Chine-Vatican : l’étrange volonté du Saint-Siège d’être dupé (3)

Source: FSSPX Actualités

Les deux premiers articles ont présenté deux délégués chinois à la conférence sur le 100e anniversaire du premier concile chinois, tenue à Rome le 21 mai dernier : Mgr Joseph Shin Ben, évêque de Shangaï, vice-président de l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC) et Mme Zheng Xiaojun, pièce importante de la politique de sinisation des religions.

Ils ont montré l’alignement des deux interventions sur la doctrine du Parti communiste chinois (PCC) en matière de religion, et sur les organismes chargés d’appliquer cette politique religieuse, en particulier l’Association patriotique des catholiques chinois – dépendant du PCC – et le Front uni, qui diffuse la pensée des dirigeants chinois, et donc la “sinisation” en matière de religion.

Mais pour « vouloir être dupé », il faut être deux : celui qui trompe, et celui qui est dupé. Il faut donc maintenant examiner la position du Saint-Siège, telle qu’elle est déjà connue et telle qu’elle s’est exprimée dans les interventions qui ont été présentées devant les conférenciers.

Les conférenciers se trompent complètement de cible

Ce qui frappe dans les interventions consultables – celle du pape François, du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, du cardinal Luis Antonio Tagle, pro-préfet du Dicastère pour l’Evangélisation, et de Gianni Valente, directeur de l’Agence Fides – c’est le sentiment d’assister à une erreur tragique : une focalisation sur le passé pour le flageller, et un oubli assez profond du présent.

Certes, la conférence porte sur un concile centenaire ; certes, il a une histoire, une orientation, un déroulement, des décisions, qui ont été déterminés par les problèmes de l’époque et par l’état des missions dans l’Eglise, état qui pouvait sûrement être amélioré, mais qui représentait un élan missionnaire peu commun accompli au XIXe siècle.

Certaines interventions portent des jugements injustes, voire téméraires, par leur généralité. Ainsi François dit, au sujet des évêques présents à ce concile : « Ils venaient presque tous de pays lointains et, avant le concile, nombre d’entre eux n’étaient pas encore prêts à envisager de confier la direction de leurs diocèses à des prêtres et à des évêques nés en Chine. » Ce qui paraît franchement exagéré.

Le cardinal Tagle a lui aussi commis cette erreur de perspective, lorsqu’il dit par exemple : « Aujourd’hui, nous avons appris que de nombreux décrets du Conseil de Shanghai visaient à empêcher que le christianisme soit encore présenté et perçu comme une idéologie religieuse imposée par d’autres civilisations, ou comme une forme d’impérialisme religieux. »

L’inculturation est également fortement soulignée dans l’intervention du pro-préfet. Et il affirme que « c’est ainsi qu’est née une Eglise chinoise (…) qui vit sa physionomie et son identité autochtones non pas comme un replis sur soi ou une fermeture, mais toujours dans l’ouverture à l’Eglise universelle et aux autres Eglises locales ». C’est bien ce qu’il faudrait prouver !

Le cardinal Tagle se permet même d’affirmer que « (Mgr) Constantini et tant de Pères du Conseil de Shanghai seraient heureux de reconnaître qu’aujourd’hui la communauté des catholiques baptisés en Chine est pleinement catholique et pleinement chinoise ». Voilà encore une affirmation plus qu’hasardeuse, car l’APCC n’est pas catholique, mais franchement schismatique.

Le cardinal Parolin a axé son discours sur deux piliers : à côté de la nécessité de l’indigénisation du clergé chinois et de l’inculturation, qui ont occupé une bonne partie du travail du premier concile chinois, il a souligné l’exigence fondamentale du lien avec le successeur de Pierre. Et par ailleurs, « la nécessité pour le Saint-Siège et les autorités chinoises d’établir un dialogue direct entre eux ».

Il est difficile de ne pas comprendre l’allusion à la situation actuelle : il est bien connu que le secrétaire d’Etat est à l’origine de l’accord sino-Vatican ; et il désire ardemment ouvrir un canal diplomatique permanent, quel qu’il soit, avec la République populaire de Chine. Mais, en tout cela, il y a un grand absent : le réel et la réalité du catholicisme en Chine.

Les justes réflexions du directeur d’Asianews

Le P. Gianni Criveller, de l’Institut pontifical pour les missions étrangères (PIME), actuellement directeur éditorialiste de l’agence Asianews, dont la rédaction est confiée à cet Institut, connaît bien la situation en Chine, et représente une voix écoutée. Il prend régulièrement la plume pour présenter la situation des catholiques chinois, sans fard et avec conviction.

Le compte rendu qu’il a donné de la conférence est instructif. Tout en reconnaissant des erreurs dans la manière d’aborder la mission, il affirme « qu’il est injuste de réduire l’histoire missionnaire du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle à un exercice de colonialisme et d’impérialisme ». Il ajoute que Mgr Constantini ne pouvait accepter que l’on dénigre le mouvement missionnaire.

Et de pointer : « Malheureusement, ces jugements négatifs sont utilisés pour justifier la politique religieuse des autorités chinoises et ont parfois été entendus, bien que de manière nuancée, dans certains discours prononcés lors des conférences mentionnées. » Il poursuit : « J’ai lu des milliers de lettres de missionnaires PIME de Chine : ils ne sont pas partis en mission – décision alors sans retour – pour favoriser le colonialisme de leur pays, mais pour évangéliser et pour “le salut des âmes”. »

Plus loin, le P. Criveller conclut vigoureusement ce point : « Réduire un siècle d’activité missionnaire à un épisode de colonialisme nous semble une réinterprétation idéologique commode pour justifier des positions politiques illégitimes. (…) Et en passant sous silence les campagnes de persécution religieuse, qui ont causé tant de souffrances dans les communautés de catholiques chinois, dont le seul tort était d’adhérer à une foi universelle. »

Le missionnaire PIME poursuit avec une grande justesse : « Les missionnaires étaient des enfants de leur temps : ne le sommes-nous pas ? Et que dira-t-on de nous dans cent ans ? Dira-t-on que nous avons été beaucoup trop conciliants face à de graves violations de la liberté du peuple chinois et des droits humains et religieux de tant de croyants de diverses religions ? » Une question que les diplomates du Saint-Siège feraient bien de se poser.

Enfin, vient le dernier clou dans le cercueil de cette conférence : « Nous, qui n’avons pas de rôle diplomatique mais ne voulons pas manquer à notre responsabilité, ne pouvons nous empêcher de rappeler ce simple fait : le problème fondamental de l’Eglise en Chine aujourd’hui, c’est sa liberté. Liberté, ou émancipation, non pas par rapport aux nationalismes passés, mais par rapport au nationalisme actuel. »

Tout le problème est là en effet : l’Eglise n’est pas face au nationalisme porté par la République de Chine et le Kouo-Min-Tang, mais par la République populaire de Chine et le PCC, ce qui n’est franchement pas la même chose. Et tant le communisme en général que le PCC en particulier sont des ennemis irréductibles de la religion et du catholicisme, qui useront de toutes les armes – le mensonge et la tromperie compris – pour détruire la religion.

C’est ce que ne comprend plus la diplomatie vaticane et qui fait tant souffrir les catholiques chinois fidèles et leur meilleur porte-parole, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun. Et l’impression, pour qui analyse de l’extérieur, est bien ce sentiment que le Saint-Siège veut se laisser tromper. Pour quelles obscures raisons ?