Le chemin synodal vers une Eglise nationale allemande (10) : 1er document de travail

Source: FSSPX Actualités

La Conférence épiscopale allemande (DBK) et le Comité central des catholiques allemands (ZdK) ont commencé un « chemin synodal » le dimanche 1er décembre 2019. Après la description du processus de formation et la présentation des interventions romaines, la découverte des Statuts synodaux a confirmé l’intention révolutionnaire qui anime la DBK épaulée par le ZdK. Il reste à présenter les documents de travail qui révèlent dans toute son ampleur cette intention. 

Les réunions de l’Assemblée synodale, qui réaliseront concrètement le chemin synodal, utiliseront un instrumentum laboris, qui rassemble plusieurs documents de travail. Ces textes, qui doivent servir de base à la discussion, ont été élaborés dans des forums réunis dans ce but. 

Les forums préparatoires 

Ces forums avaient été composés dès le mois mai 2019 et leur composition avait été partagée entre la DBK et le ZdK. Ils comportaient 10 à 20 membres, dont 3 à 4 évêques. La présidence de chacun avait été confiée à un évêque, mais les votes des membres étaient strictement égalitaires. 

Ces quatre forums : “Pouvoir, participation et séparation des pouvoirs”, “Morale sexuelle”, “Forme de vie sacerdotale” et “Femmes dans les services et les offices de l'Eglise”, ont chacun produit un document de travail en vue du chemin synodal. Tout l’esprit de cet événement est concentré dans ces documents. Leur étude est nécessaire pour comprendre ce qui se prépare, qui risque fort d’officialiser ce qui y est contenu/ce qui existe déjà. 

Le moteur du mouvement

L’un des deux opposants déclarés au chemin synodal parmi les évêques allemands, Mgr Rudolf Voderholzer, évêque de Ratisbonne, a profité de son traditionnel sermon de fin d’année pour revenir sur le processus synodal et le critiquer fortement. Il a lancé cette expression vigoureuse : « L’indignation face aux abus est le feu sur lequel la soupe de la Voie synodale doit être cuite ». 

S’il est dommage que cet évêque s’affiche comme un adversaire résolu de la Tradition en protestant régulièrement contre les ordinations célébrées au séminaire de la Fraternité Saint-Pie X à Zaitzkofen, dans son diocèse, son expression décrit fort bien l’arrière-fond des quatre documents de travail produits par les forums préparatoires du chemin synodal. 

En effet, la mention des abus revient sans cesse sous la plume des rédacteurs : près de 40 fois sur l’ensemble des documents et une trentaine de fois pour le premier. Par abus, ils visent les péchés commis sur des mineurs par des membres du clergé allemand, mais aussi, par généralisation, les abus de pouvoir du clergé. 

Le document du premier forum : Pouvoir, participation et séparation des pouvoirs 

Ce texte de 17 pages est sans doute le plus important, tant par sa longueur que par sa teneur. Quoique le document du deuxième forum soit extrêmement pernicieux puisqu’il concerne les mœurs ou l’agir de l’Eglise, le premier est plus radical car il s’attaque à l’être même de l’Eglise, à sa divine constitution. Si l’Eglise est défigurée dans sa substance même, alors tout devient permis, y compris la dissolution des mœurs. 

Reprise de l’analyse du rapport MHG 

Sans nuance ni réserve, le texte accepte toutes les conclusions du rapport MHG (voir notre article). Les considérations des “experts” indépendants, dont beaucoup d’universitaires ignorant la nature de l’Eglise, sa tradition, sa théologie, sont entérinées et reprises dans un discours qui cherche à les justifier et à les promouvoir à travers une théologie ultra-moderniste. 

Les experts mandatés par les évêques allemands jugeaient que le problème de l’Eglise était structurel et qu’il fallait en changer le fonctionnement. Le document de travail reprend : « L’étude MHG a montré que (…) l’abus du pouvoir sacré, la dissimulation d’actions et la protection des auteurs de violence ont des causes systémiques ». Il affirme même que « la dissimulation de ces crimes » fut systématique. 

