Les 50 ans de la nouvelle messe : saint Pie X et le mouvement liturgique (2)

Source: FSSPX Actualités

Statue de saint Pie X dans l’église du Saint-Sauveur à Venise

Il y a un demi-siècle, le pape Paul VI imposait à toute l’Eglise une réforme liturgique au nom du Concile qui venait de s’achever. Ainsi naissait la messe de Vatican II. Elle fut aussitôt rejetée par deux cardinaux et, depuis, l’opposition à son encontre n’a pas faibli. Ce triste anniversaire est l’occasion de retracer son histoire. 

Après Dom Prosper Guéranger, qui l’a initié, le mouvement liturgique doit son élan et son épanouissement à saint Pie X, le pape qui lui a donné ses lettres de noblesse et le soutien de Rome, indispensable pour sa diffusion dans toute l’Eglise. 

Le premier article portait sur l’intervention de saint Pie X dans le domaine de la musique liturgique, qui lui permit de poser la pierre angulaire du Mouvement liturgique : redonner à la liturgie son plein éclat, et par ce moyen faire refleurir le véritable esprit chrétien. 

La liturgie se développe dans les sacrements

Une autre intervention de saint Pie X concerne la liturgie considérée en son cœur : la pratique des sacrements. En effet la liturgie, selon la belle définition qu’en donnera Pie XII dans l’encyclique Mediator Dei (1947), est « le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme Chef de l’Eglise ; c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son chef et, par lui, au Père éternel ; c’est, en un mot, le culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire du Chef et de ses membres ». 

Or le culte s’accomplit essentiellement par les sacrements. Chaque sacrement est une partie de la liturgie de l’Eglise, même lorsque le prêtre est seul avec le fidèle au confessionnal pour donner le sacrement de pénitence. 

Mais c’est dans la sainte messe que le culte trouve toute son amplitude et son plein développement : la messe donne en effet Jésus-Christ lui-même, elle consiste en un sacrifice offert au Père par le Fils auquel tous s’unissent, et la sainte eucharistie est le plus grand des sacrements. C’est dans le divin sacrifice que le culte atteint sa perfection. 

Avec toute la tradition, le pape Pie XII explique que le sacrifice est extérieur et intérieur. Bien sûr, l’aspect intérieur est le plus important : il faut adhérer de tout son cœur à la sacrée liturgie, c’est-à-dire s’unir au Christ qui en est le grand Prêtre. A la messe, nous nous unissons au Christ à travers les cérémonies de l’Eglise, et particulièrement lors de la sainte communion. 

La pratique de la communion au cours de l’histoire

Cette pratique a varié au cours des siècles. Si les témoignages explicites quant à la fréquence de la communion font défaut pour les deux premiers siècles de notre ère, du IIIe au Ve siècle en revanche, la pratique de la communion fréquente voire quotidienne est certainement approuvée par l’Eglise. Elle est ainsi recommandée par certains Pères comme saint Cyprien ou saint Basile. 

Du Ve au XIIe siècle, malgré une décadence dans la pratique de la communion fréquente, due surtout au relâchement et à la négligence du clergé, l’enseignement des auteurs reste le plus souvent favorable à la communion fréquente. Les conciles imposent la communion à certaines fêtes. 

Du XIIIe siècle au concile de Trente, malgré un refroidissement général, surtout chez les laïcs, l’enseignement théologique est à peu près unanime à louer, au moins en principe, la communion fréquente ou quotidienne. Mais même les saints ne communient pas chaque jour. Les habitudes pastorales héritées de la période précédente en sont la cause. 

Le concile de Trente demande que « tous et chacun de ceux qui portent le nom de chrétiens » « croient et vénèrent les saints mystères de son Corps et de son Sang avec une foi si constante et ferme, avec un cœur si dévot, avec une piété et un respect tels qu’ils puissent recevoir fréquemment ce pain supersubstantiel (Mt 6, 11) ». De même : « Le saint concile souhaiterait, certes, que les fidèles assistant à chaque messe ne communient pas seulement par un désir spirituel, mais aussi par la réception sacramentelle de l’eucharistie, par quoi ils recueilleraient un fruit plus abondant de ce très saint sacrifice » (décret sur le sacrement de l’eucharistie, session 13, 11 octobre 1551, Dz 1649 et 1747). 

Les théologiens et prédicateurs encouragent de même cette pratique, tels saint Vincent de Paul, saint Charles Borromée, saint François de Sales, saint Alphonse. 

Le 12 février 1679, Innocent XI, déclare qu’il appartient au jugement du confesseur de discerner ce qui doit être permis à chacun. Il insiste sur les bonnes dispositions et la piété requises à la communion quotidienne, tout en réprouvant ceux qui avancent que la communion quotidienne est de droit divin (décret sur la communion fréquente et quotidienne, Dz 2090 sq.). 

