France : Nicolas Sarkozy et la religion

Source: FSSPX Actualités

Après son discours au Latran, le 20 décembre 2007 (voir DICI n°168), Nicolas Sarkozy a fait l’éloge des religions à Riyad, en Arabie saoudite, le 14 janvier. Devant le Conseil consultatif du royaume wahhabite, le président de la République française a déclaré que « les grandes religions divines se rassemblent autour d’un certain nombre de principes communs et partagent les grandes valeurs de tolérance ». Un socle sur lequel, pour Nicolas Sarkozy, « nous devons fonder la politique de civilisation dont le monde, aujourd’hui, a tant besoin ». Pour aussitôt préciser : « J’ai le devoir de faire en sorte que chacun, qu’il soit juif, catholique, protestant, athée, franc-maçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France ». Mais, « j’ai aussi le devoir de préserver l’héritage d’une longue histoire, d’une culture et, j’ose le mot, d’une civilisation ». « C’est peut-être dans le religieux que ce qu’il y a d’universel dans les civilisations est le plus fort », s’est-il exclamé.

 Puis il a loué « Dieu qui n’asservit pas l’homme, mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes ». Ce message, a-t-il souligné a « souvent été dénaturé ». Pourtant, « ce n’est pas le sentiment religieux qui est dangereux, c’est son utilisation à des fins régressives au service d’une nouvelle barbarie ». Et d’ajouter, « le sentiment religieux n’est pas plus condamnable à cause du fanatisme que le sentiment national ne l’est à cause du nationalisme ».« La France et l’Arabie saoudite veulent tout faire pour que soit évité le choc des civilisations », a-t-il assuré.

 Pour le Grand Orient de France, « les anti-Lumières sont en train de prendre leur revanche ». L’obédience maçonnique avait dénoncé, le soir même du discours au Latran, « un inquiétant retour du religieux ». Et le grand maître du Grand Orient, Jean-Michel Quillardet – reçu le 8 janvier à sa demande par le président – reconnaît, depuis, la montée d’une certaine « radicalisation » dans ses rangs. Le 16 janvier, le Comité national d’action laïque (Cnal), qui regroupe les plus puissantes fédérations de l’enseignement public, a souhaité par communiqué une « année laïque au président de la République », lui rappelant que « les seules valeurs qui doivent préoccuper les acteurs de la République sont les valeurs républicaines ».

 Du côté catholique, reconnaît La Croix du 17 janvier, le discours du Latran a été plutôt bien apprécié. La « laïcité positive », entendue comme une nouvelle culture, décrispée et constructive, entre État et Église est, selon ce quotidien, « un souhait ardent pour une majorité de catholiques après un siècle de combats acharnés dont le centenaire de la loi de 1905 a rappelé la gravité. Une loi, au passage, dont l’Église apprécie l’équilibre et qu’elle ne veut pas voir réviser ».

Dans la soirée du 17 janvier, le président de la République recevait les représentants des religions pour la traditionnelle cérémonie des vœux à l’Elysée. Etaient présents le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence Episcopale Française, le pasteur Claude Baty, président de la Fédération protestante de France, le recteur Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman, le grand rabbin de France Joseph Sitruk, le métropolite grec orthodoxe Adamakis Emmanuel et Olivier Wan Gehn, président de l’Union bouddhiste de France, ainsi que Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur chargée des cultes.

    

A la sortie de la réception, le cardinal Vingt-Trois a indiqué aux journalistes qu’ils avaient parlé « de la possibilité que les religions puissent avoir une existence normale dans notre société », ce qui ne lui paraissait pas vraiment nouveau, « mais ce qui était intéressant c’est que ce soit le président de la République qui le dise ». D’après Le Figaro du 18 janvier, l’archevêque de Paris  s’est réjouit " d’une nouvelle manière d’aborder le fait religieux, plus paisible et moins conflictuelle, qui correspond à une nouvelle génération politique". Selon Le Monde du 19 janvier, le cardinal a estimé que le volume des réactions aux discours du président était disproportionné : « Les convictions de M. Sarkozy sur le rôle des religions sont connues de longue date ; elles ne se traduisent pas en décisions factuelles. Que je sache, ses propos n’ont pas entraîné le démantèlement de l’équilibre républicain. S’il proposait une révision de loi de 1905, alors, là, ce serait autre chose ! » (Sources : Zenit/Apic/La Croix/Le Figaro/ Le Monde)

Commentaires divers

Les déclarations tous azimuts de Nicolas Sarkozy sur la religion laissent perplexe. On se demande quel principe unifie ses propos contrastés, voire contradictoires. Certains commentaires, parus dans la presse, permettent d’éclairer l’étrange Credo du président français à la recherche d’un « supplément d’âme » pour une société consumériste, - une façon de civiliser  la politique libérale.