L’étude MHG s’attaquait spécialement au pouvoir d’ordre : « La transformation des structures cléricales du pouvoir passe par une réflexion fondamentale sur le ministère sacré du prêtre et sur la façon dont ce dernier voit son rôle. (…) Le problème fondamental est celui du pouvoir clérical ». En conséquence, ce pouvoir est la cible principale du document. 

Violente critique du pouvoir sacré 

Le pouvoir sacré est ciblé sous divers angles. Le texte vise le « ministère ordonné comme “puissance sainte” (sacra potestas), intégrée dans une hiérarchie dans laquelle les fidèles sont considérés unilatéralement comme dépendant des prêtres ». Ce pouvoir sacralisé s’est absolutisé ; voilà le grand danger : « Le fait d’avoir couvert les violences sexuelles commises par le clergé est lié à une forme de sacralisation du pouvoir ecclésiastique qui est absolutisé à bien des égards ». 

Il est absolutisé dans le sens ou il se soustrait à tout contrôle : « Il y a abus de pouvoir lorsque le ministère se présente comme un service mais qu’il s’exerce sous la forme d’une domination spirituelle (sacra potestas) qui devient absolue. Lorsqu’il cesse de s’exercer spirituellement, en réalité il s’est auto-immunisé contre toute critique et tout contrôle ». D’où l’affirmation brutale : « l’autorité sacramentelle inhérente au sacerdoce ministériel n’établit aucune supériorité sociale, aucun privilège de classe, aucune réserve de pouvoir ». 

Le pouvoir sacerdotal est encore rejeté comme non traditionnel, comme s’il s’agissait d’une invention récente : « Il ne s’agit nullement de l’expression d’une tradition séculaire et éprouvée, mais plutôt, dans une large mesure, d’une nouvelle invention après le siècle des Lumières. La concentration des pouvoirs sacramentel, législatif, exécutif, administratif et juridique n’est qu’un développement du XIXe siècle ». 

Le document assène ainsi ce n’est que « depuis le XIXe siècle, [que] l’Eglise catholique est organisée sur le modèle d’une monarchie » (sic). La conception du pouvoir d’ordre comme exclusivement lié au clergé et constituant un privilège serait aussi la conséquence « d’une mauvaise interprétation des Evangiles » (sic). En fait, tous les disciples de Jésus partageaient la même mission : « Jésus ne veut pas forger une élite qui se distingue des autres par sa vocation, sa mission ou son pouvoir ». Et enfin cette perle : « La pensée d’un état clérical ne joue aucun rôle dans le Nouveau Testament ». 

La conséquence : il faut restructurer l’Eglise 

Il faut donc remodeler le pouvoir dans l’Eglise, « penser l’Eglise différemment ». Pour ce faire, il faut puiser dans notre époque : « La crise (…) résulte de tensions entre la doctrine et la pratique de l’Eglise, mais aussi entre la manière dont le pouvoir est exercé dans l’Eglise et les normes d’une société dans un Etat de droit démocratique, dont de nombreux catholiques s’attendent aussi à ce qu’il soit tenu compte dans leur Eglise ». 

D’ailleurs, poursuit le document, « ces exigences normatives, qui ont cours dans les Etats constitutionnels démocratiques modernes, correspondent à l’origine à des valeurs chrétiennes ». Cela concerne au premier chef « les procédures de séparation des pouvoirs ont fait leur preuve dans les démocraties modernes pour contrôler le pouvoir ». 

 

Applications pratiques 

Afin de justifier leur optique révolutionnaire, les membres du forum posent les principes du renouvellement de l’Eglise qu’iIs préconisent. 