Le 7 décembre 1690, Alexandre VIII fait condamner deux propositions des Jansénistes qui visaient à éloigner les fidèles de la sainte table : « Il faut considérer comme impies ceux qui prétendent avoir droit à la communion avant d’avoir fait une pénitence proportionnée à leurs péchés. De même il faut éloigner de la sainte communion ceux que n’habite pas encore un amour de Dieu très pur et sans mélange. » (décret du Saint-Office, Dz 2322 sq.). 

Le XIXe siècle

Malgré les encouragements à la communion fréquente, celle-ci était de moins en moins pratiquée depuis le XVIIIe siècle. La faute incombe au jansénisme qui en était un adversaire déterminé. De plus, la tiédeur, fruit des mouvements révolutionnaires qui agitèrent les esprits partout en Europe, l’abaissement de l’Eglise, les opinions impies et sacrilèges contribuent à tenir de nombreuses âmes éloignées du sacrement de l’eucharistie. C’est pourquoi les saints de cette époque, tels le saint curé d’Ars ou saint Jean Bosco, sont des apôtres zélés de la communion fréquente. 

Enfin, le pape Léon XIII s’oppose vigoureusement à « cette erreur si répandue et pernicieuse de ceux qui pensent que l’usage de l’eucharistie doit être presque exclusivement réservé » à ceux qui mènent une vie plus religieuse (encyclique Miræ caritatis, 28 mai 1902, Dz 3361). 

Les décrets de saint Pie X

Il revenait à saint Pie X de raviver cette piété endormie et de réprimer les fausses idées qui s’y opposaient. Entre le 30 mai 1905 et le 14 juillet 1907, le saint pape intervient pas moins de douze fois sur cette question. Mais les deux principales interventions portent sur la communion fréquente et l’âge de la première communion. 

Décret sur la communion fréquente

Le 16 décembre 1905, par le décret Sacra Tridentina Synodus, saint Pie X exhorte à la communion fréquente, et même quotidienne, du peuple chrétien, « en sorte que nul, s’il est en état de grâce et s’il s’approche de la sainte table avec une intention droite, ne puisse en être écarté ». 

Il précise ce dernier point : « L’intention droite consiste à s’approcher de la sainte table, non pas par habitude ou par vanité, ou pour des raisons humaines, mais pour satisfaire à la volonté de Dieu, s’unir à lui plus intimement par la charité et, grâce à ce remède divin, combattre ses défauts et ses infirmités ». 

La raison profonde qui est donnée est nette : « Jésus-Christ et l’Eglise désirent que les fidèles s’approchent chaque jour du banquet sacré ». Il en va de leur sanctification : « C’est surtout, afin qu’étant unis à Dieu par ce sacrement, ils en reçoivent la force de réprimer les passions, qu’ils s’y purifient des fautes légères qui peuvent se présenter chaque jour, et qu’ils puissent éviter les fautes graves auxquelles est exposée la fragilité humaine : ce n’est donc pas principalement pour rendre gloire à Dieu, ni comme une sorte de faveur et de récompense pour les vertus de ceux qui s’en approchent… » (Dz 3375). 

Décret sur l’âge de la première communion

A la suite de cette décision, les pasteurs interrogèrent Rome sur le cas des enfants. En effet, l’habitude avait été prise au cours du XIXe siècle de retarder la première communion jusqu’à 10, voire 12 ou 14 ans et plus tard encore, au grand détriment de la piété. 

Une première réponse est donnée le 14 février 1906 par la Congrégation du concile : « il est nécessaire que les enfants soient nourris par le Christ avant qu’ils ne soient dominés par les passions, pour qu’ils puissent repousser avec plus de courage les attaques du démon, de la chair et des autres ennemis du dehors et du dedans ». 

Afin de lever les doutes et les oppositions, saint Pie X est conduit à définir l’âge de la première communion. Le décret Quam singulari sur la communion et la confession chez les enfants (8 août 1910), déclare que « l’âge de discrétion pour la confession aussi bien que pour la sainte communion est celui où l’enfant commence à raisonner, c’est-à-dire vers sept ans… ». Il précise : « Ceux qui ont la charge des enfants doivent mettre tout leur soin à les faire approcher fréquemment de la sainte table après leur première communion et, s’il est possible, même tous les jours, comme le désirent le Christ Jésus et notre Mère l’Eglise » (Dz 3530 et 3534). 

Ces deux décrets font date dans l’histoire du Mouvement liturgique. Ils ont puissamment contribué à un renouvellement de la dévotion eucharistique et à une participation plus intime au saint sacrifice de la Messe dans le monde catholique. S’ils furent reçus parfois avec réticence, ils ont montré, par leurs abondants fruits, l’admirable sagesse du saint pontife qui les avait promulgués, et sa profonde intelligence de la liturgie.