Les 50 ans de la nouvelle messe : saint Pie X et le mouvement liturgique (3)

Source: FSSPX Actualités

Il y a un demi-siècle, le pape Paul VI imposait à toute l’Eglise une réforme liturgique au nom du Concile qui venait de s’achever. Ainsi naissait la messe de Vatican II. Elle fut aussitôt rejetée par deux cardinaux et, depuis, l’opposition à son encontre n’a pas faibli. Ce triste anniversaire est l’occasion de retracer son histoire. 

Après Dom Prosper Guéranger, qui l’a initié, le mouvement liturgique doit son élan et son épanouissement à saint Pie X, le pape qui lui a donné ses lettres de noblesse et le soutien de Rome, indispensable pour sa diffusion dans toute l’Eglise. 

Le premier article portait sur l’action de saint Pie X dans le domaine de la musique sacrée, qui lui fit poser la pierre angulaire du Mouvement liturgique : redonner à la liturgie son plein éclat, et par ce moyen faire refleurir le véritable esprit chrétien. Le deuxième a traité des décrets sur la communion fréquente et la communion des enfants. Ce troisième article examine la réforme du bréviaire et du calendrier liturgique réalisée par saint Pie X. 

Qu’est-ce que le bréviaire ?

Le terme latin breviarium signifie : sommaire ou abrégé. Le bréviaire est un livre qui réunit les prières que les moines et les clercs doivent réciter chaque jour. 

Dès les commencements de l’Eglise, les chrétiens, et surtout les moines, prirent l’habitude de prier sept fois le jour et d’ajouter une prière de nuit. Cette habitude se fixa dans les heures dites canoniales : matines qui se disent de nuit, laudes tôt le matin, prime, tierce qui est récitée avant la messe chez les moines, sexte vers midi, none et vêpres avant le souper, et complies avant le coucher. 

Ces prières sont essentiellement composées de psaumes, d’antiennes – formules qui introduisent les psaumes –, de passages de la Sainte Ecriture, de résumés de la vie des saints, d’hymnes de louanges, de répons – sorte de dialogue entre le chantre et le chœur –, et enfin d’oraisons qui sont des prières de demande faites à Dieu. Ces éléments varient selon le jour de la semaine, les temps de l’année liturgique comme l’avent, le carême, le temps pascal, etc. : c’est le temporal ; mais aussi selon les fêtes des saints, c’est le sanctoral. 

Ces prières furent progressivement réunies dans de gros volumes : antiphonaires, graduels, psautiers, hymnaires, responsorials, qui permettaient à plusieurs moines de lire ou de chanter ensemble l’office divin. Il était difficile, voire impossible de transporter avec soi ce matériel dans les voyages. L’imprimerie permit de réaliser des livres plus réduits et de les multiplier : le bréviaire était né. 

Le mot passa de la chose à son contenu : le terme désigne donc non seulement le livre en tant que tel, mais l’ensemble des prières qui composent l’office divin et leur arrangement en heures canoniales, ainsi que la structure de chaque heure en particulier. 

Il existe plusieurs bréviaires. Ainsi de nombreux ordres religieux possèdent le leur. Au cours de l’histoire de l’Eglise, il y eut de nombreux bréviaires diocésains, parallèlement au bréviaire romain. Ce qui leur est toujours commun, ce sont les huit heures et la structure générale. Ils se distinguent en revanche par l’agencement interne des heures et la diversité de certaines parties : psaumes, textes de l’Ecriture Sainte ou hymnes différents. 

Les religieux dits « de chœur », doivent chanter ou réciter ensemble l’office divin à l’église. Les clercs, depuis la réception du sous-diaconat, sont tenus de réciter intégralement le bréviaire chaque jour, ensemble ou séparément. 

Les vicissitudes du bréviaire

Il n’est ici question que du bréviaire romain depuis le concile de Trente. Ce saint concile avait demandé au pape saint Pie V de publier une nouvelle édition du bréviaire romain. Il s’agissait de corriger certains éléments, comme des fautes de latin ou des données erronées introduites dans la vie des saints. Cette édition fut réalisée et promulguée en 1568. 

Le bréviaire de saint Pie V reflète l’état achevé de la récitation des heures canoniales en usage à Rome. Il doit beaucoup à la liturgie d’Innocent III (1198-1216), enrichie par l’influence des Franciscains, et imposée vers 1270 alors que la vie religieuse à Rome était réorganisée. 

Durant trois siècles et demi, de saint Pie V à saint Pie X, le bréviaire romain ne subit aucune modification, à l’exception de l’ajout de plusieurs saints au calendrier de l’Eglise et de quelques pièces accessoires. Pourtant, dix papes et neuf commissions travaillèrent sur le bréviaire et de nombreuses propositions de réforme furent faites. Il n’y eut d’autre résultat que la formation de bréviaires « parallèles » au bréviaire romain, comme le bréviaire parisien. 

Au concile Vatican I, nombre de Pères avaient émis des doléances et demandé des changements plus ou moins importants. Les plaintes portaient sur le mauvais latin de certaines hymnes, sur la distribution des psaumes, sur l’inflation considérable du sanctoral qui occultait progressivement le temporal, sur la longueur des offices, en particulier pour les prêtres ayant charge d’âmes, surtout le dimanche. 

