Les 50 ans de la nouvelle messe : de la propitiation à l’action de grâces

Source: FSSPX Actualités

La première réaction face au sabordage de la liturgie catholique est le Bref examen critique de la nouvelle messe. Ce document, élaboré par quelques théologiens, révisé et présenté par les cardinaux Ottaviani et Bacci, est daté du 5 juin 1969, jour de la Fête-Dieu. Le présent article en achève la lecture commencée dans les deux articles précédents.

Le changement d’optique constaté dans le Bref examen critique correspond, en fait, à une manière nouvelle de considérer le péché. Ce dernier est considéré, dans la messe, sous un double aspect : il est un obstacle à l’agrément de l’offrande (Mt 5, 24), mais le sacrifice agréé de Dieu en sera l’antidote (He 9, 28).

Tout en reconnaissant que l’homme a besoin de se convertir, le nouveau missel suppose dès le début du rite une situation de paix totale avec Dieu : l’homme repenti, il n’y a plus d’obstacle à l’offrande, ni de la part de Dieu, ni de la part de l’homme. Alors que le missel traditionnel rappelle qu’il faut d’abord purger la peine due au péché. Aussi implore-t-il Dieu pour qu’il agrée l’offrande malgré cette indignité, en s’appuyant sur la médiation du Christ et les mérites des saints.

Quant aux fruits, le nouveau missel demande certes la divinisation apportée par Jésus-Christ, mais jamais n’apparaît le souci des peines dues au péché passé. En un mot, tout ce qui a trait à la peine due au péché n’est plus objet de prière, et le regret de la faute est, en outre, fortement minimisé.

L’offrande et le regret du péché

Dans le missel traditionnel, les prières de componction reviennent souvent : Confiteor, Oramus te, Aufer a nobis, Munda cor, In spiritu humilitatis, Incensum istud, Lavabo. Le nouveau missel a appauvri considérablement cette disposition de l’âme à la contrition. C’est à travers le seul acte pénitentiel du début, lui-même réduit, que les fidèles regrettent leurs fautes. Le célébrant en dit quelques-unes « en son nom propre » : le Per evangelica dicta, le In spiritu humilitatis, et le verset Lava me. Cet appauvrissement est aggravé par les traductions : le In spiritu et humilitatis et animo contrito devient « humbles et pauvres », exit la contrition.

Une âme pardonnée n’a pas encore accompli toute justice si elle n’a pas supporté la peine due au péché. Le missel traditionnel souligne cette indignité partielle en réclamant l’acceptation du sacrifice par Dieu comme une grâce imméritée : plus de dix fois, durant l’offertoire ou le canon, l’Église le demande à Dieu. Ces demandes ont disparu du nouveau missel (sauf du canon I) et seules les Prières eucharistiques III et IV emploient une fois le mot respice – regardez (avec pitié) –, après la consécration.

De plus, l’Église recourt à la médiation de Jésus-Christ et des médiateurs subordonnés, les saints, en particulier dans le Te igitur ou le Supplices, ainsi que par la clausule – ou finale des prières – Per Christum Dominum nostrum. Ces recours et la clausule ont disparu du corps des nouvelles prières eucharistiques (et le Per Christum Dominum nostrum est devenu facultatif dans la première prière eucharistique). Le recours à la médiation du Christ réapparaît avec le Per ipsum, mais se situe dans une anticipation de la liturgie céleste.

Quant à l’intercession des saints, le nouveau missel a supprimé le Confiteor, l’Oramus te, le Per intercessionem, le Suscipe sancta Trinitas et le Communicantes où elle était demandée. Il n’est jamais fait mention de leurs mérites. Le nouveau missel a également supprimé la plupart des deux cents oraisons dans lesquelles le missel traditionnel invoque le mérite des saints : il n’en reste plus que trois.

La satisfaction des peines dues au péché

La méconnaissance des peines dues aux péchés, et à travers elle de la justice divine, apparaît dans les fruits attendus de la messe. Les modifications apportées aux oraisons sont caractéristiques. On n’y prie plus pour être « purifié des taches de ses péchés » (comme on le demandait dans plusieurs messes fériales de carême) ; ni de « porter de dignes fruits de pénitence » (messe de saint Raymond de Peñafort), ni de méditer la passion du Christ (saint Paul de la Croix), ni de s’associer aux douleurs de Notre Dame (Servites), ni de porter dans notre corps la mortification de la Croix pour la gloire de Dieu (saint Luc).

La liturgie des défunts est particulièrement caractéristique à ce sujet, qui omet de citer les peines dues au péché. Le Novus Ordo Missæ (NOM) voile tout ce qui a trait aux âmes du purgatoire et demande seulement « reçois-les dans ton royaume » (Prière eucharistique III) ou « dans ta lumière auprès de toi » (Prière eucharistique II). La Prière eucharistique IV ne demande rien pour les défunts : « Souviens-toi » …

Et que dire de la messe des funérailles elle-même ? Le nouveau missel insiste sur le bonheur de ciel et la résurrection, aussi a-t-il supprimé le trait, le Dies iræ et l’antienne d’offertoire qui manifestent la propitiation.

Cette disparition de la dimension propitiatoire est l’aboutissement logique de ce qui a été signalé précédemment : si la messe est considérée en premier lieu comme mémorial plutôt que comme sacrifice, si la présence du Christ prêtre et victime tend à se fondre dans une présence très générique du Christ et de ses mystères, il est logique que la finalité propitiatoire du sacrifice soit délaissée au profit de la louange d’action de grâces.

C’est ce qui explique la forte inflation de l’adjectif « eucharistique » dans l’Institution générale du Missel romain (IGMR) – « célébration eucharistique » se retrouve 17 fois, « liturgie eucharistique » 6 fois, « prière eucharistique » 32 fois, mais « sacrifice de la messe » n’apparaît que 2 fois, dans le même article.

Nous sommes ainsi en présence d’une liturgie de sauvés – celle du « peuple des rachetés » (Memento de la Prière eucharistique III). Au lieu d’une application, par la médiation du célébrant agissant in persona Christi, des satisfactions et mérites que le Christ a acquis par son sacrifice rédempteur, on voit tout un peuple qui, dans l’action de grâces, célèbre une rédemption déjà pleinement accomplie (IGMR 54).

Le concile de Trente a défini, contre les protestants, ceci : « Si quelqu’un dit que le sacrifice de la messe n’est qu’un sacrifice de louange et d’action de grâces, ou simple commémoration du sacrifice accompli sur la croix, mais n’est pas un sacrifice propitiatoire (…) : qu’il soit anathème », Denzinger n°1753.

Certes, le NOM ne dit pas explicitement que la messe n’est pas un sacrifice propitiatoire, mais il le dit par omission ou par prétérition. Il veut plaire aux protestants, selon la consigne de Paul VI observée dans sa préparation, et appliquée par le P. Bugnini. (Cf. Les 50 ans de la nouvelle messe : la dimension œcuménique de la réforme-2.) C’est l’un des aspects les plus notables des nouveautés introduites par le NOM, et l’un des plus graves au point de vue doctrinal.