Le chemin synodal vers une Eglise nationale allemande (4) : le rapport MHG
Le fameux rapport MHG
Le synode de Wurtzbourg qui s’est tenu entre 1971 et 1975 a marqué l’Eglise en Allemagne jusque dans son fonctionnement, en particulier à travers la Conférence conjointe qui réunit régulièrement la Conférence épiscopale allemande (DBK) et le Comité central des catholiques allemands (ZdK). C’est une manière de prolonger ce synode, qui aujourd’hui inspire le « chemin synodal » qui s’ouvrira le 1er décembre 2019.
La décision de lancer un « chemin synodal » a été prise dans le sillage du scandale des abus sur mineurs commis par des ecclésiastiques et des religieux. C’est ce que ne cesse de répéter le cardinal Reinhard Marx, président de la conférence épiscopale allemande. Mais il est nécessaire d’examiner l’enchaînement des événements pour en comprendre la genèse.
L’étude MHG
A la suite des scandales de mœurs ayant secoué l’Eglise en Allemagne, un projet de recherche interdisciplinaire a été confié à des chercheurs des universités de Mannheim, Heidelberg et Gießen (d’où son surnom de rapport « MHG »). Dirigé par Harald Dressing, un psychiatre légiste, le groupe d’étude a travaillé du 1er juillet 2014 au 24 septembre 2018 à partir des données fournies par 27 diocèses allemands.
Le résultat est consigné dans un rapport de 350 pages, réunissant les efforts d’experts en criminologie, en psychologie, en sociologie et en psychiatrie médico-légale. Il en existe un résumé de 15 pages publié par la DBK, traduit en plusieurs langues. Le but de cette étude était de « déterminer la fréquence des abus, de décrire leurs formes (…) et d’identifier les structures et dynamiques susceptibles, au sein de l’Eglise, de favoriser les abus » (souligné par nous). Ce point est capital.
Une grande partie du rapport est consacrée à l’analyse des crimes et délits commis sur mineurs. Puis un chapitre de recommandations indique les grandes lignes qui inspirent aujourd’hui le chemin synodal. Les évêques ont dû débourser la bagatelle de 1.089.312,50 € (hors TVA…) pour ces conseils.
La structure de l’Eglise remise en cause
Les experts mandatés par les évêques allemands estiment que le problème est d’abord structurel, et qu’il faut donc changer le fonctionnement de l’Eglise, tenue pour responsable : « Les résultats de l’étude montrent clairement que les abus sexuels sur mineurs par des religieux de l’Eglise catholique ne sont pas seulement des comportements égarés d’individus isolés, mais que l’attention doit aussi porter sur les caractéristiques à risques et structurelles spécifiques à l’Eglise catholique, qui favorisent les abus sexuels sur mineurs ou en compliquent la prévention. »
Le rapport MHG vise en fait la morale même de l’Eglise : « Les résultats de l’étude obligent à examiner la signification des vues de la morale sexuelle catholique sur l’homosexualité dans le contexte des abus sexuels sur mineurs. Il faut repenser d’urgence l’attitude fondamentale de refus, adoptée par l’Eglise catholique, d’ordonner des hommes homosexuels. (…) Il faut créer une atmosphère ouverte et promotrice de tolérance. » Y compris pour les passions d’ignominie et les péchés qui crient vers le ciel ?
Enfin, cerise sur le gâteau, l’étude s’attaque au pouvoir d’ordre : « La transformation des structures cléricales du pouvoir passe par une réflexion fondamentale sur le ministère sacré du prêtre et sur la façon dont ce dernier voit son rôle. Sanctionner les individus coupables, regretter en public leurs actes, verser des indemnités financières aux victimes, établir des concepts de prévention sont des mesures nécessaires mais aucunement suffisantes. (…) Ces démarches sont même aptes à cimenter les structures du pouvoir clérical vu qu’elles ne ciblent que les symptômes d’un développement anormal et qu’elles empêchent ainsi la réflexion sur le problème fondamental qui est celui du pouvoir clérical ».
