L’eugénisme hier et aujourd’hui (9) : le courant néo-malthusien 

Source: FSSPX Actualités

Thomas Malthus

Né en Angleterre au XIXe siècle (cf. article 6), le courant néo-malthusien a eu comme souci constant le développement et la diffusion des méthodes d’eugénisme négatif et quantitatif, c’est-à-dire de limitation de la population. Mais les motivations ne sont pas les mêmes avant et après la guerre. 

Un fer de lance féministe 

Avant la guerre le combat est mené surtout par des féministes, pour lesquelles le Birth Control (BC) – contrôle des naissances – est une revendication parmi d’autres. Aux Etats-Unis le chef de file est Margaret Sanger. Elle fonde en 1914 la revue La femme rebelle prônant l’émancipation de la femme et le contrôle des naissances. En 1916 elle ouvre la première clinique de BC des USA. Raciste et profondément eugéniste, la fondatrice du Planning familial a notamment déclaré : « Je pense que le plus grand de tous les péchés est de mettre des enfants au monde 1  ». 

La Ligue américaine de BC est fondée en 1921. D’autres mouvements voient le jour. « Quels sont leurs principes directeurs ? Il faut que les enfants soient : 1° conçus dans l’amour ; 2° naissent d’une mère qui les désire ; 3° soient engendrés dans des conditions qui leur assurent les meilleures chances de santé et d’éducation. Pour atteindre ces buts, il est nécessaire que chaque femme possède la liberté de restreindre le nombre des naissances, sauf lorsque les conditions de vie sont satisfaisantes. Ces ligues ont pour objet : 1° de répandre l’idée que la paternité et la maternité doivent être volontaires et que seuls les gens aptes devraient être autorisés à avoir des enfants ; 2° de lutter pour faire admettre officiellement le “birth-control”, en provoquant l’abolition des lois qui s’opposent à sa diffusion 2  ». 

En Angleterre le mouvement est conduit par Marie Stopes qui fonde en 1921 les Cliniques maternelles pour un BC constructif ; une multitude d’autres suivront, comme les Centres de bien-être féminin fondés par la Ligue malthusienne d’Annie Besant. En 1926 la Chambre des Lords autorise l’enseignement du BC. L’église d’Angleterre (anglicane) avait déjà parlé en sa faveur en 1923. 

Une autre tête de file est Miss Stella Browne, socialiste et féministe. Elle prône l’“autodétermination sexuelle” des femmes. À la Conférence Internationale du néo-malthusianisme et du Contrôle des naissances qui se tient à Londres en 1922, elle préconise la contraception mais aussi l’avortement. 

L’union des diverses associations prend le nom d’Association de Planning Familial en 1939. Elle se préoccupe des données quantitatives : « Les problèmes démographiques apparaissent à chaque page des documents qu’elle publie 3  ». Ces thèmes constitueront le principal combat de l’après-guerre. Cette association est largement reconnue par les médecins anglais. 

Dans certains pays la progression est rapide. La Hollande possède sa Ligue néo-malthusienne dès 1882 ; la Suède d’abord réticente, s’engage aussi ; le Danemark suit dès 1924. En U.R.S.S., le néo-malthusianisme reçoit un encouragement officiel en 1923. En Italie en revanche, la loi de 1926 interdit toute propagande. En Suisse les cantons catholiques s’y opposent, mais les cantons protestants l’admettent. En Belgique une loi de 1922 la réprime, et en France la loi du 31 juillet 1920 l’interdit totalement 4 . L’Inde est touchée dès 1922, mais le Japon la refuse jusqu’après la guerre. 

Ainsi, aux environs de 1930 « les pays anglo-saxons et scandinaves, pays protestants, tenaient la tête du mouvement ; par contre les pays latins, ou à dominante catholique, se montraient beaucoup plus réticents 5  ». 

La grande terreur d’après-guerre : la surpopulation 

Après 1945, la préoccupation première est d’endiguer l’“explosion démographique”. Une véritable “psychose de la surpopulation” apparaît, justifiant toutes sortes de mesures et surtout les moyens d’eugénique négative : stérilisation, contraception et avortement. 

En 1948, William Vogt, directeur de la commission pour la reconstitution des sols de l’ONU, lance un cri d’alarme dans son livre La faim du monde 6 . Il prédit une catastrophe si un plan n’est pas mis en œuvre : « La stabilisation puis la réduction de la population européenne, serait l’un des pas les plus grands que l’on puisse faire vers la paix et le bien-être du monde ». Il ajoute que « les Etats-Unis d’Europe, avec une population qui serait la moitié ou le tiers de ce qu’elle est à l’heure actuelle pourraient vraisemblablement jouir d’un standard de vie égal ou supérieur à celui des USA 7  ». 

