L’eugénisme hier et aujourd’hui (7) : le courant idéologique 

Source: FSSPX Actualités

L’idéologie eugénique vise à un seul but : l’amélioration de l’espèce humaine. Ses partisans prônent en conséquence un eugénisme à visée qualitative, qui comprend l’hérédité. 

L’homme devenu animal d’élevage 

En 1884, Georges Vacher de la Pouge publie ses Sélections sociales. Anticipant la fécondation artificielle et prônant l’amoralité, il reprend la conception platonicienne du choix des « reproducteurs » : « En opérant dans des conditions déterminées, un très petit nombre d’individus masculins, d’une perfection absolue, suffirait pour féconder toutes les femmes dignes de perpétuer la race, et la génération ainsi produite serait d’une valeur proportionnelle au choix plus rigoureux des reproducteurs mâles. (…) À trois générations par siècle, il suffirait de quelques années pour peupler la terre d’une humanité morphologiquement parfaite. (…) Ce délai pourrait être abrégé dans des proportions considérables en employant la fécondation artificielle. Ce serait la substitution de la reproduction zootechnique et scientifique à la reproduction bestiale et spontanée, dissociation définitive de trois choses déjà en voie de se séparer : amour, volupté, fécondité ». Notre auteur voit dans les Aryens dolichocéphales blonds l’humanité morphologiquement parfaite. 

A la même époque, en Belgique, Gustave Molinari réclame l’assimilation de l’homme aux animaux d’élevage. Il attribue le manque de soin à améliorer l’homme « à la croyance, qui a prévalu jusqu’à ces derniers temps, que l’homme se trouve placé au-dessus des lois qui régissent les autres espèce1  ». Au début du XXe siècle cette mentalité s’affirme avec assurance. 

En France, le Dr Charles Binet-Sanglé publie en 1918 Le Haras humain où il propose de recruter dans tout le pays de « bons générateurs » qui seront réunis par groupe de quarante dans des haras, où ils devront s’unir « aux femmes célibataires appartenant aux élites nationales et provinciales ». Dans ces sortes de harem, un homme s’unira à de nombreuses femmes. Binet-Sanglé ajoute que pour les « mauvais générateurs, il suffit de créer un institut d’euthanasie où les dégénérés fatigués de la vie seront anesthésiés à mort à l’aide du protoxyde d’azote ». L’eugénisme préconise l’euthanasie ; il faut tuer les adultes déficients pour obtenir de meilleures naissances : le lien est établi. 

L’eugénisme et l’élimination des inférieurs 

En 1919, le Dr Charles Richet (1850-1935), prix Nobel de médecine en 1913, publie La Sélection humaine. Son but avoué est d’améliorer l’espèce humaine. Mais, dit Richet, « on peut pratiquer la sélection de deux manières : d’une part en ne prenant pour la reproduction que les individus tout à fait supérieurs : sélection par l’élite ; d’autre part en éliminant les individus tout à fait inférieurs : sélection par l’éloignement des pires. Il semble bien que cette dernière méthode soit la seule applicable. On défendra le mariage à ceux qui n’auront pas donné quelque preuve, si médiocre qu’on voudra, d’intelligence et de robustesse 2  ». 

Priver du droit de mariage les êtres « inférieurs », voilà une conséquence inéluctable du système. Pourquoi choisir cette méthode ? Pour deux raisons : 1) « On ne voit pas comment, au milieu de nos sociétés modernes, si jalouses et si démocratiques, un groupement d’hommes et de familles pourrait se constituer, en se tenant à l’écart des autres éléments sociaux, et s’interdisant rigoureusement toute alliance avec un citoyen ne faisant pas partie de sa tribu 3  ». De plus, 2) « peut-être même une création de ce genre n’est-elle pas désirable, car il serait assez triste de laisser la plus grande partie de l’espèce humaine languir dans une relative infériorité 4  ». 

Le racisme eugénique 

Un premier but est de préserver la pureté de la race blanche. Richet est un eugéniste convaincu : « L’infériorité de la race noire est éclatante. L’œuvre de la race noire a été égale à zéro. Des millions et des millions de nègres ont respiré, vécu – et souffert aussi, les malheureux ! – sans aucun profit, ni pour l’humanité présente, ni pour l’humanité future. Toute cette immense population humaine, par suite de l’imbécillité de son intelligence, n’a pas fait avancer la marche en avant de l’humanité plus que les milliers et les milliers de bestiaux qui peuplent depuis des siècles les pampas du Sud-Amérique. (…) Tout mélange de cette race dégradée avec la nôtre ne peut être que funeste 5  ». 