La plainte principale, qui n’était pas neuve, portait sur la disparition progressive du temporal à cause de fêtes se substituant à l’office du dimanche. Dans certains diocèses il ne restait qu’une dizaine de dimanches célébrés – en dehors de l’Avent et du Carême. Et parfois encore moins : un seul dans un diocèse français, menacé d’ailleurs par la mise en place de la solennité de sainte Jeanne d’Arc ! 

Pour le psautier – composé de 150 psaumes – la disparité était flagrante. Ainsi à Rome en 1902 le psaume 4 était récité 532 fois dans l’année, et sept autres psaumes 365 fois ! 23 psaumes étaient récités plus de 100 fois, le reste était réduit à quelques rares cas. Sept psaumes n’étaient jamais récités. 

Enfin la complexité était si déroutante qu’il fallait des spécialistes pour établir l’ordo des offices sur une année ! 

Les principes de la réforme de saint Pie X

Le pape Léon XIII (1878-1903) avait créé une commission de réforme au début du XXe siècle, qui cessa son office à sa mort. A la demande de certains de ses anciens membres, saint Pie X la recréa en juillet 1911. Il lui donna pour but de réaliser une réforme qui reprenne les demandes des Pères du concile Vatican I, d’autant que plusieurs évêques les reprenaient désormais à leur compte. En particulier, il était demandé de permettre la récitation de tout le psautier au cours de la semaine, de raccourcir la durée de l’office en raison de l’accroissement de l’apostolat, de restaurer le temporal et l’office dominical, ce qui entraînait par voie de conséquence une réforme du calendrier liturgique. 

Le saint pape suivit les affaires de près. Il fournit des directives concrètes rédigées de sa propre main. Tout au long des travaux, il intervint une centaine de fois. 

 

Châsse de saint Pie X dans la Basilique Saint-Pierre

Résultats de la réforme

Le 1er novembre 1911 paraissait la constitution apostolique Divino afflatu sur la nouvelle disposition du psautier dans le bréviaire romain. En réformant la structure de l’office avec une nouvelle distribution des psaumes, et en établissant un nouvel équilibre entre le temporal et le sanctoral, elle réalisait une œuvre essentielle. 

Il fallut ensuite mettre cette constitution en pratique. Jusqu’en décembre 1912, saint Pie X supervisa les instructions pour coordonner les calendriers propres à chaque diocèse, et corriger de nombreux textes.  

Dans un troisième temps, saint Pie X donna la permission de valoriser encore davantage les offices du temporal, et d’alléger le calendrier des saints. Le 23 octobre 1913 était publié le décret Abhinc duos annos. Enfin, le 25 mars 1914, le pape autorisait l’impression de l’édition « typique », devant servir de modèle et de référence aux maisons d’édition accréditées auprès de la congrégation des rites. Le bréviaire de saint Pie X était né. 

Réception de la réforme de saint Pie X

La réforme fut assez bien acceptée, mais elle fit l’objet également de nombreuses critiques, en particulier pour avoir modifié des offices qui avaient plusieurs siècles d’existence. 

A ce sujet, les auteurs de la nouvelle messe de Paul VI et du nouveau bréviaire, baptisé désormais Liturgie des heures, n’ont pas manqué d’invoquer l’exemple de saint Pie X – et de celui de Pie XII pour la réforme de la Semaine Sainte – pour justifier leur propre réforme. Ils ont même voulu y voir la marque d’une continuité. Ainsi n’hésitent-ils pas à citer le saint pape dans Abhinc duos annos, qui justifie la réforme du bréviaire par la nécessité de restaurer la liturgie romaine, afin de lui rendre sa pureté originelle et de la libérer de la « crasse du temps ». 

Pie XII a répondu à ces audacieux. Il y a une différence abyssale entre l’esprit de la réforme de saint Pie X et les modernes liturges. Ces derniers s’attachent au passé comme une sorte d’idéal, pour rejoindre ainsi l’unité antique. Ils ne considèrent que les formes, non l’esprit de la liturgie, sa tradition. Cela porte un nom donné par Pie XII : l’archéologisme ou attachement à ce qui appartient à un passé révolu. 

De plus, la Liturgie des heures a amoindri le bréviaire de Jean XXIII, qui avait déjà allégé le bréviaire de saint Pie X. Sans compter l’obligation réduite à la récitation de trois heures canoniales seulement dans la journée. Cette réduction à une peau de chagrin montre bien l’esprit qui anime les auteurs. Enfin, le nouveau calendrier liturgique a bouleversé une partie de la structure du temporal, qui avait fait l’objet des soins de saint Pie X. 

En conclusion, même si cet aspect de l’activité liturgique de saint Pie X ne se rapporte qu’indirectement à la messe, à travers le calendrier et l’adaptation de certaines rubriques du missel, il était important d’en avoir un aperçu. Il permet de mieux appréhender l’idée que le saint pape se faisait du mouvement liturgique auquel il a donné ses lettres de noblesse.