Le chemin synodal vers une Eglise nationale allemande (8) : la réaction de la Curie

Source: FSSPX Actualités

La Conférence épiscopale allemande (DBK) et le Comité central des catholiques allemands (ZdK) ont commencé un « chemin synodal » le dimanche 1er décembre 2019. Les articles précédents ont montré l’intention révolutionnaire qui anime la DBK épaulée par le ZdK. Le pape François est intervenu le 29 juin 2019 par une Lettre à l’Eglise d’Allemagne. La Curie a réagi à son tour. 

Il faut toutefois mentionner que les membres de la Curie n’étaient pas les seuls à s’inquiéter : des évêques allemands, sans faire véritablement bande à part, ont été très critiques. 

Une fausse unanimité 

Dans son communiqué du 13 mars 2019 annonçant la mise en place du chemin synodal, le cardinal Reinhard Marx avait déclaré que la décision des évêques avait été unanime, mais c’était un mensonge. Quatre évêques en effet s’étaient désolidarisés. Ils ne se sont pas fait prier pour le dire. 

Mgr Konrad Zdarsa, évêque d’Augsbourg, qui fêtait ses 75 ans le 7 juin dernier, donna un entretien à l’occasion de sa démission – le droit canonique prévoit en effet qu’un évêque remette sa démission au Saint-Siège à 75 ans. Interrogé sur le “chemin synodal”, il n’a pas pratiqué la langue de buis : 

« Je rejette catégoriquement ce terme de “chemin synodal”. D’après l’étymologie, c’est une tautologie, un non-sens. De plus, j’estime qu’il s’agit d’une “fraude à l’étiquette” ». Le journaliste s’étonne : « N’avez-vous pas appuyé la décision ? » La réponse fuse : « Non, je me suis visiblement abstenu lors du vote, qui s’est malheureusement déroulé à main levée ». La réponse éclaire quelque peu les dessous de cette prise de décision. Il a enfin déclaré : « Il ne peut y avoir de renouveau de l’Église que par la conversion personnelle, le recours à Dieu et une vie de foi et de sacrements ». 

Mais Mgr Zdarsa n’a pas été le seul opposant. Deux autres se sont nettement manifestés. L’évêque de Ratisbonne, Mgr Rudolf Voderholzer, qui s’est aussi abstenu, a eu des mots très durs contre le “chemin synodal” : « Un processus synodal, qui a pour but de réinventer toute l’Eglise, s’engage sur la voie de la destruction ». Voilà qui a le mérite d’être clair. 

Quant au cardinal Rainer Maria Woelki, archevêque de Cologne, autre abstentionniste, il n’a pas hésité à déclarer que « cette voie comporte de grands dangers » et d’ajouter « qu’une Eglise nationale allemande est en train d’émerger ». 

La déclaration après la conférence conjointe de la DBK et du ZdK (5 juillet 2019) 

Mais ces avertissements n’ont pas entravé la marche synodale. Le 5 juillet, à l’issue de la conférence conjointe entre évêques et membres du ZdK, le cardinal Reinhard Marx et le Pr Thomas Sternberg, président du ZdK publiaient un communiqué « réaffirmant le chemin décidé ». Et ils annonçaient les étapes à venir : « Notre calendrier commun prévoit que nous déciderons de la forme exacte de la voie synodale en septembre et novembre lors des assemblées plénières respectives de la Conférence épiscopale allemande et du ZdK. » 

Les deux compères se sont également appuyés sur la Lettre du pape François au peuple de Dieu pèlerin en Allemagne : « Nous la comprenons comme une ligne directrice, un encouragement et une mission d’avancer ensemble sur le chemin synodal et de chercher sincèrement des réponses à nos questions existentielles et aux questions concrètes du futur, de chercher des défis, en particulier pour sortir de la crise causée par les abus sexuels ». 