La conférence des évêques allemands à Fulda, septembre 2018
Lors de leur réunion annuelle, les évêques allemands se penchèrent sur le rapport MHG. Ils prirent immédiatement des décisions concernant la prévention, la gestion des dossiers personnels, l’indemnisation des victimes, mais aussi la formation dans les séminaires et les diocèses. Dans leur communiqué de presse, ils ajoutèrent ce paragraphe qui contient en germe le chemin synodal :
« Les défis spécifiques à l’Eglise catholique, tels que les questions du mode de vie célibataire des prêtres et les divers aspects de la morale sexuelle catholique, seront discutés dans un processus de discussion transparent impliquant des experts de diverses disciplines. » Six mois plus tard, le processus aboutissait à un projet muri dans les officines de l’épiscopat allemand.
La ville de Lingen
L’Assemblée plénière de Lingen
Entre deux sessions, la Conférence épiscopale allemande organisa une journée d’études à Lingen, en Basse-Saxe, le 13 mars 2019. Elle avait pour thème « La question de la déchirure : sur les questions globales qui se posent actuellement ». Elle fut animée par quatre conférenciers qui exposèrent les objectifs à atteindre, selon les trois axes déjà présentés dans l’étude MHG et repris par les évêques.
L’Eglise et les clercs en accusation
Julia Knop, professeur de dogmatique à l’université d’Erfurt, s’exprima ainsi : « Vous avez mis trois sujets à l’ordre du jour (…) : le pouvoir dans l’Eglise, le célibat comme forme de vie sacerdotale obligatoire et la morale sexuelle de l’Eglise. L’étude MHG a identifié les risques systémiques de l’institution de l’Eglise catholique, c’est-à-dire les facteurs spécifiquement catholiques, qui favorisent une telle violence, un tel abus de pouvoir et compliquent sa sanction ». C’est pour elle un acquis : « Pouvoir - Célibat - Moralité sexuelle : Aucune des trois questions auxquelles vous êtes confrontés aujourd’hui n’est nouvelle. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’on ne peut plus nier leur lien destructeur » (souligné par nous).
Philipp Müller, prêtre depuis 1991 et professeur de théologie morale à Mayence, s’interrogea sur la vie du prêtre aujourd’hui, soulignant sa solitude, ses difficultés, sa surcharge de travail. Il proposa l’ordination de viri probati, des hommes mariés d’âge mûr. Il s’agirait de choisir des hommes ayant plus de 50 ans et de leur confier un ministère réduit – une sorte d’intermédiaire entre le diacre marié et le prêtre.
Le professeur Gregor Maria Hoff, qui enseigne la théologie fondamentale à l’université de Salzbourg, aborda la « sacralisation du pouvoir ». Sa conférence prétend démontrer l’existence d’un « piège de la sacralisation » dont seraient victimes les pouvoirs religieux en général, le sacerdoce et l’Eglise en particulier. Le cardinal Marx la résume ainsi : « Le pouvoir de la religion est ainsi dérivé du signe sacré à ses médiateurs [les prêtres]. Un cercle d’initiés émerge, qui protège sa prétendue revendication de pouvoir et l’instrumentalise pour le maintien de son propre statut ». D’où la nécessité « de la division et du contrôle clairement réglementé du pouvoir. Il y a là un besoin considérable de développement des structures ecclésiales, auquel nous continuerons à répondre ». Le pape François, qui dénonce régulièrement le cléricalisme comme la cause de tous les maux, se retrouverait certainement dans ce genre de considération.