Pour les peuples de race jaune le ton s’adoucit : « rien ne serait changé par l’absence de la race jaune. Nous n’y aurions perdu ni un théorème ni une expérience, ni une machine. Nous aurions quelques potiches de moins 6  ». Mais, corrige-t-il aussitôt, « le simple bon sens fait déjà supposer qu’en la croisant avec une race inférieure, on introduit dans la race supérieure un élément qui la vicie. (…) Les métis, les mulâtres, constituent une population des plus médiocres 7  ». Aussi « il faudra pratiquer non plus la sélection individuelle, comme avec nos frères les blancs, mais une sélection spécifique, en écartant résolument tout mélange avec les races inférieures 8  ». Et conclut-il « le premier principe de la sélection humaine, c’est de formellement interdire l’union des blancs avec les femmes d’une autre race, race jaune ou race noire 9  ». 

L’élimination des anormaux 

Mais ce n’est là qu’un premier but. Le second étend fort logiquement la mentalité eugéniste à l’élimination des anormaux avec une candeur incroyable, ou plutôt avec un parfait cynisme : 

« Le premier pas dans la voie de la sélection, c’est l’élimination des anormaux. En proposant résolument cette suppression des anormaux, je vais assurément heurter la sensiblerie de notre époque. On va me traiter de monstre, parce que je préfère les enfants sains aux enfants tarés, et que je ne vois aucune nécessité sociale à conserver ces enfants tarés. 

« Je n’ignore pas l’admirable dévouement des maîtres qui enseignent les sourds-muets. Je tiens l’abbé de l’Épée pour un des plus généreux et nobles esprits de tous les temps. Mais tout de même son œuvre paraît stérile. À quoi bon avoir donné un semblant de vie à des êtres imparfaits, condamnés à l’imperfection ? Où est l’avenir de pensée chez les sourds-muets ? Ces ébauches d’humanité, ces disgraciés condamnés, en eux ou en leur descendance, à être toujours des rebuts, ces pauvres avortons, doués de défectuosités physiques et de tares mentales, ne peuvent inspirer que pitié, dégoût et aversion. Pourquoi nous obstiner à conserver leur existence, malgré l’ordre formel de la nature qui veut les supprimer ? 

« À force d’être pitoyables, nous devenons des barbares. C’est barbarie que de forcer à vivre un sourd-muet, un rachitique. Ce qui fait l’homme, c’est l’intelligence. Une masse de chair vivante, sans intelligence humaine, ce n’est rien. Il y a là mauvaise matière vivante qui n’est digne d’aucun respect ni d’aucune compassion. Les supprimer résolument, ce serait leur rendre service. 

« De quel droit, dira-t-on, l’État va-t-il intervenir ? Après tout, si les parents veulent faire vivre un enfant idiot, c’est leur affaire. Soit ! et on ne va pas jusqu’à croire nécessaire le sacrifice officiel de cette piteuse existence. Mais au moins faudrait-il que l’État ne prît pas soin de ces pauvres créatures. La Nature les a condamnés, et il n’est pas bon d’aller à l’encontre d’un arrêt irrévocable que la Nature a prononcé. Laissez ces malheureux à la charge de leur familles et rassurez-vous. Au bout de quelques années il n’en restera guère. 

« Notre tâche devrait être de fortifier le dédain de la Nature pour les faibles, son mépris pour les malvenus, son aversion pour les anormaux, sa sévérité pour les avortons. Eh bien ! aveuglés par une routine que rien ne justifie nous agissons en sens inverse. Ces faibles, ces malvenus, ces anormaux, ces avortons, de toute notre puissance nous les aidons à vivre, et si par bonheur, ils n’arrivent que rarement à faire souche d’êtres aussi détestables qu’ils le sont eux-mêmes, ce n’est pas notre faute, c’est parce que la nature y a sagement pourvu. Nature vraiment plus humaine que le philanthrope, puisqu’elle n’accorde ni longue existence ni force génératrice à ces formes larvaires. 