La Curie critique le projet des Statuts du chemin synodal 

Le 4 septembre dernier, le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, faisait parvenir un courrier au cardinal Marx. Il contenait une analyse du projet de Statuts du chemin synodal effectuée à sa demande par le Conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs. 

Il faut savoir que tout concile ou synode est muni d’un règlement spécifique adapté à sa situation particulière, mais ses éléments essentiels sont définis par le droit de l’Eglise. Ainsi, le concile Vatican II avait un règlement particulier qui fut modifié plusieurs fois durant son déroulement, sous la pression de l’aile libérale, afin d’atteindre ses objectifs progressistes. 

Le jugement du Conseil pontifical est très instructif. Sa critique vise essentiellement trois points. 

La fin visée par le chemin synodal est illégitime 

Les sujets qui doivent être débattus durant les deux années du chemin synodal sont réunis en quatre thèmes : “Pouvoir, participation et séparation des pouvoirs”, “Morale sexuelle”, “Mode de vie sacerdotale”, “Les femmes dans les ministères et les offices de l’Eglise”. Or, raisonne le conseil pontifical, « il est évident que ces sujets ne concernent pas seulement l’Eglise en Allemagne, mais l’Eglise universelle, et que ces sujets – à quelques exceptions près – ne peuvent faire l’objet de résolutions et de décisions d’une Eglise particulière ». Ceci est expressément prévu par le droit. 

De plus, le ZdK a accepté de participer à la voie synodale « pour autant que l’ouverture de la consultation et le caractère contraignant des décisions soient garantis » (Protocole, p. 1, n°3). Comment une Eglise particulière peut-elle prendre des décisions contraignantes « lorsque les questions traitées concernent l’Eglise universelle ? » 

Le chemin synodal est un concile particulier qui refuse de dire son nom 

Le Conseil pontifical poursuit en constatant qu’« il ressort clairement des articles du projet de Statuts que la Conférence épiscopale a l’intention de convoquer un concile particulier conformément aux canons 439-446, mais sans utiliser ce terme ». Et dans ce cas, les évêques allemands doivent suivre la procédure prévue par le droit canonique. 

Cette procédure implique : une convocation suivant certaines règles ; la confirmation par le Saint-Siège de l’élection du président du concile ; des obligations sur le nombre et la qualité des membres convoqués au concile ; enfin, la transmission de tous les actes du concile à la Curie vaticane : ils ne pourront être promulgués qu’après leur reconnaissance par le Siège apostolique. 

Le Conseil pontifical insiste sur le fait que l’on doit suivre les règles canoniques pour toute « assemblée diocésaine » ou a fortiori, nationale. Mais c’est précisément ce que le cardinal Marx, les évêques allemands et le ZdK veulent éviter, comme le montre le point suivant. 

La composition de l’Assemblée synodale est contraire au droit 

Les articles 3 et 5 des Statuts, concernant l’Assemblée synodale et la direction du chemin synodal, montrent que la Conférence épiscopale et le ZdK sont à égalité : ils envoient le même nombre de participants, ils font partie de la direction avec les mêmes droits, ils votent tous les décisions. Cette parité entre évêques et laïcs est contraire au droit canon. Car, précise le Conseil, l’Église n’est pas structurée démocratiquement, et les décisions ne sont pas prises par la majorité des fidèles. 

Et d’ajouter : « la synodalité dans l’Eglise, à laquelle le pape François se réfère souvent, n’est pas synonyme de démocratie ou de décisions à la majorité, mais une manière différente de participer au processus décisionnel ». 

Le Conseil pontifical justifie sa position en citant le document sur La Synodalité dans la vie et la mission de l’Eglise de la Commission théologique internationale, publié le 5 mai 2018, qui distingue entre l’élaboration et la prise de décision : « L’élaboration est une tâche synodale ; la décision est une responsabilité ministérielle », autrement dit, la première est commune à tous, la seconde relève des évêques seuls. Or aucune différence n’est faite entre les deux processus dans les Statuts. 