Son axiome fondamental est que l’élévation du niveau de vie ne peut se faire que par réduction de la population. Vogt estime que le développement démographique est dû à la cessation de la sélection naturelle, du fait des découvertes en hygiène et en médecine : « L’homme trouvait à sa portée des moyens de lutter contre une longue suite de maladies, et le plus efficace instrument de limitation des populations commença à disparaître 8  ». D’où le retour à Malthus : la terre ne pourra bientôt plus nourrir ses habitants. Et la conclusion : il faut utiliser tous les moyens pour stopper l’explosion. 

En 1952, John D. Rockefeller III fonde le Conseil de la Population. Dans Enrichir la Vie il explique : « À mon avis la stabilisation de la population n’est pas un frein mis au développement de l’humanité, mais tout au contraire un soulagement qui, en multipliant les chances de chacun, rend l’homme libre de conquérir sa dignité naturelle et de développer toutes ses possibilités 9  ». Les pressions pour obtenir la légalisation des moyens de contrôle des naissances ne vont plus cesser. 

 

  • 1Interview avec Mike Wallace, Harry Ransom Center, 21 septembre 1957.
  • 2J. Sutter, « l’Eugénique », Cahiers de l’INED, n°11, PUF, 1950, p. 98.
  • 3Sutter, op. cit., p. 104.
  • 4Cf. V. Adrian, « La législation française relative à la contraception », Cahiers Saint Raphaël 28, 2e trimestre 1992, p. 115.
  • 5J. Sutter, op. cit., p. 102.
  • 6Titre original : Road to survival.
  • 7W. Vogt, La faim du monde, Hachette, 1950.
  • 8Ib., p. 85.
  • 9B. Berelson et coll., Programmes de Régulation des naissances dans le monde, Ed. du Conseil de la Population, 1977, p. 11.

Le président Lyndon B. Johnson

Apocalypse now… ? 

En juin 1965, le président Johnson déclare devant les Nations Unies : « Faisons résolument face aux problèmes grandissants de nos populations croissantes sur toutes les terres, y compris la nôtre. Et cherchons les réponses à ce qui constitue le plus sérieux défi au futur de l’humanité. Agissons en tenant compte du fait que moins de 5 dollars investis dans le contrôle de la population, équivaut à 100 dollars investis dans le développement économique 10  ». Ce qui attire ce commentaire d’Alfred Sauvy : « Si l’enjeu n’était pas aussi chargé de tragédie, nous serions tentés de parler d’enfantillage. Seulement, les économistes et démographes américains et suédois ne manquent jamais d’insérer, dans leurs modèles et raisonnements, qu’une boîte de pilules coûte beaucoup moins cher que l’éducation d’un enfant 11  ». 

En 1969, le général Draper 12 lance la formule qui fera fortune de “croissance zéro” (Zero Population Growth, d’où le nom de zegistes), formule sévèrement critiquée par Sauvy 13

En 1972 paraissent de nombreux rapports : le Mémoire à usage interne sur le rôle de l’Europe dans un monde en danger de Sicco Mansholt, vice-président de la Communauté Economique Européenne, divulgué par Georges Marchais ; le rapport Meadows du Massachussets Institute of Technology (MIT), intitulé « Les limites de la croissance 14  ». Enfin, les études du Club de Rome 15 contribuent à entretenir la psychose de la surpopulation mondiale. Les titres sont évocateurs : « Halte à la croissance », « Comment faire face au doublement de la population ? », « La stratégie de la survie », « L’humanité au tournant » ou encore « Question de survie. La révolution mondiale a commencé ».

Des apôtres se lèvent pour prédire l’apocalypse. René Dumont écrit dans l’Utopie ou la mort : « Il n’est plus possible de s’en remettre à la seule planification familiale car elle se contente d’empêcher la venue au monde des enfants non désirés. La survie de l’humanité ne peut plus être confiée au bon vouloir d’un nombre aussi élevé de procréateurs plus ou moins irresponsables. (…) Des mesures autoritaires de contrôle de la natalité vont donc devenir de plus en plus nécessaires, mais elles ne seront acceptables que si elles commencent par les pays riches et par l’éducation des autres. (…) L’abandon des petites filles dans les familles chinoises pauvres (…) ou au Japon, peuvent être considérés comme comportant une certaine sagesse. (…) En France, en Europe (…) on commencera par supprimer tous les avantages (fiscalité, logements) et surtout les allocations familiales au delà du deuxième enfant. Aux États-Unis, il faudrait aller plus loin, taxer les familles nombreuses de plus en plus lourdement avant d’en arriver à des quotas autoritaires 16  ». 