La morale catholique en accusation
Enfin, Eberhard Schockenhoff, professeur de théologie morale à Fribourg, s’attaqua à la morale sexuelle de l’Eglise. Sa conférence transpire un profond mépris pour la morale révélée, la morale parfaite, évangélique, telle que l’Eglise l’a toujours défendue. Ce théologien, qui est prêtre (!), commence par s’attaquer à saint Augustin : « En supposant que la corruption de la nature humaine par le péché originel est transmise aux descendants par le biais de la procréation charnelle, Augustin dresse un tableau empoisonné de la sexualité ». Puis il croit déceler des « incohérences et contradictions dans sa pensée. Car comment des parents qui, par le baptême, se sont lavés de la tache du péché originel, peuvent-ils néanmoins la transmettre à leurs descendants dans l’acte de procréation ? » On ne saurait mieux nier – ou ignorer – la nature du péché originel. Ce n’est rien d’autre que l’hérésie pélagienne, et la négation de la transmission du péché originel depuis Adam à toutes les générations, pourtant révélée par la Sainte Ecriture (cf. Ro 5, 12).
Logique avec lui-même, Schockenhoff plaide pour une réforme véritable de la morale, qui suppose l’abandon de la morale passée, jugée désuète et inadaptée. La nouvelle morale doit refléter « une adaptation plus ouverte de la compréhension des changements des conditions de vie et de l’évolution des connaissances scientifiques humaines sur le sens de la sexualité humaine ». Est-ce à dire que Freud ou ses modernes épigones en savent plus long que saint Augustin sur la morale ?
Le conférencier soutient en conséquence que, si « le mariage monogame, contracté sur une base permanente et avec la ferme volonté de fidélité à vie, est le meilleur cadre vital et institutionnel », il n’en demeure pas moins que, « pour être en mesure de réfuter de façon crédible le reproche d’une pratique discriminatoire à l’égard des personnes de même sexe (…), il est nécessaire de reconnaître inconditionnellement les partenariats homosexuels et de ne pas disqualifier moralement la pratique sexuelle qui s’y déroule ». Comment un prêtre de Jésus-Christ peut-il, en présence d’évêques successeurs des apôtres, tenir une position qui justifie et légitime le vice et le péché ? Et dire qu’il enseigne la théologie morale depuis trente ans…
L’annonce du chemin synodal par le cardinal Marx
A l’issue de cette assemblée plénière de la DBK, le cardinal Marx a tenu à rappeler en conférence de presse les actions menées depuis le lancement du projet MHG, mais aussi sa participation au sommet sur les abus au Vatican, en février dernier. Puis il a annoncé une procédure spéciale, qui se veut une réponse aux problématiques soulevées par les conférenciers :
« L’Eglise en Allemagne est à un tournant. L’Eglise a besoin du progrès synodal. (…) Le synode de Wurtzbourg et le processus de discussion de ces dernières années ont préparé le terrain. Nous avons décidé à l’unanimité [NDLR : ce qui est faux] de suivre un chemin synodal contraignant en tant qu’Eglise en Allemagne, qui rende possible un débat structuré et se déroule dans un délai convenu, en collaboration avec le Comité central des catholiques allemands. Nous créerons des formats de débats ouverts et nous nous engagerons dans des procédures permettant la participation responsable des femmes et des hommes de nos diocèses. Nous voulons être une Eglise à l’écoute. »
Trois forums ont été créés pour débattre des thèmes suivants : « Pouvoir, participation, séparation des pouvoirs » ; « Morale sexuelle » ; « Chemin de la vie sacerdotale ». Un quatrième forum consacré à la place des femmes dans l’Eglise sera ajouté deux mois plus tard.
Le « chemin synodal » sur le point de s’ouvrir repose sur des prémisses révolutionnaires. L’Eglise par la voix de sa hiérarchie se met « à l’écoute » du peuple de Dieu pour se réformer, en mettant en cause sa constitution divine, spécialement le pouvoir d’ordre, mais aussi sa morale et sa prédication. Les solutions proposées relèvent de visions bassement humaines, naturalistes et pélagiennes. Le chemin synodal poursuit la dynamique du synode de Wurtzbourg qui voulut incarner le concile Vatican II dans l’Eglise d’Allemagne. Un processus infernal qui n’a pas fini de détruire la foi, la morale et l’Eglise catholique elle-même. Au risque d’ouvrir la voie à un schisme dans la véritable Eglise.
A suivre…
(Sources : dbk.de/wikipedia -FSSPX.Actualités - 21/11/2019)
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