Benoît XVI attaqué en Allemagne

Source: FSSPX Actualités

Le site Katholisch a publié le 21 mars 2018 une tribune contre le pape émérite, intitulée « le retour du Panzer Kardinal ». Elle se veut une réponse aux réserves émises par Benoît XVI à l’encontre d’un célèbre théologien progressiste.

Joachim Frank, président de l'Association des journalistes catholiques allemands, a écrit une tribune datée du 21 mars 2018 et publiée la veille de Pâques sur le site officiel de l’Eglise catholique en Allemagne – katholisch.de. Il y attaque l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui exerça ses fonctions de 1980 à 2005 au palais du Saint-Office avant d'occuper le trône de Pierre de 2005 à 2013.

Rappel des faits

Le 12 mars dernier, lors de la présentation officielle d’une collection de livrets sur la théologie du pape François, le préfet du Secrétariat pour la communication, Mgr Dario Vigano, avait lu une lettre de Benoît XVI datée du 7 février 2018 censé applaudir à cette initiative. Mais cette lettre, confidentielle et personnelle, avait été tronquée. Le fiasco de cette opération de communication se solda par la démission de Mgr Vigano, le 21 mars. – voir notre article

Lorsque la lettre fut intégralement publiée, le 17 mars, un paragraphe fit sensation : le pape émérite s’étonnait qu’on eût choisi, parmi les contributeurs de ces livrets, le théologien Peter Hünermann qui, en son temps, avait attaqué à plusieurs reprises son magistère pontifical ainsi que celui de son prédécesseur, Jean-Paul II, prenant même part à plusieurs « initiatives anti-papales ».

Dans son article, Joachim Frank prend la défense d'Hünermann et répand son fiel à l'encontre du pape émérite : « on ne peut s'empêcher de se demander combien de conflits internes à l’Eglise au cours des 30 dernières années auraient pu être évités si le ‘grand théologien’ revêtu de ses vêtements de cardinal et de pape n’avait pas fait preuve de mesquinerie et d'étroitesse d’esprit ».

Le journaliste allemand déplore que Benoît XVI ne se souvienne pas de Peter Hünermann comme de l’homme qui a co-édité « le commentaire magistral en cinq volumes sur le concile Vatican II » – il s'agit de l'ouvrage paru entre 1997 et 2005, Histoire du concile Vatican II, sous la direction de Giuseppe Alberigo. Il lui reproche de ne voir en lui que le théologien critique des papes, et le « co-initiateur » de la « Déclaration de Cologne ». Celle-ci avait été signée par plus de 200 professeurs de théologie qui se « révoltaient contre le style autoritaire de la direction de Jean-Paul II », dénonçaient une centralisation du pouvoir à Rome et « ciblaient aussi leur ancien collègue Ratzinger ».

En défense de Benoît XVI

Une des premières réactions en soutien à Benoît XVI est venue de Joseph Shaw, professeur à l'Université d’Oxford et porte-parole de ceux qui ont signé la Correction filiale au pape François.

L’universitaire a réagi sur le site d'informations Life Site News, estimant « qu'il est injuste de peindre le pape émérite comme un homme rongé par la rancune ». Selon lui, « l’image du ‘Panzer Kardinal’ relève du mythe fabriqué de toutes pièces par ceux qui, n'étant pas d'accord avec les positions de Benoît XVI, n'ont pas la capacité de former des arguments convaincants », affirme-t-il.

Joseph Shaw s'est également opposé à l'idée que le pape émérite ne devrait pas être autorisé à s'exprimer en privé : il a « certainement le droit d'exprimer son point de vue sur l'aptitude d'un théologien particulier, dans une lettre qui, de toute évidence, n’était pas destinée à être publiée », argumente-t-il.

 

Joseph Ratzinger, lorsqu'il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Du théologien modernisant au Panzerkardinal

L'expression de Panzerkardinal remonte à l'époque où Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, s'efforçait de corriger les abus dans l'enseignement du catéchisme et de freiner les dérives les plus criantes des années 80 en matière liturgique ou morale... tout en accompagnant les initiatives les plus scandaleuses de Jean-Paul II en matière d'œcuménisme et de dialogue interreligieux, et en justifiant les nouveautés conciliaires contraires au magistère antérieur, comme la fausse liberté religieuse. S'il dénonça un esprit du Concile contraire à la lettre de ses textes, ce fut pour mieux défendre l'œuvre et les réformes entreprises au nom de Vatican II par Paul VI et Jean-Paul II.