« Nous devrions considérer la normalité comme un minimum nécessaire. (…) La religion de la douleur humaine est la seule qui soit sainte, mais notre but est précisément d’éviter quelques douleurs humaines, de sacrifier quelques créatures inférieures, pour que cette infériorité dont ils souffrent cruellement ne s’étende pas plus loin, et que d’autres créatures inférieures, vouées à une même souffrance, ne viennent pas à naître. Les vrais barbares sont ceux qui ne craignent pas de propager les déformations et les malformations, c’est-à-dire des existences condamnées à une éternelle douleur. 

« Nous n’admettons pas qu’on nous reproche la cruauté. Il n’est de cruauté que si une conscience humaine est opprimée ou supprimée. Or ces petits enfants nouveau-nés n’ont pas encore de conscience. En les arrêtant dans leur évolution, on ne leur inflige ni torture ni souffrance, car pour souffrir il faut penser, et ils ne pensent pas encore. Ah ! s’ils étaient capables de penser, ils nous remercieraient de note clémence, puisqu’ils ont la certitude d’un avenir misérable, et que nous leur avons épargné d’indicibles souffrances 10  ».

Ce long texte rassemble différents aspects de l’eugénisme : suppression de la pathologie plutôt que son traitement, nécessité d’une sélection artificielle (darwinisme social), supposition que la moindre anomalie rend malheureux, charité que l’on fait aux malformés en les éliminant, établissement d’une norme arbitraire, réduction de l’homme à ses capacités intellectuelles ou à son état conscient, ce qui ouvre des perspectives illimitées vers l’avortement, l’infanticide et l’euthanasie. 

  • 1 Cité par J. Testart, Le désir du gène, François Bourin, 1992, p. 38.
  • 2 C. Richet, La Sélection humaine, p. 205.
  • 3 Ibid., p. 110.
  • 4 Ibid., p. 205.
  • 5 Ibid., pp. 70-72.
  • 6 Ibid., p. 77.
  • 7 Ibid., p. 82.
  • 8 Ibid., p. 81.
  • 9 Ibid., p. 84.
  • 10 C. Richet, op. cit., p. 163 sv.

Hermann Joseph Muller

L’eugénisme au secours de la misère… 

Une même aspiration anime Léonard Darwin (à ne pas confondre avec son célèbre cousin Charles), qui fut un ardent partisan de l’eugénisme dès ses débuts. En 1926 il publie La nécessité de la Réforme eugénique, où il consacre tout un chapitre à l’évolution et un autre à la multiplication des bien doués. Dans Qu’est-ce que l’Eugénique  ?, paru en 1931, il fixe une norme d’élimination plus sévère que celle de Richet : « On pourra dire que nous ne faisons pas autre chose que suggérer un moyen de débarrasser d’un fardeau nos épaules et celles de nos successeurs. On pourra ajouter que si nous examinions la question du point de vue des inaptes et des inférieurs, nous arriverions à des conclusions différentes. Beaucoup des membres de ces classes mènent des vies de souffrances ; et s’ils devaient être remplacés dans les générations à venir par des citoyens sains et capables, la somme des chagrins et des souffrances qui disparaîtrait serait énorme 1  ». L’on touche ici à l’une des illusions eugéniques les plus fortes : pour supprimer la souffrance, il suffit de multiplier les bien-portants… 

En 1916 le généticien américain William Ernest Castle livre au public Génétique et Eugénique, véritable manuel qui connait une vaste diffusion dans le monde entier. Il y fait remarquer que la conception de Galton aboutit logiquement à la polygamie, car celle-ci faciliterait beaucoup plus rapidement la sélection des conjoints que la monogamie. Les enfants supérieurs issus d’une telle sélection devraient être confiés à la communauté qui les élèverait le mieux possible, avec toutes les garanties scientifiques du temps présent. Platon avait été visionnaire et précurseur. Cette mesure sera adoptée en Allemagne dans les Lebensborn, véritables haras des Jeunesses hitlériennes. 

Rappelons pour mémoire que Mein Kampf parut en 1927. Le chapitre XIe de ce livre mis à l’Index par l’Eglise, indique clairement que son auteur avait lu les travaux des eugénistes allemands. 

