforts pour assurer à leurs enfants la sécurité et un avenir digne. Nous prions pour les familles en difficulté, éprouvées par la maladie et par la souffrance, pour celles qui traversent une crise, qui sont séparées ou meurtries par la mésentente et l'infidélité. Nous les confions toutes au saint Enfant de Prague, sachant combien est importante leur stabilité et leur bonne entente pour le vrai progrès de la société et pour l'avenir de l'humanité ».
Puis il a souligné que chaque personne humaine devait être considérée « non pour ce qu´elle a mais pour ce qu´elle est (...) sans distinction de race et de culture ». Cela vaut par-dessus tout pour les enfants, a alors soutenu Benoît XVI. « Combien d´enfants, au contraire, ne sont pas aimés, ni accueillis, ni respectés ! Combien sont victimes de la violence et de toute forme d´exploitation de la part de personnes sans scrupules ! », s´est désolé le souverain pontife. « Puissent être réservés à ces petits le respect et l´attention qui leur sont dus : les enfants sont l´avenir et l´espérance de l´humanité », a-t-il affirmé.
Le Saint-Père a conclu en saluant tous les enfants venus l'entourer, qu'il a encouragé à prier pour leurs parents, leurs enseignants, leurs amis et pour lui également, et leur a souhaité d’être « obéissants, délicats et affectueux ».
Au château Hradcany
A 16 h 30, le président de la République tchèque a accueilli le Saint-Père au château Hradcany, jadis résidence des empereurs du Saint-Empire romain, des rois de Bohème et des gouverneurs. Depuis 1918, la citadelle, qui renferme aussi des musées, est le siège de la présidence de la République. Après s'être entretenu avec le chef de l'état, Benoît XVI a rencontré le Premier Ministre, Jan Fisher, ainsi que les présidents du Sénat et de la Chambre.
Dans son discours aux autorités politiques et administratives du pays, au corps diplomatique, recteurs des universités et plusieurs personnalités du monde de l'entreprise et des milieux de la culture tchèque, le pape a rappelé que ce voyage coïncidait « avec le 20e anniversaire de la chute des régimes totalitaires de l'Europe centrale et orientale, et de la Révolution de velours qui a restauré la démocratie dans ce pays ». S´il a ensuite salué la poursuite du « processus de guérison et de reconstruction » 20 ans après les profonds changements politiques qui ont balayé le continent, Benoît XVI a mis en garde : « Les aspirations des citoyens et les attentes placées dans les gouvernements appellent de nouveaux modèles de vie citoyenne et de solidarité entre les nations et les peuples sans lesquels l´avenir si longtemps désiré de justice, de paix et de prospérité restera illusoire ». « Chaque génération a le devoir de s´engager à nouveau dans la difficile tâche d´ordonner de façon juste les affaires humaines, cherchant à comprendre le juste usage de la liberté humaine », a encore soutenu Benoît XVI. « La vraie liberté, a expliqué le Saint-Père, présuppose la recherche de la vérité, du vrai bien, et, de là, trouve précisément son accomplissement en connaissant et en faisant ce qui est opportun et juste. En d'autres termes, la vérité est la norme menant à la liberté et la bonté est sa perfection. (...) Pour les chrétiens, la vérité a un nom : Dieu. Et la bonté a son visage : Jésus Christ ».
Dans ce contexte, Benoît XVI est revenu une nouvelle fois sur « la fidélité » de l´Europe à « ses racines chrétiennes ». Il n´a pas hésité à encourager le peuple tchèque et les responsables politiques et diplomatiques européens à puiser leur « inspiration » dans l´« héritage vivant » des valeurs du christianisme. « La liberté trouve son sens le plus profond dans une patrie spirituelle », a encore expliqué le pape avant de lancer : « Avec un respect entier pour la distinction entre le domaine politique et celui de la religion - qui garantit la liberté des citoyens d´exprimer leur croyance religieuse et de vivre en conformité avec elle - je souhaite souligner le rôle irremplaçable du christianisme pour la formation de la conscience de chaque génération et la promotion d´un consensus éthique de base qui est utile à toute personne qui appelle ce continent ‘ma maison´ ! »
Après ce discours, le Saint-Père s'est rendu en la cathédrale, dédiée aux saints Guy, Wenceslas et Adalbert pour y célébrer les vêpres.