En fait, comme le rappelait la journaliste Mounia Daoudi au moment de l'élection de Joseph Ratzinger sur le trône de Pierre en 2005 : « celui que ses détracteurs ont surnommé le Panzer Kardinal n’a pas toujours été aussi rigoriste. Certains de ses étudiants – ce théologien de renom a enseigné plusieurs années à l’université de Tübingen – osent même le qualificatif de progressiste pour désigner le penseur moderniste qu’il était à ses débuts. Joseph Ratzinger a en effet joué un rôle de premier plan au concile Vatican II où il fut le peritus – l’expert – du cardinal Frings, archevêque de Cologne. Ironie de l’histoire, c’est lui qui rédigea le célèbre discours dans lequel Joseph Frings qualifia la Congrégation pour la doctrine de la foi [alors Saint-Office] – dont il présidera aux destinées pendant près d’un quart de siècle – de source de scandales ».

Théologien d'avant-garde, Joseph Ratzinger fut en effet suspecté de modernisme au moment de soutenir sa thèse, qu'il amenda pour obtenir son diplôme. Lecteur de Lubac et Congar au moment des sanctions qui touchaient les deux théologiens – jésuite et dominicain –, proche des milieux progressistes, fréquentant Karl Barth ou Karl Rahner, admirant Küng ou Schillebeeckx, Joseph Ratzinger milita longtemps pour la réformation générale de la théologie et de l'Eglise dans son culte comme dans son gouvernement. Il entendait revenir aux Pères de l'Eglise pour mieux contourner saint Thomas d'Aquin, le docteur commun de l'Eglise, qu'il trouvait sclérosé ou trop stéréotypé.

A partir de 1968, il prit ses distances avec les progressistes gagnés au marxisme, mais resta toute sa vie attaché aux nouveautés du concile Vatican II, nouveautés qui puisent leurs racines dans les valeurs libérales de l'humanisme athée et dans les philosophies modernes héritées des Lumières, comme l'existentialisme, l'historicisme, etc. Autant de courants de pensée contre lesquels Pie XII avait mis en garde dans son encyclique Humani generis en 1950...

Il est piquant de voir Benoît XVI accusé aujourd'hui de mesquinerie et d'étroitesse d'esprit, alors que théologien il ne se privait pas de reprocher ces mêmes travers au pape Pie XII et à l'Eglise de son temps. Une clé de lecture pour comprendre cette évolution nous est donnée par saint Pie X dans son encyclique Pascendi Dominici gregis sur le modernisme.

Le modernisme crée une tension permanente entre autorité et progrès

Le saint pape explique comment la foi moderniste est un principe qui conduit l'Eglise à être en perpétuelle évolution, vu que – selon elle – Dieu se révèle continuellement dans l'histoire à travers les phénomènes vitaux et les surgissements du divin au tréfonds des consciences. L'Eglise se définit dès lors comme essentiellement dynamique, avançant par soubresauts de type hégélien : elle progresse par le conflit entre les nécessités de l’unité ecclésiale qui résulte de la conscience collective, et le besoin de forces vitales et nouvelles discernées par les théologiens. Ceux-ci jouent alors le rôle de prophètes pour indiquer, à travers les signes des temps, quelles sont les évolutions à accomplir.

Par conséquent, il y a d'une part la nécessité de l’autorité, et donc de la tradition qu’elle défend par instinct naturel – l’autorité est naturellement conservatrice –, et d'autre part le besoin de la force progressive et dynamique qui « couve et fermente dans les consciences individuelles », surtout chez celles « qui sont en contact plus intime avec la vie » (les « prophètes »).

Dans l’Eglise en évolution, c’est « en vertu d’une sorte de compromis et de transaction entre la force conservatrice et la force progressive que les changements et les progrès se réalisent. Il arrive en effet que les consciences individuelles, certaines du moins, réagissent sur la conscience collective : celle-ci, à son tour, fait pression sur les dépositaires de l’autorité, jusqu’à ce qu’enfin ils viennent à composition ; et, le pacte fait, elle veille à son maintien. » (Pascendi, § 36)

Concrètement, en vertu de ce compromis, un théologien tant qu’il n’a pas d’autorité joue un rôle de force progressiste pour faire évoluer le système, parce qu’il est une conscience individuelle plus consciente de la vie – il est « prophète » – mais s’il reçoit quelque autorité, son rôle est alors d’être une force conservatrice et de laisser les consciences individuelles dirent le sentiment du divin qui est en elles afin de préparer les nouveaux changements. Cela explique aussi comment une même personne pourra en tant que théologien ou penseur avoir des idées progressistes, mais en tant que préfet d’un dicastère ne pas vouloir les appliquer. D'où les rancunes venimeuses de ses anciens condisciples.