Le critère de l’évangélisation 

Le critère suprême est celui de l’évangélisation : « L’évangélisation est le point culminant de notre processus de renouveau ». Certes, mais du fait de son caractère très général, ce critère appelle une orientation dans une certaine direction… Son application révèle de quoi il s’agit : « Les structures et les rapports de force dans l’Eglise doivent être examinés et corrigés sur la base de l’Evangile. Nous voulons comprendre et exercer le pouvoir et la séparation des pouvoirs dans l’Eglise afin de redécouvrir et faire rayonner l’Evangile ». L’organe de cette évangélisation n’est autre que le « Peuple de Dieu », une expression qui apparaît 18 fois dans le document. 

« Tous ceux qui suivent Jésus partagent la mission et la capacité d’annoncer l’Evangile », est-il affirmé dès le Préambule. Sans doute, mais les principes qui s’ensuivent, puisés dans le concile Vatican II, sont redoutablement biaisés et erronés. Le document a le mérite de dérouler devant nos yeux les conséquences impitoyablement logiques tirées de principes faux. 

Les racines de cette mission du Peuple de Dieu 

La première racine est l’égalité radicale entre les membres du Peuple de Dieu : « le fondement théologique d’un renouveau qui réglemente le pouvoir et la séparation des pouvoirs pour garantir la participation et la contribution de tous à la mission de l’Eglise consiste en l’égalité fondamentale de tous les membres de l’Eglise, sacramentellement scellée dans le baptême et la confirmation et exprimée dans le sacerdoce commun de tout croyant ». 

La deuxième racine quant à la capacité d’évangélisation se rattache au « sacerdoce commun » : « La participation de tous les croyants, par le baptême et la confirmation, au triple ministère du Christ Roi, Prêtre et Prophète (Lumen Gentium, 31) est fondamentale pour la compréhension, la différenciation et le partage du pouvoir ». 

La troisième racine est le « sens de la foi (sensus fidei fidelium) du Peuple de Dieu [qui] fournit une qualité théologique fondamentale ». Ce sensus fidei, aux yeux des rédacteurs, permet aux laïcs de participer au triple pouvoir du Christ à travers l’expression du vote : « le droit de vote n’est pas seulement délégué par les clercs à des “laïcs”, mais il est propre ; il ne doit pas être sanctionné par le pouvoir enseignant ». 

Enfin, du côté de l’objet, il ne faut pas croire que les choses ne puissent évoluer car « la tradition vivante n’est pas figée, et continue à s’écrire à l’époque où nous vivons. Nous voulons reprendre les impulsions du concile Vatican II. (…) Nous comptons sur l’instinct du Peuple de Dieu pour trouver le chemin de la foi dans la liberté ». 

Il est nécessaire de repenser complètement le pouvoir dans l’Eglise 

Le maître mot de la réforme proposée est la séparation et le contrôle du pouvoir : « Aujourd’hui, il est important de partager, de justifier et de contrôler le pouvoir, ainsi que de promouvoir et de rendre obligatoire la participation ». Pour cela « des procédures efficaces dans une séparation claire des pouvoirs devraient être introduites pour toutes les formes d’exercice du pouvoir par l’Eglise. (…) Cela signifie en particulier que la direction de l’Eglise, la législation et la juridiction ne sont pas entre les seules mains de l’évêque. (…) Tout le Peuple de Dieu doit être impliqué dans la législation ». 

Il faut donc établir, lors du chemin synodal « un cadre dans lequel les droits et devoirs des fidèles, qu’ils soient laïcs ou ordonnés, puissent s’exercer à l’occasion des consultations et des décisions de l’Eglise catholique, depuis la nomination des évêques et des pasteurs jusqu’à la responsabilité des titulaires de charges, en passant par le contrôle et la prise de décision en matière de stratégie financière, de personnel et de pastorale ». 

Ceci implique que « pour tous les postes de direction, les processus de sélection devraient être introduits sous forme d’élections et de délibérations avec la participation de l’ensemble du Peuple de Dieu, représenté de manière adéquate par des élus. Tous les dirigeants doivent être contrôlés et tenus pour responsables, tant devant des organes démocratiquement élus que devant un pouvoir judiciaire indépendant ». 