Il est bon de lire ces précisions, mais plusieurs faits leur ôtent toute portée. 

La réponse cinglante du cardinal Marx 

Le premier fait est la manière dont le cardinal Marx répond à Rome. Il prétend d’abord que les Statuts visés par la critique sont obsolètes. Il reproche au cardinal Ouellet sa manière de faire. Enfin et surtout, il balaie l’objection d’un revers de main : le chemin synodal est un « processus sui generis » qui ne doit en aucun cas être interprété « à travers le prisme des instruments du droit canonique », et surtout pas comme un concile particulier. Circulez, il n’y a rien à voir. 

Il ajoute, avec une certaine effronterie : « Nous espérons que les résultats de cet effort dans notre pays seront également utiles pour l’Eglise universelle et pour les autres conférences épiscopales ». Puis il explique les raisons qui justifient la participation du ZdK : la particularité de l’Eglise d’Allemagne dans laquelle les laïcs ont une forte implication, et la nécessité de changer les « facteurs d’influence institutionnels » qui ont permis les abus. 

Sur le site Internet du chemin synodal l’explication suivante est avancée : 

« Pourquoi pas un synode ? Un Synode est un format clairement défini par le Droit canonique, dans lequel tout est réglé, de la définition des thèmes à la composition des participants et leurs compétences. Un Synode requiert l'approbation du Saint-Siège, qui ne peut souvent être donnée qu'après une procédure à plus long terme. Cela ralentit la vitesse nécessaire pour traiter les questions à l'étude. 

« Dans la situation actuelle, une approche synodale sui generis ouvre un débat concentré sur les défis actuels. Elle permet de découvrir un “horizon élargi” qui ouvre de nouveaux espaces dans lesquels des actions innovantes peuvent être entreprises. » 

Le deuxième fait est qu’après cette lettre et la rencontre entre le cardinal Marx et le pape à Rome, début septembre, le chemin synodal n’a plus été inquiété. 

Le troisième fait est un constat : aucune correction n’a été apportée aux Statuts sur les éléments essentiels que visait le Conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs. 

Les pyromanes pompiers 

Il faut toutefois se demander comment cette situation a été rendue possible. La racine est encore et toujours à rechercher dans… le concile Vatican II. En magnifiant d’une manière exagérée la fonction des laïcs dans l’Eglise, en tendant à assimiler le sacerdoce commun des fidèles au ministère sacré du prêtre, en voulant donner le plus de place possible à leur activité dans des fonctions même sacerdotales, il a lancé une dynamique destructrice. 

La responsabilité incombe spécialement à Paul VI. En approuvant le règlement du concile pastoral hollandais, il sanctionnait la possibilité d’un synode à nette majorité laïque. Quant au synode de Wurtzbourg, tenu il y a 45 ans en Allemagne, et dont les Statuts ont également été approuvés par Rome, il comportait une parité de clercs et de laïcs. 

Enfin le nouveau Code de droit canonique de 1983 autorise la présence de laïcs dans les conciles particuliers et provinciaux, même s’il en limite le nombre de sorte qu’il soit inférieur à celui des clercs. C’est une porte ouverte, même si elle ne l’est qu’à demi. Le cardinal Marx, la DBK et le ZdK sont en train de l’ouvrir complètement. 

Il faut conclure en s’étonnant de la naïveté – ou de la complicité pour certains – de ceux qui pensent pouvoir inviter dans une assemblée des laïcs vivant en « démocratie », devenus « adultes et responsables », gavés de la culture du vote, et leur dire : “vous n’êtes pas là pour décider, mais pour conseiller”. Alors qu’en Allemagne ils détiennent déjà de nombreux pouvoirs de décision dans l’Eglise. 

Il en est de la révolution comme d’une bicyclette : quand elle n’avance pas, elle tombe. La bicyclette à deux roues – DBK et ZdK – est sur la voie du chemin synodal…