
Le 2 mars 2020, le Saint-Siège a ouvert aux chercheurs les archives du pontificat de Pie XII (1939-1958) : 85 historiens américains, israéliens, allemands, italiens, français, russes, espagnols ou sud-américains peuvent déjà se pencher sur 150.000 dossiers triés et classés. Une vingtaine de responsables des archives du Vatican, assistés par des diplômés de l’Ecole vaticane de paléographie, de diplomatique et d’archivistique, ont effectué un patient travail de tri, de recensement et d’inventaire des très nombreux documents, pendant 13 ans.
Les historiens pourront ainsi mieux analyser la richesse de son pontificat, expliquait Mgr Sergio Pagano, préfet des Archives secrètes du Vatican, dans un article paru dans L’Osservatore Romano, des 4-5 mars 2019. La date du 2 mars coïncide avec le 80e anniversaire de l’accession au trône de Pierre du cardinal Eugenio Pacelli, élu le 2 mars 1939, rappelait-il. La « grande figure » de Pie XII a été « trop superficiellement » jugée et critiquée pour certains aspects de son pontificat, déplorait le préfet des Archives secrètes du Vatican. Aux côtés des archives secrètes, seront ouvertes les archives de la section pour les relations avec les Etats de la Secrétairerie d’Etat, mais aussi celles de la Congrégation pour la doctrine de la foi, de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, ou encore de la Congrégation pour les Eglises orientales. De même, les chercheurs auront accès aux archives de la Fabrique de Saint-Pierre – pour la gestion et l’entretien de la basilique Saint-Pierre –, ainsi qu’à d’autres archives historiques des dicastères, « à la discrétion de leurs supérieurs ».
Mgr Sergio Pagano avait également réagi aux accusations de certains journaux prétendant que le Vatican cherchait à dissimuler des agissements du défunt pape. En dévoilant des archives, il n’est pas possible de « cacher » des choses, déclarait-il. Les Archives du Vatican sont d’abord « au service » de la science et de la culture. « Aucun document n’a été détruit ou éliminé, contrairement à ce qui a pu être dit dans la presse », assurait le prélat.
Johan Ickx, responsable des archives historiques de la section pour les rapports avec les Etats de la Secrétairerie d’Etat, affirme pour sa part, dans L’Osservatore Romano du 2 mars 2020, que ce trésor recèle des « preuves » de l’aide apportée par le pape aux juifs pendant la guerre. Par exemple, 170 dossiers dans sa seule section d’archives, mentionnent les noms de 4000 juifs qui ont été aidés par le Vatican. Egalement, des documents d’accusation produits par le gouvernement fasciste de Mussolini apportent la preuve que Mgr Alfredo Ottaviani, alors assesseur à la Sacrée Congrégation du Saint-Office, avait accordé de faux papiers à des juifs et les avait abrités dans des bâtiments pontificaux extraterritoriaux.
De nombreuses questions expliquant le « prudent » silence de Pie XII trouvent ainsi leurs réponses dans les archives dévoilées, poursuit l’archiviste. Elles permettent de voir la volonté du pape d’éviter toute réaction susceptible de provoquer les nazis et fascistes à plus d’exactions et de violences envers les communautés catholiques et juives.
En réponse à Johan Ickx, le grand-rabbin de Rome Riccardo Di Segni s’est élevé contre un « sensationnalisme très suspect », dans un entretien accordé à l’ANSA le 3 mars 2020. Il met en garde contre les « conclusions faciles » accompagnant l’ouverture des archives, et demande de « laisser les historiens faire leur travail ». Mais avant même la publication de leurs travaux, Riccardo Di Segni affirme être assuré de la culpabilité du pape italien dans certains cas. Selon lui, Pie XII ne serait intervenu pour tenter de sauver les juifs du ghetto de Rome que parce que certains d’entre eux étaient baptisés.

« Pie XII, controverses instrumentales, sainteté évidente »
Sous ce titre, le site italien La Nuova Bussola Quotidiana, publiait le 5 mars un entretien avec Emilio Artiglieri, avocat de la Curie romaine et président du Comité Pape Pacelli - Association Pie XII.
Au sujet des déclarations controversées, comme celle du grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, selon laquelle Pie XII n’avait aucune volonté d’arrêter le train des déportés, Emilio Artiglieri répond : « C’est précisément à la lumière d’une vision complète du pontificat de Pacelli que l’on peut mieux comprendre sa personnalité et son travail. Dire que le pape n’avait pas l’intention de sauver les juifs est très grave, car ce n’est pas seulement un jugement historique, mais un jugement moral. Que Pie XII ait été absolument insensible à la souffrance des juifs est une chose que, à la fois les archives nouvellement ouvertes, mais aussi la documentation déjà connue et les meilleures biographies, réfutent clairement. [Paul VI avait déjà ouvert les Archives à certains historiens, dont le P. Pierre Blet s.j., pour rétablir la vérité à partir des documents originaux. NDLR]
« Si vous puisez dans ces sources, vous pouvez constater que Pie XII était un homme très sensible et très tourmenté, qui s’est retrouvé face à des cas de conscience très délicats, devant lesquels il s’est demandé : parler ou ne pas parler ? Le silence, en soi, peut être une omission coupable, mais, dans bien des cas, le silence peut coopérer au bien des autres. Le pape lui-même était conscient que, par la suite, quelqu’un pouvait exploiter son propre silence contre lui, mais c’est toujours la voie qu’il a choisie pour éviter de nouvelles tragédies et sauver la vie de milliers de juifs. A cela, il faut ajouter que la doctrine catholique est intrinsèquement incompatible avec les idées du national-socialisme. Les nazis considéraient l’Eglise comme une ennemie, et il est bien connu que Pie XII lui-même a effectué des exorcismes contre Hitler. Alors, comment penser à une connivence entre le pape Pacelli et le nazisme ? »
A la fin de la guerre, et à sa mort en 1958, les hommages au pape Pie XII sont quasi unanimes, en particulier de la part de juifs et de l’Etat d’Israël. Seule Radio Moscou dénonce le prétendu silence du pape face aux crimes nazis dès 1945. Et c’est en 1963 la pièce du dramaturge allemand Rolf Hochhut, intitulée Le Vicaire, qui établira la « légende noire » de Pie XII. Présentée au moment du concile Vatican II, cette œuvre de fiction traduite et jouée dans de nombreux pays rencontra un grand succès.
Sur les motifs à l’origine de cette légende noire, Emilio Artiglieri précise que s’ils sont nombreux : « on peut cependant dire que la raison dominante était l’action des services secrets soviétiques, visant à soutenir la thèse du dramaturge allemand Rolf Hochhuth qui, dans sa pièce Le Vicaire, représentait Pacelli comme un être absolument froid et indifférent au sort des juifs. Il est clair que derrière tout cela, il y a un contexte historique dans lequel Pie XII était considéré comme un symbole de l’Eglise du passé, liée à des principes dépassés, avec lesquels certains voulaient rompre tout lien. »