Quant au pouvoir d’ordre, « la question des conditions d’admission aux ministères et aux offices ecclésiastiques sera examinée selon le critère de la justice de genre 1 , en se fondant sur la théologie du baptême, de sorte que l’Eglise puisse mieux accomplir sa tâche d’annonce de l’Evangile ». Dans ce contexte « l’accès aux ministères ecclésiaux doit également être clarifié, y compris l’accès au ministère ordonné. Dans le chemin synodal, l’accès des prêtres mariés et des femmes à ces ministères, y compris le ministère ordonné, doit être ouvertement débattu ». 

L’Eglise en Allemagne est déjà dans le schisme 

Le premier document préparatoire du chemin synodal manifeste un état d’esprit déjà établi dans le schisme, voire dans l’hérésie. Voilà où conduit la révolution ecclésiologique dont les germes ont été semés dans les textes du concile Vatican II, en particulier dans la constitution sur l’Eglise, Lumen gentium. 

Les allégations contenues dans le document selon lesquelles l’ecclésiologie classique serait une invention du XIXe siècle sont absurdes et impies. L’affirmation constante d’un triple pouvoir – sacramentel, juridictionnel et magistériel – réservé au clergé, depuis la tonsure jusqu’à l’épiscopat qui possède la plénitude du pouvoir d’ordre, est un élément de foi définie qui n’a pas été inventé hier. 

De plus, si le baptême confère à tous le titre de membre de l’Eglise – pourvu qu’il soit conféré dans la foi catholique et dans la soumission à la hiérarchie –, il y a en revanche, quant au pouvoir et son exercice, une hiérarchie. L’existence et les degrés de cette hiérarchie font partie du dépôt de la foi. 

De plus le sacerdoce « commun » des fidèles diffère essentiellement du sacerdoce conféré par la sainte ordination ; il ne peut être exercé que de manière passive, c’est-à-dire sous la direction et la soumission au sacerdoce que confère le sacrement de l’ordre. A ce point de vue, il n’y a pas égalité. C’est également un enseignement de foi catholique. 

Quant au sensus fidei, contrairement à ce qui est affirmé dans le document préparatoire, et contrairement à ce qu’enseigne le pape François dans Evangelii gaudium (n° 119), il n’est pas un moyen pour découvrir de nouvelles vérités, ni même une sorte d’intuition destinée à être ensuite formulée par la théologie. Ce sensus fidei dépend essentiellement de l’enseignement du Magistère, sans omettre l’onction du Saint-Esprit. Autrement, ce serait tomber dans la conception d’une Eglise devenue une sorte de communauté charismatique participant à l’élaboration du dogme à égalité avec la hiérarchie divinement instituée (cf. Abbé Jean-Michel Gleize, « Le sens de la foi, principe et fondement d’une Eglise synodale ? » in Le Courrier de Rome, octobre 2015). 

Le pape Pie VI a condamné, dans son bref Super soliditate Petrae contre le fébronianisme (1786), la proposition suivante : « Le Christ a voulu que l’Eglise soit administrée à la manière d’une république ». En effet, les pouvoirs dans l’Eglise sont ordinairement réunis, par la volonté de son divin Fondateur, dans la personne de l’évêque, et spécialement celle du pape, ainsi que, de manière subalterne, dans le prêtre. Il ne saurait donc être question de les séparer habituellement. 

Enfin, il est défini de foi divine que le sacerdoce ne peut être conféré qu’aux hommes, à l’exclusion des femmes. 

Il n’y a plus qu’à se demander sous combien d’anathèmes ce texte peut tomber… 

Pour les lecteurs qui aimeraient prendre connaissance du texte complet du document commenté dans cet article, le PDF est disponible ici dans une traduction française de travail. 

Pour ceux qui lisent l’allemand, vous pouvez le télécharger sur ce lien

  • 11 La justice de genre désigne l’absence de discrimination dans l’exercice des droits positifs des personnes. Elle est tributaire de l’idéologie du genre.

Le cardinal Reinhard Marx à Francfort en 2020