L’auteur déclarera amèrement le 31 août 1974, à l’issue de la Conférence mondiale de la population de Bucarest : « Il sera dit un jour que cette conférence s’est réunie à la veille de la plus grande famine dans le monde et ne l’a pas reconnue ». Ces propos comminatoires ont bientôt 50 ans, et la famine mondiale n’a toujours pas eu lieu. 

En 1974 paraît pour les initiés le Rapport Kissinger, qui ne sera publié que 15 ans plus tard. Il manifeste à la fois la volonté de stopper la croissance démographique par tous les moyens, mais en même temps de ne pas le faire de manière trop franche pour éviter l’échec de la Conférence de Bucarest où les USA avaient été accusés d’impérialisme : « Les Etats-Unis peuvent minimiser la suspicion de céder à une motivation impérialiste, qui se trouverait derrière l’appui qu’ils donnent aux activités populationnelles. Pour cela, il faut répéter fréquemment que la position nord-américaine découle d’une double préoccupation, à savoir : a) le droit de chaque couple à déterminer librement et de façon responsable le nombre d’enfants, et l’espacement entre ceux-ci, ainsi que l’accès à l’information, à l’éducation, et aux moyens pour agir ainsi, et b) le développement fondamental, social et économique des pays pauvres, dans lesquels la rapide croissance de la population est à la fois une cause qui contribue à et qui est la conséquence d’une pauvreté répandue 17  ». 

La même année le Dr William Shockley, Prix Nobel de physique en 1956, propose de stériliser temporairement toutes les jeunes femmes, et de soumettre l’enfantement à l’autorisation du seul gouvernement ; de plus il demande la stérilisation définitive de tous les individus au-dessous d’un certain QI, en précisant que cela concernerait surtout des individus de race noire… 

La franc-maçonnerie se met officiellement de la partie par la voix de François Corneloup, Grand Commandeur ad vitam du Grand Collège des Rites, qui déclare le 9 mars 1974 au colloque du Grand Orient réuni sur le thème « Avortement, contraception, la parole est aux femmes » : « La croissance démographique si elle se continue au rythme actuel ou ne fait que peu se ralentir, portera, bien avant la fin du siècle prochain, la population humaine à des chiffres tels que la vie deviendra impossible sur terre. C’est à cette menace qu’il faut parer pendant qu’il en est temps encore, et c’est justement ce à quoi peuvent viser contraception et avortement 18  ». 

Vingt ans plus tard, le représentant des U.S.A. à la Conférence sur la Population et le Développement du Caire, qui se tient du 5 au 13 septembre 1994, déclarera : « Le Président Clinton est profondément engagé à placer la population au premier rang des priorités internationales de l’Amérique. (…) Le gouvernement des USA croit que la Conférence du Caire manquera à ses devoirs si elle ne développe pas des recommandations et des lignes de conduites concernant l’avortement. Notre position consiste à appuyer le choix reproductif, y compris l’accès à l’avortement sûr 19  ». Depuis, toutes les conférences internationales sur la population sont obsédées par la promotion de l’avortement. 

  • 10Cité par Mattelart, Géopolitique du contrôle des naissances, Éditions Universitaires, Paris, 1967, p. 49.
  • 11In Le Monde, 14 août 1974.
  • 12Nommé représentant des U.S.A. à la Commission de la population des Nations Unies par le président Nixon.
  • 13A. Sauvy, Croissance zéro ?, Calmann-Lévy, 1973, pp. 98-103.
  • 14J. Delaunay, Halte à la croissance ?, Fayard, 1972.
  • 15Fondé en 1968, ce club de “grands bourgeois” rassemble des experts de toutes les nationalités qui entendent raffiner le modèle du MIT.
  • 16René Dumont, l’Utopie ou la mort, Paris, Éd. du Seuil, 1973, pp. 49 et sv. (souligné dans le texte).
  • 17Rapport du National Security Council, Implications of Worldwilde Population Growth for U.S. Security and Overseas Interests, 1974, p. 115.
  • 18Georges Naughton, Le choc du passé, G.A.R.A.H., 1974, p. 29.
  • 19Timothy E. Wirth, Statement, Comité préparatoire à la Conférence internationale du Caire.