En 1935, c’est encore un prix Nobel (1946), le généticien américain et communiste Hermann Joseph Muller (1890-1967) qui se fait visionnaire. Il forme le vœu que l’Eugénique fournisse « la direction totale et consciente de l’évolution biologique de l’homme 2  ». En 1938, il présente sa solution dans l’eutélégénèse, ou multiplication des hommes particulièrement doués à l’aide de l’insémination artificielle. Il propose de « faire des cultures de tissus reproducteurs mâles d’hommes présélectionnés, à n’utiliser que vingt-cinq ans après la mort de l’individu afin de juger sainement de l’œuvre de l’homme (…) et aussi de juger un peu de ses gènes en examinant les caractères d’une nombre limité de ses descendants 3  ». Il se prend à rêver « qu’une telle méthode eût existé, qui nous permît aujourd’hui d’avoir des cultures vivantes de quelques-uns de nos grands disparus ». Il espère même pouvoir modifier la semence et remplacer ainsi les gènes défectueux : « Ainsi nous produirons en masse des gènes mais cela n’est que la première étape vers l’engendrement d’une créature de plus en plus sublime, un être à côté de qui les divinités mythiques du passé apparaîtront dérisoires 4  ». 

Ces imaginations sont maintenant en partie à portée de main, grâce aux techniques de congélation des spermatozoïdes. Ce qui a mené le milliardaire américain Robert Graham à proposer une insémination par des semences de titulaires de prix Nobel ! 

Vers le Surhomme 

Après-guerre, une fois passé le traumatisme produit par l’expérience allemande, les mêmes revendications réapparaissent. Le célèbre biologiste et académicien Jean Rostand (1894-1977), déclare en janvier 1969 dans la revue Atlas « qu’il y a une contradiction essentielle entre le mieux-être individuel et le bien génétique. Nous payons cher, génétiquement, le progrès médical et social ». Et il ajoute en 1970, dans Les Nouvelles Littéraires du 19 mars : « Je ne suis pas contre une eugénique qui empêcherait l’anormal de naître et même qui ferait des super normaux ». Robert Edward, biologiste anglais, « père » du premier bébé-éprouvette, déclare quant à lui : « Nous devons améliorer l’espèce humaine 5  ». 

Tout ce courant idéologique court après une chimère. Déjà saint Thomas d’Aquin remarquait : « avoir le désir de changer de nature, même si l’on concède que cela serait possible, irait contre un désir naturel. Tout individu, en effet, désire naturellement la conservation de son être, et cette conservation n’aurait pas lieu s’il se trouvait transformé en une autre chose. C’est pourquoi aucune réalité appartenant à un degré de nature inférieure, ne peut désirer un degré supérieur : l’âne ne désire pas devenir cheval, car il cesserait d’être lui-même. Il est vrai qu’en ces sortes de choses l’imagination nous trompe : l’homme en effet désire s’élever vers un plus haut degré de perfection par l’acquisition de qualités accidentelles, lesquelles peuvent lui advenir sans corruption du sujet lui-même ; et il en vient à penser qu’il peut atteindre à un degré supérieur de nature, alors qu’il ne pourrait y parvenir sans cesser d’être 6  ». 

Nul ne peut se fixer un but qu’il ne connaît pas. Il a fallu la doctrine évolutionniste pour amener l’homme à se croire en devenir du Surhomme. Comme le faisait remarquer avec humour le Professeur Jérôme Lejeune : « Pour produire des êtres plus intelligents que nous, il faudrait déjà que nous soyons plus intelligents que ces êtres-là ! » 

  • 1 L. Darwin, Qu’est-ce que l’Eugénique ?, Paris, Alcan, 1931, p. 60.
  • 2 Cité par J. Sutter, op. cit., p. 226.
  • 3 H. J. Muller, Hors de la nuit. Vue d’un biologiste sur l’avenir, Paris, Gallimard N.R.F., 1938.
  • 4 Ibid.
  • 5 ». 

    Ce courant veut aussi adopter l’élimination, comme le Dr Escoffier-Lambiotte : « Les progrès de la médecine conduisent à l’âge adulte, à l’âge de la procréation, un certain nombre sans cesse plus important d’individus porteurs d’une tare héréditaire, et l’on peut dès à présent entrevoir les conséquences de ce viol de la sélection naturelle  Le Monde, 4 décembre 1969. Le Dr Escoffier-Lambiotte milita fortement en faveur de la loi Veil légalisant l’avortement.

  • 6 Saint Thomas, Somme Théologique, I, q. 63, a. 3.