Les 50 ans de la nouvelle messe : à la veille du Concile

Source: FSSPX Actualités

Le schéma sur la liturgie, rédigé par la commission préparatoire sur la liturgie, est le fruit du Mouvement liturgique et plus spécialement de l’activité de Mgr Annibal Bugnini, secrétaire de cette commission. Il fut validé par la commission centrale préparatoire et fut le seul schéma intégralement conservé par les Pères du Concile. 

Il existe plusieurs témoignages sur l’activité de Mgr Bugnini et sur ses méthodes. Elles sont caractéristiques d’un esprit moderniste et leur exposition montre comment et par quels genres de personnages le concile Vatican II a été conduit. 

Larvatus prodeo 

Descartes écrit en préambule de sa philosophie : « Les comédiens, appelés sur la scène, pour ne pas laisser voir la rougeur sur leur front, mettent un masque. Comme eux, au moment de monter sur ce théâtre du monde où, jusqu’ici, je n’ai été que spectateur, je m’avance masqué [larvatus prodeo] 1 ». 

Mgr Bugnini aurait pu reprendre cette devise du mathématicien et philosophe français, comme l’illustrent plusieurs épisodes de sa vie. 

C’est ainsi qu’il participa, du 16 au 22 septembre 1946, à une session du Centre de Pastorale Liturgique français, présidée par Mgr Raoul Harscouët, évêque de Chartres. Les théories qui furent développées durant cette session étaient très avancées. Le P. Pie Duployé, o.p., a raconté quelle fut l’attitude du P. Bugnini : « Le Père écouta très attentivement, sans dire un mot, pendant quatre jours. Comme nous revenions à Paris, et que le train passait à la hauteur de la pièce d’eau des Suisses, à Versailles, il me dit : “J’admire ce que vous faites, mais le plus grand service que je puisse vous rendre est de ne jamais dire à Rome un mot de tout ce que je viens d’entendre”2 ». 

Dans une autre occasion, il révéla la manière qu’il fallait employer pour faire avancer ses idée. Une sorte de discours de la méthode, qui illustre la devise cartésienne. C’était le 11 octobre 1961, lors d’une réunion de la commission préparatoire de liturgie. Il expliqua à quelques membres et consulteurs de cette commission : « Le plus ennuyeux pour les articles de notre Constitution serait qu’ils fussent rejetés par la Commission centrale, voire par le Concile lui-même. C’est pourquoi il faut que nous marchions prudemment et discrètement. 

« Que prudemment les choses soient proposées sous un biais acceptable, soit, à mon avis, en des termes tels qu’on dise beaucoup sans que rien ne paraisse dit : qu’on dise beaucoup en germe seulement et ainsi qu’une porte soit laissée ouverte à des déductions et des applications postconciliaires légitimes et possibles ; que rien ne soit dit qui sente trop la nouveauté, aucune de ces choses qui, même insignifiantes et innocentes, pourraient contredire tout le reste. Il faut avancer discrètement. Il ne faut pas tout demander au Concile ni tout exiger de lui, mais l’essentiel, les principes fondamentaux 3 ». 

 

  • 1 Descartes, Œuvres philosophiques, éd. Alquié, I, p. 45
  • 2P. Duployé, Les Origines du Centre de Pastorale Liturgique, Salvator, 1968, p. 320.
  • 3Angelo Lameri, La « Pontificia Commissio de sacra liturgia praeparatoria Concilii Vaticani II ». Documenti, Testi, Verbali, Rome, CLV-Edizioni Liturgiche, 2013, p. 433. Rapporté par Y. Chiron, Annibale Bugnini, p. 92.

Mgr Annibale Bugnini (1912-1982)

Principes de son activité réformatrice 

Le P. Bugnini a longuement exposé les principes de la réforme liturgique tels qu’il les concevait, en particulier dans ses Mémoires qui ne parurent qu’après sa mort. Ils étaient partagés par de nombreux protagonistes du Mouvement liturgique. Parmi ses soucis : « Je me demandais s’il n’était pas possible de rajeunir la liturgie, en la “débarrassant” des superstructures qui, dans le cours des siècles, l’ont lourdement encombrée 4 ». C’est un des leitmotivs des néo-liturges, condamné, on l’a vu, par le pape Pie XII dans l’encyclique Mediator Dei : les rites plus récents « sont dignes d’être honorés et observés puisqu’ils sont nés sous l’inspiration de l’Esprit-Saint ». 

Le P. Bugnini, cheville ouvrière du schéma conciliaire, pensait aussi la liturgie à travers la pastorale, comme tout le Mouvement liturgique. Il expose ainsi, vers 1957, les éléments essentiels de la pastorale liturgique :  

« 1. Participation active et consciente de tous les fidèles à la liturgie. 

2. Sens communautaire plus vivant, c’est-à-dire sens de la “sainte assemblée”. 

3. Retour accentué aux sources bibliques, patristiques et liturgiques. 

4. Utilisation de l’action dans la liturgie. 

5. Large utilisation du chant religieux populaire 5 ». 

Le premier principe est celui de la participation « active » conçue avant toute comme une participation extérieure, communautaire, « objective ». Ce qui s’oppose encore à l’encyclique Mediator Dei, car la véritable participation est avant tout intérieure, intime et surnaturelle. C’est assimiler la liturgie d’abord à une activité humaine. 

Une équipe bien rodée 

Comme il a été dit dans un article précédent, nombre de représentants du Mouvement liturgique étaient présents dans la commission préconciliaire de liturgie, comme membres ou comme consulteurs. Ils se connaissaient très bien, témoigneront-ils. Ainsi dom Bernard Botte : « Ces équipes avaient déjà travaillé ensemble depuis plus de dix ans. La constitution sur la liturgie devait être l’aboutissement du Mouvement liturgique6 ». 

Le P. Aimon-Marie Roguet, o.p., qui les rejoignit plus tard, l’atteste de son côté. De même que le P. Pierre-Marie Gy, o.p., membre de la première heure. Artisan du Mouvement liturgique, aux côtés notamment de dom Botte et du P. Martimort, il côtoiera ces derniers dans la commission préparatoire du Concile en charge de la liturgie. Parlant de cette commission, il raconte : « Sa grande originalité était que la majorité de ses membres se connaissaient déjà, s’étant rencontrés pendant les dix années précédentes 7 ». 

Malgré son activité débordante, le P. Bugnini subit un échec personnel, qu’il vécut comme un véritable exil. Il espérait devenir le secrétaire de la Commission conciliaire pour la liturgie afin de poursuivre son travail durant le Concile. Mais à son grand étonnement, le P. Giuseppe Fernando Antonnelli, franciscain, lui fut préféré. Lui-même n’était pas même nommé membre de la Commission. Il s’en plaignit amèrement. Son cours de liturgie pastorale à l’Université pontificale du Latran lui fut également retiré, « sur ordre du Saint-Siège ». 

Cet éloignement ne durera pas. Le P. Bugnini étant devenu en 1962 un proche du cardinal Montini, qui ne l’oubliera pas lorsqu’il sera monté sur la chaire de saint Pierre. 

  • 4 Bugnini, « Liturgiae cultor et amator, servi la Chiesà ». Memorie autobiografiche, CVL-Edizioni Liturgiche, 2012, p. 49.
  • 5Yves Chiron, Annibale Bugnini, Desclée de Brouwer, 2016, p. 54.
  • 6Dom Bernard Botte, Le Mouvement liturgique. Témoignages et souvenirs, Desclée, p. 154.
  • 7« Pierre-Marie Gy, au service de la liturgie », La Croix, 2 octobre 2002.