 Le père Philippe Verdin, dominicain, proche du chef de l’Etat avec lequel il a réalisé un livre d’entretiens : la République, les Religions, l’Espérance (éditions du Cerf, 2004) : « Nicolas Sarkozy parle d’une laïcité arrivée à maturité. La société peut être bienveillante à l’égard de ce qui aide les gens à vivre. Aujourd’hui, les Français n’ont plus aucun problème avec les religions. Sauf un peu avec l’islam, parce qu’ils font l’amalgame avec le terrorisme. Nicolas Sarkozy est à leur diapason. Il se comporte comme les autres chefs d’Etat des pays européens voisins où les relations avec les Eglises sont habituelles et sereines. Il a un côté un peu Bonaparte, un peu concordataire. Les discours du Latran et de Riyad répondent à un constat. Aujourd’hui, ça n’est pas l’ultralibéralisme qui va remplacer le communisme des lendemains qui chantent. Il faut bien que quelque chose tire les gens vers un projet, un rêve, qui leur permette de dépasser les soucis du quotidien et de vivre ensemble dans la concorde. » (Propos recueillis par Catherine Coroller dans Libération du 16 janvier)

 Jean Bauberot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études, auteur de plusieurs ouvrages dont Les laïcités dans le monde (PUF, 2007) : « Il faut essayer de voir pourquoi Nicolas Sarkozy a fait cela (les discours au Latran et à Riyad). Lui-même et ses conseillers ont bien lu les analyses sur la postmodernité, l’ultramodernité, ou ce que j’appelle, moi, la modernité tardive. C’est l’idée que l’on ne peut plus avoir confiance dans le progrès comme au temps des Lumières. A l’époque, la science et ses applications promettaient d’améliorer la vie sur terre. Aujourd’hui, elles sont accusées de mettre en danger la planète. Combiné au déclin des grandes idéologies, cela entraîne une montée des incertitudes. Du point de vue de la prise en compte de cette réalité, Sarkozy et ses conseillers ont plusieurs métros d’avance sur le PS. Si on ne comprend pas cela, on ne prend pas la mesure du défi que le chef de l’Etat lance à la gauche. Mais lui s’en sert au profit d’une tentative néocléricale de re-liaison du religieux et du politique, d’instrumentalisation du religieux par le politique. »(Propos recueillis par Catherine Coroller dans Libération du 16 janvier)

Sous le titre « Sarkozy met le feu aux laïcs », on pouvait lire dans la chronique de Nicolas Domenach, directeur-adjoint de Marianne, sur I.Télé : « Pourtant Nicolas Sarkozy n’est pas un membre de l’Opus Dei. Ce n’est pas un frère prêcheur ni une grenouille de bénitier, ni un bedeau de sacristie. Pour l’anecdote, rappelons même que s’il fut élève d’écoles privées catholiques, il fut viré pour chahut de sa première retraite religieuse et, plus récemment, il a préféré le yacht de Bolloré et la grande bleue méditerranéenne plutôt que l’eau claire et la méditation du monastère de la Pierre-qui-Vire.

« Ce président jet-setteur est rien moins que mystique mais il révère, c’est vrai, les hommes de Dieu, il respecte les rapports de force donc cette foi qui permet aux croyants de bâtir des cathédrales. Lui-même croit, mais sans pratiquer régulièrement. Il croit aussi que la société moderne a besoin de repères, qu’il faut d’un côté inciter à gagner de l’argent et à consommer, mais que de l’autre on doit trouver des raisons d’espérer. La religion, selon lui, permet la paix de l’âme et de la société. Dieu transcendant console et contrôle, si on l’encadre. La religion opium du peuple…

« Pour éviter le choc des civilisations, pour lutter contre les fanatismes terroristes, il est impératif, pense Nicolas Sarkozy, d’installer les religions sur la place publique, de les accompagner comme il l’a fait en sortant l’islam des caves et en créant le Conseil français du culte musulman (CFCM). Ainsi ouvre-t-il la boîte de Pandore sans se rendre compte de ce qu’il y a d’incongru à brandir d’un côté la Rolex et la bague Dior et de l’autre la croix et le croissant, à célébrer le Veau d’or et en même temps ces ascètes fervents qui ont chassé les marchands du Temple ».