A la cathédrale Saint-Guy
A 18 h, le Pape a présidé les vêpres en la cathédrale de Prague, entouré des évêques tchèques, de prêtres, de séminaristes, de religieux et consacrés laïques venus de tout le pays. « Vos communautés, a lancé le pape devant plus de 2.000 membres de l´Eglise catholique tchèque, après le long hiver de la dictature communiste, ont recommencé à s´exprimer librement il y a 20 ans quand votre peuple, avec les évènements qui se sont mis en route à partir de la manifestation étudiante du 17 novembre 1989, a retrouvé sa propre liberté ». Le pape a cependant relevé que même aujourd´hui, dans une société censée être libre, « il n´est pas facile de vivre et de témoigner de l´Evangile ». « La société actuelle, a-t-il continué, porte encore les blessures causées par l´idéologie athée et elle est souvent fascinée par la mentalité moderne d´une consommation hédoniste, avec une dangereuse crise des valeurs humaines et religieuses et la dérive d´un relativisme éthique et culturel déferlant ». « Dans ce contexte, un engagement renouvelé de la part de toutes les composantes ecclésiales pour renforcer les valeurs spirituelles et morales dans la vie de la société actuelle est devenu urgent », a souligné Benoît XVI. « Votre activité pastorale embrasse le domaine de l'éducation des générations nouvelles », a rappelé le souverain pontife.
Le pape a répété que l´Eglise ne demande pas des privilèges, mais « demande seulement de pouvoir œuvrer librement au service de tous et dans un esprit évangélique ». Benoît XVI, cependant, n´a pas fait de claire allusion à la bataille juridique qui a, récemment encore, opposé le chapitre de la cathédrale à la présidence de la République pour savoir à qui, de l´un ou de l´autre, revient la propriété de l´édifice gothique situé au coeur du château de Prague. Dans un premier jugement, l´édifice confisqué par le régime communiste avait été restitué à l´Eglise en septembre 2006. Il est ensuite redevenu propriété de l´Etat en février 2007 après un jugement de la Cour suprême. En mai 2009, un deuxième jugement de cette même cour a confirmé cette décision, contestée par l´Eglise locale.
En novembre 2005, Benoît XVI avait plus particulièrement évoqué la question des biens de l´Eglise en recevant les évêques tchèques au Vatican. « L’Eglise ne cherche pas de privilèges, avait alors déclaré le pape, mais seulement à pouvoir remplir sa mission. Quand ce droit vient à lui être reconnu, en vérité, c´est la société tout entière qui en tire avantage. » En septembre 2008, en recevant le nouvel ambassadeur tchèque près le Saint-Siège, le pape avait clairement affirmé : « Toute la société tire bénéfice du fait que l´Eglise puisse avoir le droit d´exercer la gestion des biens matériels et spirituels nécessaires à son ministère. On trouve dans votre pays des signes de progrès dans ce domaine, mais beaucoup reste encore à faire. Je suis certain que les commissions spéciales mises en place par votre gouvernement et votre parlement pour résoudre les questions en cours relatives aux biens ecclésiaux progresseront avec honnêteté, justice et avec la reconnaissance authentique de la capacité de l´Eglise à participer au bien-être de la République. Je souhaite en particulier que ces considérations soient clairement présentes au moment de trouver une solution au sujet de la cathédrale de Prague, qui s´élève comme un témoignage vivant du riche héritage culturel et religieux de votre pays, et témoigne de la coexistence harmonieuse de l´Eglise et de l´Etat ».
Les deux autres journées du voyage de Benoît XVI en République tchèque, dimanche 27 et lundi 28 septembre, seront relatées et l’ensemble de son séjour sera analysé dans le prochain DICI (n°203) à paraître le 17 octobre 2009.